ateliers d'écriture : l'écriture d'invention et l'enseignement

Véronique Breyer : quelle écriture d'invention?
Véronique Breyer, écrivain, enseigne dans l'académie de Versailles - sur page ateliers, un autre texte sur écriture et enseignement, paru dans Libération en octobre 2000

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Quelle écriture d’invention ?

Tentative de mise à plat d’un débat.Le débat actuellement en cours sur le site de François Bon me semble contenir un certain nombre de malentendus… Pour ma part, je ressens le besoin de remettre quelques éléments à plat. Parce que, précisément, l’enjeu est tellement important, qu’il ne faut pas se tromper sur les termes du débat, les questions à poser/se poser, les possibles réponses à apporter aussi.

C’est à partir des différents aspects de mon engagement et de mon travail que j’écris le texte qui suit : une tentative d’approche personnelle des multiples facettes des questions qui peuvent se poser à nous aujourd’hui ; une tentative aussi de mise en continuité des problèmes que pose la pratique de l’écriture au collège avec ceux que me semblent devoir poser les propositions faites autour de l’écriture d’invention par Alain Viala.

J’enseigne au collège et suis depuis dix ans au moins impliquée dans de multiples actions autour des ateliers d’écriture. Je suis écrivain. J’ai fait partie d’un groupe d’enseignants qui, dans l’académie de Versailles, a formé aux nouveaux programmes de collège, au travail en séquences et aux divers contenus qu’il proposent. J’ai coordonné pendant trois années consécutives l’Atelier Annuel d’Ecriture : d’abord à la BPI du centre Georges Pompidou, puis à la MGI (Maison du Geste et de l’Image) puis à la BNF. J’ai animé le stage dit " de suivi " de l’Atelier Annuel d’Ecriture , stage destiné à réfléchir à la possibilité d’introduire des pratiques d’écriture différentes dans les classes.

1. Qu’est-ce que l’écriture d’invention , selon Alain Viala ?

Je m’intéresserai, essentiellement, aux propos contenus dans l’entretien donné à l’Ecole des Lettres et je retiens trois déclarations d’Alain Viala, qui doivent être lues avec attention parce qu’elles représentent un lieu de confusions et de déceptions possibles:

Déclaration n° 1 : " (…) nous avons cherché à favoriser une approche active du cours de français, ce qui suppose de ménager une place suffisante à la possibilité d’écrire, de parler, de produire des textes. Si l’on veut que l’élève comprenne ce qu’est un genre (…) la meilleure façon de faire en sorte qu’il s’approprie ce genre, c’est de le lui faire pratiquer, donc de faire en classe de la production de textes d’invention. "

Déclaration n°2 : " Nous souhaitons faire une place bien établie à des espaces permettant la création de fictions, dans des ateliers d’expression artistique : l’écriture y entre de plein droit. (…) Dans le cours de français, par ailleurs, le texte d’invention ne revient pas à transformer chaque lycéen en un petit romancier ou poète méconnu assassiné. Le but est de prendre conscience que textes à consignes, écriture à partir de modèles, transformations de textes, parodies, pastiches, reconversions, permettent de faire apparaître des protocoles d’écriture. (…)

Ce sont des choses qui se pratiquent mais qui n’ont pas de légitimité institutionnelle. Dans le préambule, nous disons bien qu’il s’agit aussi de légitimer des pratiques existantes, qui, on l’a vu, étaient fructueuses et qui ne bénéficient pas d’un statut légitime, qui sont donc un peu marginales. "

Déclaration n°3 : " Les horaires étaient déjà serrés dans le cadre précédent, ils sont à nouveau serrés dans ce cadre-là, je suis d’accord. Cette difficulté, je ne dis pas qu’elle est résolue, je dis simplement que, en rédigeant ces programmes, nous avons essayé d’en tenir compte. "

L’écriture d’invention, telle qu’elle est ici définie, a certainement le mérite de casser la logique qui régit depuis longtemps maintenant la progression qui va du collège au lycée : plus on avance, plus on privilégie l’argumentation, comme l’indiquent clairement les textes officiels :

" -en 6 : identifier le pôle narratif et le pôle argumentatif ; lire, produire, étudier diverses formes de récit ; s’entraîner à l’expression orale d’un point de vue argumenté ;

- en 5°-4° : pour le pôle narratif, poursuivre l’étude de la narration et développer celle de la description ; pour le pôle argumentatif, aborder l’étude du discours explicatif ;

- en 3° : pour le pôle argumentatif, étudier les principales formes d’argumentation ; pour le pôle narratif, enrichir la pratique des formes de récit. "

On voit bien ici le moment de la bascule et comment il s’opère. Point n’est besoin de grands discours : progressivement, l’argumentation devient primordiale, en préparation au lycée, lieu-même de l’argumentation.

