Dernier atelier avant confinement

Chaque jour précédant le 11 mars apportait son lot d’interrogations : l’atelier du 11 mars aurait-il lieu alors que l’actualité nous renseignait sur l’avancée de la pandémie liée au coronavirus ? On sentait inexorablement poindre le confinement qui nous a rattrapés au moment où j’écris ces lignes.

Mais ce mercredi 11 mars, nous sommes là, pour une séance particulière. Qui sommes « nous » ? Il y a les noms familiers de notre générique : Sabrina Redouane Bouras, professeure de français et d’histoire-géographie et Aude Lagarde, professeure documentaliste. Ce sont les personnages principaux et, n’ayons pas peur des mots, les héroïnes dans tous les sens du terme de cette série d’ateliers d’écriture.

Il y a aussi une invitée spéciale, une « guest star » comme on dit dans les séries télévisées, Maître Dalila Ahmedi. « Maître » caractérise aussi bien l’estime que nous lui portons que sa profession, avocate au barreau de Paris. Maître Ahmedi conduit une action, « Sapere Aude », auprès de jeunes publics, en particulier dans des établissements scolaires. La locution latine, empruntée à Horace, signifie « Ose savoir » et elle se donne pour missions d’apprendre à structurer un argumentaire, prendre la parole avec confiance devant un public, élargir sa culture générale et initier aux bases du système judiciaire français.

Notre audience, pour employer un terme à la fois de télé et juridique, sont les classes de PHPS (Première Hygiène, Propreté et Stérilisation) et de PMELEC (Première Métiers de l’Électricité et de ses Environnements Connectés).

L’atelier se présente en deux temps :
Un temps de questions/réponses sur le fonctionnement du système judiciaire français.
Un cas pratique à choisir parmi 3 où chacun tient un rôle dans un simulacre de procès. Maître Ahmedi a choisi des cas qui pourront se nourrir de la thématique principale de notre série d’ateliers, les stéréotypes de genre (cf. détail des 3 cas pratiques à la fin de ce billet).

Nous avons prévu que la séance de questions/réponses pour les PHPS se déroule pendant 15 minutes. Au bout de 45 minutes, nous devons y mettre un terme, alors que les élèves débordent toujours de questions. Moi qui me demandais comment les élèves réagiraient à cette séance, j’ai un début de réponse : ils sont passionnés ! Maintenant que les bases du système judiciaire ont été posées et que les rôles de chacun dans un procès ont été explicités, Maître Ahmedi répartit les rôles en deux groupes de cinq. La préparation du procès est studieuse. Maître Ahmedi répond patiemment aux questions, ce qui lui vaudra cette remarque de plusieurs élèves : « vous êtes très zen ». L’avocate insiste pour que les jeunes sortent de leur zone de confort et qu’ils ne défendent pas forcément les thèses auxquelles ils croient. À celle qui veut défendre l’accusé, elle demandera d’être le procureur ou inversement.

Les élèves se prêtent avec enthousiasme à l’exercice et le résultat est très probant. Les juges apprennent à distribuer la parole, les parties prenantes aux procès apprennent à attendre qu’on leur donne la parole pour la prendre, ils se font reprendre parfois sur le vocabulaire employé (non, on ne dit pas « objection » ni « votre honneur ») et les avocats de la défense sont particulièrement en verve pour plaider l’innocence ou l’allègement de peine de leurs clients. Lorsque le jugement est rendu, certains veulent aussitôt faire appel et plaider à nouveau la cause de leur client mais c’est trop tard, la contrainte de temps est implacable. Le jugement d’un procès n’est pas rendu alors que la sonnerie retentit. Qu’à cela ne tienne, les élèves restent, ils ne se lèveront qu’après le verdict, en remerciant Maître « Zen » Ahmedi.

