Jean-Pascal Dubost / le monde en bouche-mentale à propos de "Fondrie, une suite métallurgique", aux éditions Cheyne, collection Grands Fonds |
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présentation par Guénaël Boutouillet |
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Fondrie est le fruit
d’un travail en commun avec une plasticienne, Kathy Couprie : «
C'est sur une demande (et non une commande) que l'écriture de Fondrie est
née. Je devais faire, en 98, une résidence en Haute-Marne
autour de la notion de "Territoire" qui reposait sur une série,
sur un an, d'ateliers d'écriture et d'images (avec Katy Couprie).
Avant de commencer cette résidence, Katy me fit découvrir
ce site, sis à environ 30 kms de Saint-Dizier, où elle
vit, et sur lequel elle travaillait déjà sur une série
d'images; et dont elle était convaincu qu'il me toucherait;
ce fut le cas ; elle me demanda d'y réfléchir ; j'y
réfléchis
; et j'acceptai sa proposition d'aussi un travail d'écriture sur
ce site. Nous inclûmes donc notre projet commun à la résidence.
C'est tout bête. L'idée était de faire un livre textes/images,
et une exposition européenne, qui tournerait dans les lieux européens
concernés par la métallurgie. Pour de multiples raisons,
ni l'expo européenne ni le livre textes/images n'ont pu se
réaliser
; seuls demeurent donc le livre et l'expo, qui vivent chacun leur vie. » Ce projet et le projet plus vaste qui l’englobe, vous pouvez en prendre pleine connaissance sur le site : http://entretenir.free.fr/ouvrier/ texte ci-dessous et présentation : Guénaël Boutouillet membre du comité de rédaction de remue.net, Guénaël Boutouillet anime avec Cathie Barreau les ateliers d'écriture de la Maison Gueffier à la Roche-sur-Yon |
Les propos de Jean-Pascal Dubost cité dans cet article
sont pour certains tirés d’une interview
dénichable... Les autres ont été ses réponses
à des questions par mail. Publications de Jean-Pascal Dubost: |
On ouvrirait le livre, laisserait faire le hasard. Et, tomberait par exemple sur ça :
Au travail. Au travail la langue, pour dire un peu du travail, pour donner signe et trace, d’un travail et de son lieu désertés, les faire vifs or qu’absents. C’est tout le projet de Jean-Pascal Dubost dans ce livre, « faire revivre », prendre langue et racine, exhumer un monde déjà tôt disparu, rebalancer du feu et du fer là où traînent cendres et rouille tristes. « Mais voilà : je n’ai aucune culture ouvrière, je ne connais rien au monde ouvrier, je n’ai jamais travaillé à l’usine, ni mis les pieds dans une fonderie en activité, même pendant ma résidence; ce qui m’a permis d’écrire et d’approcher mieux et le lieu et les hommes qui y souffrirent, c’est le lexique, et uniquement le lexique, ainsi que quelques recherches documentaires. » Très bien, mais alors, comment ? Comment, ça :
Comment ça, cette « ambiance » dans le texte, qui fait qu’on y est plus qu’en visite, plus que si chaque action était dite, chaque infime partie du décor méticuleusement décrite. Ce n’est pas un texte d’ambiance, illustratif, non, véritablement l’ambiance est dedans, incrustée, graisse et rouille qui ne s’en iraient pas même si on frottait des heures, l’ambiance est constituante, la fonderie en constante apparition. Ce n’est pas non plus la documentation qui fait (même si, elle aide), ni l’écoute et l’empathie (même si, elles aussi, aident), c’est la langue qui, travaillant dans ces inflexions-là, parle de ce travail-là et uniquement — d’où, pour tous ceux, les plus nombreux, qui n’ont jamais grand jamais, fait sidérurgiste, l’étrange « exotisme » de ces textes. D’où aussi, la reconnaissance évidente des quelques-uns qui y ont été — Jean-Pascal Dubost m’a déjà raconté sa rencontre, aux Lectures sous l’arbre de Cheyne, avec un ancien ouvrier qui refusait de croire en l’absence de « vécu vrai » là-dedans. Au-delà de l’anecdote, ce témoignage est exemplaire de la réussite de l’opération — c’est bien là comme plus, c’est autre mais là. Ce n’est pas restitution c’est re-création d’un monde effacé. Sans pour autant l’avoir connu, sans physiquement rien en savoir, Dubost s’y est frotté. Inventaire
donne un indice de ce qu’est l’écriture de Jean-Pascal
Dubost, de ce qui la fonde : Frottements Ce texte ainsi porte haut sa scansion, (son muscle ?) D’entendre Dubost le lire en public, d’une voix forcie par les mots même, impérieusement, sans avoir à rien rajouter, dans une exacte tension, impose le constat, ramène l’évidence en surface : le muscle est visible, non parce que montré, (nullement montré), visible parce que là, présent là fort, fait par sa tâche assignée. Le muscle est vif aussi, la phrase en ses inflexions est toute de mouvements, ça bouge — comme le boxeur swingue. Chemin
Que ça ne reste pas, pas coincé dans la gorge, que ça file. C’est un paradoxe, le mouvement que ça suscite en le lecteur :entrer plus vite dans une matière, ne faire en somme que passer, amis en capter le gros de l’arôme. Et y revenir, y revenir, revenir. C’est aussi un plus long, plus tortueux chemin (travail, encore), pour le bricoleur, le trafiquant de langue qu’est Dubost : «Aussi donc, d’une poésie simple, directe, dépouillée, un peu naïve de mes premiers livres, je suis venu peu à peu à une poésie plus complexe parce que j’ai compris que le monde ni vivre ne sont simples et voulu qu’écrire soit le reflet de ça, et plus charnue pour en donner à la fois la complexité et la saveur (j’aime mettre en bouche-mentale le monde) ». L’écriture, alors, la lecture dans la foulée, sont tout en jets et reprises, l’essentiel étant happé par l’œil d’abord... Reste ensuite à l’arpenter. Guénaël Boutouillet |