L’écriture d’invention veut se situer en continuité avec le collège, où ce type d’écriture aurait droit de cité. Les propositions d’Alain Viala, sans aucun doute, sont dans la continuité de cette problématique

Revenons à nouveau sur les textes officiels du collège. Lisons ce qui est dit des " productions écrites " :

" Ayant étudié le principe de la description en mouvement, il le réutilise pour rédiger un court paragraphe argumentatif ; ayant analysé un discours explicatif destiné à un spécialiste, il le réécrit en s’adressant à un néophyte ; ayant observé les effets de sens permis par l’adoption d’un point de vue dans un texte, il reprend ce texte pour faire varier le point de vue et les effets de sens. De la sorte, une véritable appropriation lui est proposée, dans un mouvement qui part de la lecture pour aller à l’écriture, et qui s’appuie sur l’écriture pour revenir à la lecture. "

Cette problématique, quelle est-elle ? C’est, en fait, plus une problématique mécaniste qu’une problématique d’invention. Je voudrais revenir ici sur les constats que la pratique des exercices proposés au collège permettent de faire. Et dire que c’est cette même problématique qui est pour le moins peu satisfaisante qui me semble devoir être mise en place au lycée, avec le même aveuglement sur les possibilités offertes par l’appropriation grâce à cette idée de mise à jour de modèles qui seraient repérables et, de ce fait, facilement reproductibles. Il n’y a là rien de facilement reproductible. Il n’y a là non plus pas de quoi transformer l’absence de lien entre la littérature et les élèves : écrire selon des modèles ne crée pas de liens.

Les nouveaux programmes de collège prennent en compte les apports de la linguistique, de l’analyse des discours. Ils sont issus de la recherche pédagogique initiée, entre autres par la revue Pratiques ou par des personnes comme C.Oriol-Boyer. C’est-à-dire tous ceux qui se sont élevés dans les années soixante-dix contre la logique de l’imitation, contre l’idée que l’acte d’écrire serait lié à une inspiration, à une imagination créatrice qui serait en chacun de nous. Pour eux, idée communément admise aujourd’hui, écrire ; cela s’apprend et cela se réfère à un ensemble de techniques. Dès lors, la démarche du pédagogue s’en est trouvée clarifiée. C’est cette clarification qui apparaît dans les nouveaux programmes de collège. C’est elle qui apparaissait déjà dans les programmes de LEP quelque temps auparavant puisque les problèmes s’y sont posés très tôt de manière aiguë. Désormais, il devient possible de travailler par objectifs puisque les objectifs peuvent être fixés. L’essentiel des questions que va se poser l’enseignant se trouve du côté des moyens à utiliser pour atteindre ses objectifs.

Autrefois, la logique imitative était à l’œuvre et reposait sur un implicite culturel et stylistique. Aujourd’hui, écrire, c’est prendre conscience des outils utilisés pour écrire, être capable de les réutiliser. C’est partir d’un domaine reconnu pour parvenir à un domaine reconnu. La seule " entrée " possible dans l’écriture semble se situer dans l’extériorité, condition a priori de l’acquisition de " compétences ".

Au collège, la notion centrale est celle de " maîtrise ". Et il apparaît qu’enseigner la maîtrise dans l’écriture, c’est s’adresser à un élève que l’on considère comme un réceptacle vide : le sens n’est pas en lui, ne peut venir de lui. Il vient de l’application de procédés qu’il se doit d’utiliser. On ne se pas préoccupe de l’en-deçà: le lien qu’il faut créer entre l’écriture, la lecture et la personne. Le lien, celui qui crée l’enjeu, est souvent absent.

