est-il dangereux d'écrire?

atelier d'écriture d'un ordre du langage

par Laurent Combres (univ Toulouse Le Mirail)

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Proposer à écrire à des adolescents psychotiques ne se fait pas sans que n'y soit mis en question l'être humain, et ce qui le lie aux autres par le biais du langage. Se faire expliquer par certains jeunes les causes de leur refus d'écriture, signifie au moins que peut y être rencontrée une limite se devant d'être entendue comme telle, et à ne pas franchir. L'un de ces jeunes rencontrés dans le cadre de cet atelier dont je vous parle, aurait tout à fait pu s'attribuer une telle phrase : "il est dangereux pour moi d'écrire, je le sais, et ne me demandez pas pourquoi".

Certains ateliers imposent, forcent à l'écriture. Dans ce dispositif qui fut mis en oeuvre auprès d'adolescents reconnus d'un point de vue psychologique, de structure psychotique, je dirai seulement qu'il s'agissait d'une offre, et non d'une contrainte. Si l'Oulipo fait l'éloge de la contrainte d'écriture comme ce qui conditionne l'écriture, dans ce qu'il fut ici possible de faire, était exclue toute contrainte. Au pire cette contrainte existait-elle déjà par le biais du délire psychotique.

Comment proposer à écrire à des gens chez qui c'est le langage même qui persécute ? Voilà ce qui fut la question centrale de ce travail. C'est à dire qu'il ne fallait surtout pas en rajouter sur le versant de la psychose, de la souffrance, mais au contraire favoriser ce qui pouvait permettre de l'apaiser. Aussi l'atelier dont je vous parle reposait sur une question thérapeutique. En psychologie, et je dirais même en psychanalyse, est reconnue la fonction de l'écrit pour certains auteurs, comme Joyce, Artaud, Pessoa, Beckett. Il s'agissait alors, avant tout, de laisser à ces adolescents et jeunes adultes le choix de se saisir de l'offre qui leur était faite. En ce sens, le travail fait avec eux ne se concevait que comme un soutien, un accompagnement de ce qu'ils faisaient, eux, de l'écriture. C'est pour cela aussi que, finalement, rien ne garantissait qu'ils s'en saisiraient, que ce fut ou pas comme un outil d'un mieux être.

Partis du constat de l'usage de l'écrit par des auteurs comme soutien dans l'existence, mais avec ce qui se rencontre avec la psychose ( je veux dire par là que le risque d'un ravage lié à une identification à un autre, écrivain, ou à ce qui est demandé à celui qui vient écrire, est à prendre en compte ) le travail n'était sûrement pas du côté du copiage, du recopiage, ou de l'imitation. Il va sans dire que le risque d'un déchaînement en jeu, d'une perte totale de tout rapport subjectif qui dans le cas de la folie, parfois, se tisse avec le temps, se devait d'être au moins considéré à son plus haut point. Il était donc extrêmement délicat de remettre cela au travail. Aussi, je les citais précédemment, si des auteurs "fous" ont trouvés la poésie comme solution pour leur "mieux être", il vallait mieux se méfier de trop pousser vers la poésie. La part à faire entre le désir de l'animateur de l'atelier et du participant était donc capitale. Ce que je dis ici est que nous ne pouvons pas être les garants d'un savoir faire, d'un savoir écrire, mais plutôt sommes-nous tenus d'accompagner ceux qui viennent écrire tels qu'ils se présentent. Pour ma part, je n'ai conçu mon travail qu'à la condition que ce soient les jeunes rencontrés qui m'apprennent quelque chose de leur écriture. Certains y ont trouvé leur compte, réellement et concrètement. Pour d'autres, ce ne fut pas le cas. C'est pourquoi aussi écrire ne s'est conçu, dans ce cas, que comme une affaire personnelle, singulière, chacun des adolescents rencontrés pouvant décider d'y répondre.

