à travers les mots passe
encore un peu de jour... Maurice Blanchot, l'hommage de remue.net. |
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Extrait de Yun Sun Limet, L’Ecriture critique de Maurice Blanchot, thèse de littérature française, université de Paris VIII-université catholique de Louvain, 1997, inédite. Yun Sun Limet est actuellement éditrice aux éditions Fayard. |
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Yun Sun Limet / Oh tout
finir
Oh tout finir Que la mort ne parvienne pas à mettre un terme à la vie, qu’elle ne puisse advenir, voilà une part du « double sens » de la mort. Le lien entre mort d’autrui et littérature se manifeste de façon particulièrement sensible dans le dernier texte de Blanchot suscité par la mort d’un écrivain. Il s’agit de Beckett. L’amitié n’y est pas pensée directement, mais elle est encore présente à travers les termes de « compagnon » ou d’« intimité ». En revanche, mort et littérature y prennent une valeur proprement critique. Blanchot y interroge l’oeuvre de Beckett à partir du soupçon que, mort, l’auteur de Malone meurt puisse, d’une certaine manière, continuer de vivre, puisse ne pas en avoir fini : Samuel Beckett en disparaissant en a-t-il fini ? Nous a-t-il laissé la douleur de prendre en charge ce qui ne pouvait s’achever en lui ? Ou, par une ruse qui ne nous étonnerait pas, veille-t-il encore pour savoir ce que nous allons faire de son silence [...] ? Faire « quelque chose » du silence d’un écrivain mort, c’est en quelque sorte la tâche du critique. La parole ne cesse pas parce qu’elle se poursuit dans celle du critique, et par elle, la mort n’en finit pas, elle non plus. L’écriture critique s’instaure dans cette impossibilité de finir que révèle la mort d’autrui. L’amitié, le compagnonnage lient par la commune appartenance à cette impossibilité. Du moins, elle est ce qui permet de s’inclure dans un « nous » (mais quel est ce « nous » ?) : Ainsi, l’objet de l’attente, ce n’est pas Godot, mais l’intimité où demeure la grâce des coeurs endormi(s). C’est pourquoi on me donna un compagnon. Et à nouveau le ton épique : Le voilà donc le pas des nôtres le pas des nôtres ressassant fou lui aussi de lassitude pour en finir avec lui – et, si cela est permis, nous avec lui. Mais il faut attendre encore. Oh tout finir . Dans ces lignes, Blanchot affirme à travers les phrases de Beckett, que l’amitié (« on me donna un compagnon ») permet d’en finir ensemble, d’attendre la fin ensemble (« nous avec lui »). Le texte de Blanchot lui-même est construit sur l’échange de la parole (incessante). En effet, citant Beckett, Blanchot se « permet » de se citer lui-même, permission donnée par Beckett lui-même : « cette parole égale [...] vivante parmi
les morts, morte entre les vivants, appelant à mourir, à
ressusciter pour mourir, appelant sans appel » (extrait de L’Attente
l’oubli et que je cite pour finir parce que Beckett accepta de s’y
reconnaître) [...] L’écriture critique de Blanchot, souvent assimilée à sa pratique du récit, a fait l’expérience d’une absence à la communauté, non pas comme anonymat ou comme blancheur, virginité de l’inscription, mais bien plutôt, sous les traits d’un malentendu provisoire. En effet, ce que Barthes ou Foucault, entre autres, retiennent de Blanchot, c’est précisément le neutre comme anonymat, la mort de l’auteur comme « personne », autant de notions qui rendent problématique une pensée de l’histoire, de la communauté, de l’être en commun. Pourtant, Blanchot, au fil des années, engage un dialogue de plus en plus personnel, suit davantage les voies de la subjectivité, à une période où la mort qui frappe une génération, vient petit à petit consommer la séparation, fondant ainsi une communauté d’absence douloureusement réelle. © Yun Sun Limet |