Sous peu, cette analyse va pouvoir s’appliquer à l’écriture d’invention du lycée, à ceci près que les élèves qui sont au lycée, déjà " triés " vont peut-être mieux y réussir que les élèves de collège. Mais, sur le fond, le problème sera identique puisque " le but est de prendre conscience que textes à consignes, écriture à partir de modèles, transformations de textes, parodies, pastiches, reconversions, permettent de faire apparaître des protocoles d’écriture. "

La mise à jour de " protocoles d’écriture " me semble l’équivalent de la notion de maîtrise au collège. Si cette extériorité dans l’écriture a des effets plus que néfastes auprès des élèves dont le milieu socio-culturel est défavorable, elle sera aussi , et de toute façon, un obstacle à l’écriture et au plaisir d’écrire pour la plupart des élèves, dont l’implication se trouvera confinée dans les marges.

Paradoxe de cette démarche qui à se vouloir tellement démocratique empêche une grande majorité d’élèves d’entrer dans l’écriture. Combien d’enseignants consciencieux, soucieux de la réussite de leurs élèves, se heurtent à l’échec alors qu’ils font au mieux, réfléchissent, se donnent du mal pour essayer de relever le défi.

Mais nous touchons ici aussi à la question plus large de la dévalorisation globale de l’écrit et de la littérature comme espace de liberté et de pensée.

Il faut à nouveau affirmer haut et fort que l’écriture est une pratique de création , qui implique l’existence d’un sujet de l’écriture, l’exercice d’une pensée ?

L’écriture est un devenir, une recherche. Une découverte progressive de l’écriture. Et l’élève mis en position de recherche écrit un texte qui a sur lui-même un effet personnel différent de celui qu’il aurait eu s’il avait écrit comme " élève-vide-qui-maîtrise ", au collège et bientôt comme " élève vide qui imite " ou qui parodie ou qui pastiche, ou qui connaît " des protocoles d’écriture ", au lycée.

Le plaisir d’écrire est lié à cette position : être sujet de l’écriture. Cela signifie : être doté d’une expérience, d’une culture – livresque ou non, d’un corps, exister aussi dans sa constante capacité à mettre en mots tout ce ce qui n’existe pas déjà dans les mots, capacité qui concourt à la transformation de soi, comme toute activité de mise en mots, de pensée donc.

L’écriture alors se doit d’être une pratique continue, qui demande du temps. Le temps qu’il faut pour donner la possibilité à chacun de s’ancrer dans cette relation intime qu’il entretient avec tout ce qui l’habite de connu et d’inconnu, pour lui et pour les autres, de rencontrer des formes personnelles, de les penser. De trouver son écriture. D’être placé dans un rapport intérieur à l’écriture.

Je poursuivrai en indiquant que je suis frappée par le caractère assez flou de la réponse donnée à la question posée sur le temps dévolu à l’enseignement du français. C’est d’autant plus intéressant qu’au collège aussi, c’est la question primordiale qui se pose. C’est parce que le temps n’est pas suffisant que l’on est conduit, contre son gré, à adopter des logiques qui sont pas fructueuses.

Enfin, qu’il me soit permis de faire remarquer que la simplification des sujets de réflexion ou d’analyse des textes littéraires qui apparaissent au baccalauréat va de paire avec l’abandon de la possibilité de la pensée parce qu’elle va de paire avec un refus de donner du temps à la mise en œuvre d’une pensée qui se cherche.

2. Le sujet d’invention

" L’écriture d’invention " permet l’existence du " sujet d’invention " qui, tel qu’il est présenté, avec toutes les difficultés à le définir clairement, sont pour moi un indice très pertinent qui permet de comprendre de manière encore plus patente le lieu de la confusion.

Ce sujet est défini comme une " écriture d’invention ", " une production écrite selon une consigne explicite à partir d’un ou plusieurs éléments du corpus ".

Deux écueils, signalés par Alain Viala, pourraient empêcher la bonne mise en place de ce sujet : l’enfermement dans des critères très précis d’évaluation donc d’objectifs d’écriture et la mort de l’invention. A l’inverse, l’absence de critères précis qui pourrait conduire à une inconsistance totale de l’exercice proposé.

La forme que prend ce sujet explique pourquoi, par la suite, on se retrouve dans une impasse docimologique. Le sujet d’invention est, en effet, une belle injonction paradoxale. D’un côté, un terme qui définit l’examen, d’un autre celui qui recouvrirait la possibilité de l’invention. D’un côté, des critères d’évaluation liés à des objectifs pédagogiques : adéquation entre la demande et ce qui est écrit, établissement nécessaire de visées préalables, d’un autre côté, ce qui ferait référence à une pratique créative. Il n’est pas possible, si l’on y réfléchit trente secondes, d’aboutir à autre chose qu’à une impasse…

Les écueils ainsi définis par Alain Viala, de même que sa conclusion, qui va pour finir dans le sens d’un plus petit dénominateur commun et qui finit par vider l’exercice de tout contenu, me semblent significatifs de la confusion réelle qui régit la définition même de l’écriture d’invention telle qu’il la propose.

