un hommage à André Markowicz

Ossip Mandesltam/ Quatrième prose, chapitre XIII

La quatrième prose d'Ossip Mandelstam, traduction Markowicz, a été publiée chez Christian Bourgois, collection Détroits, en 1993.

à lire aussi sur remue.net : une étude de Jean-Marie Barnaud - "Mandelstam et la parole" avec quelques liens Mandelstam

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XIII

Il y eut deux frères Chénier – le cadet, misérable, appartient tout entier à la littérature, l'aîné, mis à mort, l'a mise à mort lui-même.

Les geôliers adorent les romans, ils ont besoin, plus que n'importe qui, de la littérature.

L'année xième de ma vie, des hommes adultes barbus, en chapeau de fourrure à cornes, ont levé sur moi le couteau de silex, dans le but de me châtrer. A tous les signes, c'étaient les prêtres de leur tribu: ils puaient l'oignon, le roman et le bouc. Et tout faisait peur comme dans un rêve d'enfance.

Nel mezzo del camin di nostra vita – au milieu du chemin de ma vie, je fus arrêté dans la profonde forêt des soviets par des bandits qui s'intitulèrent mes juges. C'étaient des vieillards au cou noueux, à la petite tête d'oie, indignes de porter le poids des ans.

Pour la première et la seule fois de ma vie, la littérature eut besoin de moi, elle me pétrissait, me ballottait, me malaxait, et tout faisait peur comme dans un rêve d'enfance.