Aussi cet atelier s'est-il résumé à sa plus simple forme. Une salle, lui étant réservée, des tables et des chaises, pour un minimum de confort, quelques stylos et crayons de couleurs pour ceux préférant le dessin, et des cahiers, qui, dès lors que l'un des jeunes s'en appropriait un en inscrivant son nom sur la couverture, lui devenait réservé, sans que quiconque d'autre puisse lire ce qui y était écrit, à moins que son propriétaire ne donna son accord. Sans approfondir la question, il est capital de savoir que ce qui prime dans la psychose c'est la question du nom. Dit simplement, c'est ce Nom-du-Père (qui n'est pas seulement le nom de son père) qui permet au sujet de soutenir un discours, de parler avec une certaine cohérence. Il faut alors savoir que c'est cela qui fait défaut dans la psychose, c'est à dire que rien ne permet, sinon par le biais d'une substitution, de communiquer. Le travail alors engagé ne se soutenait que dans la possibilité, par le biais de l'écriture, de constituer ce qui, le cas échéant, pouvait venir pallier à ce qui faisait ainsi défaut

Pour quelques-uns d'entre eux, ce fut vraiment du mieux qu'il y trouvèrent, si tant est que nous soyons en mesure de prétendre ce qui est bon pour l'autre. Mais constater qu'un jeune change réellement de position dans le cadre institutionnel dans lequel il évolue, est réellement encourageant. Se rendre compte aussi que cela se fit par le biais de l'écriture, c'est-à-dire que ce changement se manifesta aussi au travers de l'écrit, et visiblement par le biais de l'écrit, est au moins le signe de l'importance que revêt un travail d'écriture. Lorsque, dans la psychose, nous avons à faire à des sujets pour lesquels le langage n'est qu'un ensemble de signifiants sans aucune articulation, sans rien qui n'en permette l'utilisation comme moyen de communication, se rendre compte que la pratique de l'écriture vient au moins en partie mettre de l'ordre dans ce désordre subjectif, pose comme nécessairement constitutif l'écrit comme un fondement du rapport du sujet au langage (que cela se manifeste pas l'écriture ou pas d'ailleurs).

Ceci dit, une question, bien sûr se pose, à savoir celle d'une nécessité d'en passer par l'écrit. Est-ce tout autant systématique ? Est-ce un choix ? Est-ce la seule alternative qui se présente à un sujet désireux de faire autre son sort ? Bernard Noël avance dans son ouvrage "treize cases du je", que l'écriture est ce qui lui permet d'être autre que celui qu'il serait s'il n'écrivait pas. Paul Auster soulignait aussi dans "l'invention de la solitude", que l'auteur de Pinocchio, Collodi, reconnaissait s'être défait de la marionnette qu'il était, par le biais de l'écrit. Lacan dans son travail d'analyste, approfondit à maintes reprises son questionnement sur l'écriture, mais visiblement sans faire de l'écrit ce qui s'en tient à de l'encre posée sur du papier. Ce serait pourtant conclure un peu rapidement que d'avancer que la vie est en soi écriture, cela va sans dire. Mais le rapport au langage, s'il existe comme outil, communication, nécessite au moins d'être perçu par un autre qui écoute et qui parle. Dans la psychose c'est cela qui est en jeu. Aussi ce travail a-t-il été possible depuis les travaux de Freud et de Lacan, travaux réellement emplis de pertinence dès lors que l'on s'intéresse au langage. Ils furent à la base du questionnement et du dispositif qui fut ainsi mis en place. Aussi encouragerais-je quiconque désirerait engager un tel travail, à jeter un oeil dans ces textes.

Laurent COMBRES.
Equipe de Recherche Clinique.
Université Toulouse le Mirail.


Bibliographie succinte :
- Bernard Cadoux - Ecriture de la psychose - Aubier.
- Pierre Bruno - Antonin Artaud : réalité et poésie - l'Harmattan.
- Sigmund Freud - Cinq psychanalyse : le cas Schreber - PUF.
- Jacques Lacan - Le séminaire XXIII : Le sinthome - Inédit.
- Jacques Lacan - Le Séminaire III : Les psychoses - Seuil.
- Gérard Pommier - Naissance et renaissance de l'écriture - PUF.