Sensible à l’existence des ateliers d’écriture, des pratiques d’écriture différentes il pense, certainement de bonne foi, comme ses déclarations le montrent, qu’en introduisant l’écriture d’invention dans le cursus du lycée, qu’en introduisant le sujet d’invention au baccalauréat, il va permettre à un cours de français " actif " d’exister. Pourtant, il me semble, de fait, demeurer dans une problématique qui est loin de recouper celle de l’écriture d’invention telle que je la conçois lorsque j’utilise le terme d’atelier d’écriture ou lorsque François Bon utilise le terme d’écriture d’invention. Il s’agit, de fait, de deux réalités très différentes, qui n’ont, me semble-t-il que très peu de choses en commun mais qu’il faudrait faire exister conjointement, dans leur contradiction.

3. L’écriture d’invention dans l’atelier d’écriture

L’écriture d’invention s’explique par la pratique d’atelier. Qu’est-ce, en effet, qu’une pratique d’atelier ? Il me semble qu’elle peut se définir de plusieurs manières différentes et, même si cela semble en revenir au B-A BA des choses, ce retour m’apparaît, aujourd’hui nécessaire. Car je pense que c’est parfois par la mise à plat d’une pratique que l’on parvient au cœur des problèmes qui se posent.

1. Existence de partenaires : enseignant, élèves, écrivain ; ou bien : élèves et enseignant qui acceptera et pensera, dans son enseignement, d’adopter des postures différentes.

2. Espace et temps particuliers, d’une certaine manière paradoxaux : choix d’un lieu différent de celui de la classe ou classe organisée différemment. Temps défini comme étant autre : temps de la recherche, et non temps de la réponse.

3. Partage d’expériences : celle d’un écrivain et/ou celle d’un enseignant écrivant avec celle des participants qui écrivent.

4. Existence d’un chœur, celui des participants/élèves, à l’écoute participative des textes lus.

5. Ouverture : l’atelier est le lieu de l’inattendu, il ne s’agit en aucun cas d’obtenir un résultat précis issu d’un modèle attendu. Corrélatviement, l’attente est du côté du multiple, non pas de l’un modélisant.

6. Recherche : C’est sur cette dernière donnée, primordiale selon moi, que je souhaite insister. La pratique de l’écriture en atelier est une pratique de recherche. Elle demeure ouverte et c’est parce qu’existe cette ouverture qu’existe la dynamique de l’atelier. C’est elle qui rend possible l’implication du sujet dans l’écriture. Cette pratique de recherche a beaucoup à voir avec le temps : s’il y a pratique de recherche, c’est qu’il y a temps de la recherche et, dans le meilleur des cas, espace spécifique à la recherche.

J’insiste. De même, lorsque François Bon indique qu’il est possible d’évaluer ce qui se passe dans un atelier d’écriture, il indique des critères d’évaluation qui sont internes à une pratique dont la particularité est de s’exercer dans le temps. La temporalité d’une recherche n’est pas la temporalité d’un examen. De même, des critères d’évaluation de François me semblent " endogènes " : ils sont internes au processus qu’il met en place et, en ce sens, sont une part intégrée de ce que j’appellerais la démarche d’invention. C’est ce qui fait leur pertinence. Apparaît ici une grande différence avec ce qui me semble l’aberration principale du " sujet d’invention " : il est le plus totalement exogène au sens où, bien évidemment, il ne fait partie d’aucun processus suivi de recherche et, une fois de plus, cela met bien en lumière la très grande différence des deux démarches.

A priori donc, je dirais que les logiques d’enseignement ne sont pas des logiques d’invention et que, précisément, pour que l’invention continue d’ exister, il faut la garder d’une logique d’enseignement, spécialement d’une logique qui serait évaluative dans un sens pédagogique : objectifs précis à atteindre en termes de savoirs précis et de savoir-faire.

