Autour du roman Le Testament russe de Shumona Sinha

En attendant l’intervention de l’autrice que soixante-dix élèves de seconde désirent rencontrer avec impatience, nous avons mené de multiples activités sur son roman subversif et engagé : analyses littéraires, dissertations, proposition de romans graphiques àpartir d’extraits marquants du roman. Des travaux seront mis en ligne sur Remue.net, afin de partager nos émotions, et tentatives d’exploration de l’œuvre. Par ailleurs, nous avons l’idée de procéder àl’enregistrement audio d’adaptations théâtrales que les élèves ont conçues àpartir des passages qui les ont interpellés. Le Testament russe explore le refuge de la lecture chez les jeunes, la condition des femmes, les contraintes idéologiques, très souvent la censure dans tous les milieux. On y découvre d’ailleurs l’histoire d’une maison d’édition subversive àMoscou, les éditions Raduga. C’est un mélange d’Histoire et de fiction, qui a déjàplu àmes élèves de seconde l’an dernier. Voici pour commencer la rédaction d’un élève, Alexis G., particulièrement inspiré par ce récit polyphonique.

Françoise Breton (enseignante de lettres et de théâtre au lycée René-Cassin d’Arpajon).


Observons comment ce roman nous fait voyager àtravers la géographie et le temps.

Shumona Sinha nous propose un voyage au XXe siècle àtravers ce roman d’une acuité surprenante, mettant en évidence deux âmes féminines aux existences géographiques opposées et demeurant dans une ère différente. D’un côté, Tania, une jeune femme des années 80, réside au Bengale dans le Calcutta qu’elle illustre d’ailleurs par la métaphore d’un vaisseau spatial qui franchit les frontières pour atterrir secrètement dans les pays étrangers. Dotée d’une grande intelligence, Tania se réfugie avec dévotion dans les livres et plus spécialement dans la littérature russe des années 30, pour échapper àson malheur. Cependant, on comprend que ce malheur se révélait en fait une chance du destin. En effet, sa passion pour la lecture lui permit de se trouver un autre pays, une autre langue d’accueil. Par conséquent, elle suit des cours de russe àl’institut de langue et de culture russe « Maxime Gorki  ». Tania choisit alors l’exil en Russie en sachant qu’un jour, elle irait là-bas.

Au travers de ce voyage dans la littérature russe, Tania ressent une certaine affection pour le destin houleux de Lev Moisevitch Kliatchko, éditeur russe des années 30. Elle est alors obsédée par son désir de fouiller la mémoire en ruine d’une octogénaire où seraient restées accrochées les minuscules miettes de la vie de son père. Ainsi nous découvrons Adel, doté d’un destin unique, nous faisant revivre l’URSS du XXe siècle. Ainsi se crée un lien entre les deux femmes comme une harmonie, la voix d’Adel complète celle de Tania, qui désire la rencontrer àtravers une lettre qu’elle lui a rédigée.

Shumona Sinha ne cesse de nous transporter de Calcutta àSaint-Pétersbourg, oscillant entre l’Inde et la Russie avec ses quartiers historiques, ses personnalités qui ont bouleversé le monde et ses références les plus célèbres. Nous sommes ainsi bercés entre Seconde Guerre mondiale et Staline, Perestroïka et Gorbatchev. Le Testament russe se hisse alors àla portée d’un lecteur intrigué, d’un lecteur pensif, d’un lecteur voyageur.

Ce roman met en exergue les antipodes entre le Bengale occidental et l’Union soviétique àtravers leurs liens politiques et culturels. Par ce voyage dans le temps on observe que l’Occident a toujours été mal àl’aise avec la Russie, que ce soit la Russie du tsar ou du soviet. On redécouvre ainsi tout au long de l’histoire d’Adel, l’hostilité et la censure du régime communiste.

De plus, on suit également àses côtés l’avenir des Éditions Raduga, nous acheminant àtravers le temps et l’espace. Tout d’abord, le jour où sa petite-fille l’a appelée pour la persuader de vendre toute la collection de Raduga àla bibliothèque Costen de l’université de Princeton aux États-Unis, ou encore, quand en 1982 ils ont rouvert Raduga, qui n’était plus àLeningrad, mais àMoscou. Finalement, après la chute de l’Union soviétique, Progrès et Raduga ne pouvaient plus exister àcause de la perestroïka qui a rendu impossible la production de leurs livres.

En ce qui concerne Tania, elle nous emmène dans ses souvenirs les plus marquants. Par exemple, ce jour où elle s’est souvenue d’une femme sur une photo publiée dans le plus grand quotidien du Bengale en 1989, Pamela Singh Bordes, élue miss Inde en 1982. Elle est subjuguée par son ambition, son parcours éhonté l’avait fascinée. Elle raconte de cette fille mondaine ses différentes soirées àtravers le globe : Delhi, Bombay, New York, Londres, Paris.

Tania nous dévoile même avec précision les recoins de sa ville, notamment cette librairie derrière le bassin de College Square que les vétérans du quartier appelaient Gol Dighi, ou bien ce quartier de Slat Like où vivaient les parents de Sacha. Elle nous décrit alors ce nouveau monde, étranger àson quartier de Calcutta, où se confondent les terrasses adjointes de vieilles maisons défraîchies, les passages communs et les escaliers sombres.

Nous suivons ainsi Tania qui s’accorde une nouvelle vie, s’éloigne de ses origines, se crée sa propre idylle àtravers son amour pour Oleg. Même pendant sa soirée en amoureux, elle continue d’évoquer des références temporelles. En effet, elle ne comprend pas pourquoi cette déclaration de Lénine en réponse àRosa Luxemburg au sujet de la crise au sein du parti communiste en 1904 pouvait s’appliquer àleur soirée.

Du côté d’Adèle, elle nous renvoie en Sibérie où elle a connu la plus belle école de sa vie, la période la plus difficile, mais aussi la plus créative de son existence. Un quotidien bouleversé par les injustices, les inégalités, guerres et génocides. Son âge affecte peut-être sa mémoire, pourtant ses souvenirs d’enfance restent indemnes : les Grandes Purges, l’URSS et la misère due aux difficultés de son père. Ainsi, nous sommes confrontés àses douloureux souvenirs, nous ramenant dans le passé, àtitre d’illustration en 1941, où ils annonçaient qu’àl’aube les troupes de l’armée allemande les avaient attaqués sur le bassin de la mer Noire, ou encore en 1993, au foyer de Pargolovo, lorsqu’elle assiste comme une étrangère àl’état de guerre civile.

Nous remarquons par ailleurs que cette rencontre tant désirée, tant attendue n’a pas eu lieu, ainsi le véritable moyen qu’elles ont eu de voyager, de s’émerveiller du parcours de l’autre, demeurait l’écriture et la littérature.

Alexis G. (élève de seconde).


Corentin V. (élève de seconde).

14 mai 2022
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