Je reprendrai ici les propos de F.Bon : " (…) l’atelier ou l’écriture d’invention c’est une attention à provoquer et construire l’élève à la proposition préalable (en tout cas, pour l’intervenant, c’est bien l’instant le plus délicat de l’atelier, celui qui exige le plus de préparation fine, d’engagement dans l’instant), une capacité progressivement éduquée à se saisir des chaînes de possibles évoqués ou frôlés. Il y a aussi la capacité à l’écoute et au retravail, l’implication corporelle dans la lecture à haute voix, et comment le texte fonctionne en tant que capteur sensible ou capteur du monde. En donnant ainsi une suite de paramètres partiels à l’évaluation continue, des comportements hétérogènes peuvent être valorisés. "

4. Conjuguer des logiques différentes

Présenter ainsi les choses pourraient faire penser que nous sommes dans deux logiques opposées et inconciliables. Il me semble, en fait, qu’il s’agit d’une contradiction positive et qu’il faut faire, simplement, exister les deux logiques dans le cadre de l’enseignement. Une logique de recherche doublée d’une logique d’acquisition de savoirs et de savoir-faire, posée en termes d’objectifs. Bien sûr, cela n’est pas aussi simple que tel que posé en ces termes. Il y a de l’acquisition du côté de la recherche… Il y a de l’invention du côté de l’acquisition des savoir-faire… Simplement, et je rejoins ici pleinement ce qu’écrit Bruno Tackels, nous ne sommes pas sur les mêmes plans, pas non plus dans les mêmes strates…

L’atelier pourrait être défini comme le lieu du passage, de la transmission d’une bibliothèque contemporaine, le lieu aussi du rapport à une expérience particulière : celle de l’écriture d’invention, que j’appellerais plutôt celle de la recherche ouverte d’écriture. La classe pourrait être définie comme le lieu d’un autre type d’acquisitions ou plutôt d’acquisitions qui se font sur d’autres plans. Des circulations entre ces deux pôles peuvent et doivent être être organisées. Et c’est cela qui importe : garder à chaque part sa spécificité pour que chaque part apporte et concoure à l’expansion de l’écriture et de la lecture, à " l’expansion de la personne " . Un dernier point me semble important et relativement " évident ": il ne faut pas chercher à aligner des pratiques évaluatives, qui, de toute façon, ne peuvent pas être alignées.

On l’aura compris, le sujet d’invention ne m’apparaît pas comme le bon moyen de défendre l’écriture d’invention. Il faut en revenir au point de départ du débat. L’écriture en atelier est une pratique à défendre. Elle met en œuvre des pratiques de transmission d’une expérience particulière de création qu’il me semble ne pas devoir être confondues avec des pratiques d’enseignement qui sont des pratiques de transmission de savoirs et de savoir-faire.

Je repense ici à l’Atelier Annuel d’Ecriture et à l’organisation du " stage de suivi " destiné aux enseignants qui voulaient penser leurs pratiques en liaison avec leur expérience dans ces ateliers, stage de suivi qu’il fallait parvenir à inscrire dans le PAF… J’ai vécu des situations un peu étranges. En effet, ce stage, il m’apparaissait qu’il devait être inscrit dans ce qui était alors la rubrique " Action Culturelle "… Mais je suis enseignante… il devait donc être inscrit sous la rubrique dite " disciplinaire " puisqu’il n’était pas pensable qu’une enseignante formatrice puisse intervenir dans le domaine dit de l’Action Culturelle… Cela n’a l’air de rien mais signifie, de fait, que, dans l’Education Nationale, on ne peut prétendre à exister en dehors de la stricte logique du pédagogique, celle de la didactique de la discipline. Où faire exister un atelier ? Comment évaluer une écriture d’invention ?

Le stage de suivi de l’Atelier Annuel d’écriture essayait de penser cette " contradiction positive ". Pour y parvenir, il me semblait, déjà à ce moment-là, qu’il était nécessaire d’organiser des modules d’écriture d’invention en parallèle à des séquences pédagogiques. Je retrouvais, quelque temps après, cette idée sous la plume de François Bon qui indique bien qu’il est possible de penser une progression d’invention. Là où mon point de vue diverge, c’est qu’il ne me semble pas devoir exister une évaluation de l’écriture d’invention qui serait partie intégrante de l’évaluation scolaire. Pour moi, cette écriture doit demeurer dans une logique de recherche pour exister pleinement. C’est cette logique-même qui en fait l’intérêt et qui permet le plein investissement dans la démarche. Je veux dire par là qu’il faudrait soit imaginer des évaluations du côté des acquis de savoirs et de savoir-faire qui prennent en compte les découvertes faites du côté de l’atelier, soit utiliser les critères énoncés par François au sein de l’atelier, à usage interne, soit les deux ! En effet, maintenir intacte la tension contradictoire des deux pôles me semble important sous peine de perdre la dimension recherche. Parce que s’il y a injonction d’un résultat fini de la recherche, même indirecte, que va-t-il se passer ? En ce sens, d’ailleurs, l’idée d’un contrôle continu me semble encore plus dommageable s’il ne s’agit pas d’un "contrôle " " d’invention ".

Je voudrais, à ce sujet, souligner un point qui me semble, lui aussi, très important. Lorsque j’ai animé, il y a quelque temps déjà, le stage de suivi à l’Atelier Annuel d’Ecriture, cette difficulté de mener en parallèle des activités selon des logiques différentes est apparue de manière aiguë et cela pour des raisons qu’il sera facile de comprendre. Lorsqu’un atelier d’écriture est mené par un duo : enseignant, écrivain, l’enseignant est du côté de l’institution, l’écrivain du côté de la création, même si, effectivement la synergie qui d’établit en classe casse le simplisme explicatif que j’utilise. Il n’en est pas moins vrai que l’écrivain ne se pose pas les problèmes en termes d’objectifs pédagogiques à atteindre ; il est, de fait, ailleurs. Il peut donc suivre sa voie de recherche avec le groupe auprès duquel il intervient. Si l’enseignant est conduit, quant à lui, à gérer seul un atelier, même s’il a des pratiques d’écriture créative, même s’il a des convictions du côté de ce qu’il doit mettre en œuvre dans un atelier d’écriture, il lui est très difficile de ne pas entendre la petite voix des objectifs, la petite voix des programmes. L’enseignant est duel et doit parvenir à gérer cette dualité. Et ce n’est pas simple. La tentation est grande d’organiser les croisements , alors même qu’ils existent, sans que l’on ait besoin de les organiser. Garder l’ouverture d’une démarche d’invention , lorsqu’on est seul à la gérer est une véritable gageure et cela ne doit pas être pris à la légère.

5. La lutte continue

Pour conclure je dirais que l’entrée dans les textes officiels du terme d’ " écriture d’invention " me semble une très bonne chose, qu’elle témoigne aussi de la part d’Alain Viala d’une écoute et d’une certaine perception des difficultés que pose aujourd'hui l’enseignement du français. Mais, en fervente partisane de la pratique d’atelier que je suis, je ne peux être totalement enthousiaste, pour toutes les raisons que j’ai indiquées. Et le sujet d’invention me semble être significatif, plus que tout autre chose, d’un fourvoiement très grand de la notion d’invention.

Cette ouverture, car il s’agit tout de même d’une ouverture, il nous faut essayer de nous en servir pour relancer des actions de formation du côté de l’écriture et des pratiques d’invention. Il faut pousser à l’existence des ateliers d’expression artistique qui, pour le moment, ne sont pas dotés de moyens réels. Il faut encore et toujours revenir sur la question du temps donné pour mener des activités qui en demandent beaucoup.

Au risque de répéter ce qui a déjà été dit, il me semble qu’il aurait été nécessaire, avant tout établissement d’un " sujet d’invention " :

- de faire en sorte de mettre en place une vraie formation initiale et une vraie formation continue en matière d’atelier, ce qui éviterait aussi, ces oppositions viscérales de certains enseignants pour qui l’écriture d’atelier est un gigantesque fourre-tout.

- d’organiser, ensuite, de vrais débats entre les différents acteurs de la transmission de l’écriture et de la lecture : enseignants et écrivains

- de donner de vrais moyens horaires pour ne pas faire une écriture d’invention " au rabais ", pour permettre de penser en termes de complémentarité, de contradiction positive.

- de repenser les textes officiels en intégrant, de manière continue, la nécessité d’un rapport à l’écriture d’invention, tout au long de la scolarité, car contrairement à ce qui est écrit ici ou là, il n’y a pas d’écriture d’invention au collège : il y a, le plus souvent, mécanique d’écriture, seule permise vraiment par les horaires et la formulation des textes officiels…