La séance pour les PMELEC est plus courte, la présentation du système judiciaire se limite à la répartition des rôles à tenir lors du procès. Il y a plus d’élèves dans la classe, Maître Ahmedi forme 4 groupes. Le temps nous contraint à aller plus vite et ça marche aussi ! L’avocate vole de groupe en groupe, répond à la curiosité de chacun et lorsque les procès débutent, nous avons encore droit à de belles prestations et encore une fois, les avocats de la défense sont particulièrement astucieux pour plaider la cause de leurs clients. Comme ils sont les derniers à prendre la parole, ils relèvent les contradictions et apportent des éléments nouveaux au dossier. Et comme Maître Ahmedi a aussi joint à son document des textes de lois, ils s’appuient sur ceux-ci pour demander des allègements de peine en avançant des circonstances atténuantes. Ou selon la formulation juridique adéquate, en plaidant des éléments de personnalité pour atténuer le quantum d’une peine (c’est bien la preuve que les élèves ne sont pas les seuls à avoir appris de nouvelles expressions lors de cette séance !). Un autre essaiera de convaincre avec beaucoup de brio l’irresponsabilité de son client et sera déçu de n’être qu’à moitié écouté. Encore une fois, les élèves sont attentifs jusqu’au terme de la séance et les « au revoir sont respectueux. Nous savons aussi que ce sont peut-être des adieux.

Nous partons à la fois très heureux de cette séance et triste de cette peut-être dernière. Quelque chose s’est passé lors cette matinée avec les deux classes et pendant cette série d’ateliers : les élèves ont osé savoir et j’espère que j’aurai au moins une fois l’occasion de les revoir pour leur dire le plaisir que j’ai eu à les accompagner dans ce chemin.


Annexe


Cas pratique n°1

Un couple est séparé. Le mari souhaite entamer une transition du genre masculin au genre féminin. Son épouse, qui n’a pu le supporter, a demandé le divorce. Le couple a un garçon de 9 ans. L’épouse a obtenu la résidence habituelle de son enfant à son domicile.

Le père, en tout début de transition et qui n’a pas refait sa vie, dispose d’un droit classique d’hébergement de leur garçon, les week-ends des semaines impaires. Le père peut donc partager du temps avec son fils tous les quinze jours et pendant les vacances scolaires, sans pour autant que le dialogue ne soit rétabli entre les parents, la mère ayant sombré dans un état dépressif.

Au retour d’un week-end, en rangeant le cartable de son fils, la mère découvre une poupée et divers accessoires pour la changer, la coiffer, et des livres qu’elle aurait achetés à une petite fille et certainement pas à son fils.

La mère est prise d’une crise de violence et frappe son fils. Dans sa chute, celui-ci cogne sa tête contre le chevet de son lit.

La mère prise de panique l’emmène aux urgences. Le médecin téléphone aux services de Police Judiciaire, qui la placent en garde à vue. Le père est prévenu et se voit confier son fils. On constate une incapacité temporaire de plus de huit jours sur l’enfant.

À l’issue de la garde à vue, la mère est présentée au parquet et déférée en comparution immédiate.


Cas pratique n°2

Une jeune femme postule à un emploi en qualité de conducteur de travaux dans une entreprise de bâtiment. Il s’agit d’un poste d’encadrement des ouvriers et des fournisseurs sur les chantiers de construction de bâtiments.

Elle se présente à l’entretien vêtue d’une robe et d’escarpins. Le responsable de l’entreprise l’interroge beaucoup sur sa vie privée et très peu sur ses qualifications professionnelles. Il multiplie des compliments sur son allure et son physique. Il finit par lui proposer un emploi d’assistante à ses côtés, parce qu’elle est plus jolie en robe et talons qu’en salopette et chaussures de sécurité. Elle décline, lui indiquant qu’elle souhaite exercer son métier sur le terrain.

En la raccompagnant, le responsable multiplie les caresses sur le dos et tente de lui arracher un baiser. Elle répond d’un coup de genou et d’une gifle. Il tente de lui retourner la pareille mais les cris de la jeune femme ont alerté le personnel de l’étage, et le chef de la sécurité qui se voit contraint de téléphoner à la police.

La jeune femme et le responsable sont emmenés pour une audition simple au commissariat et chacun porte plainte contre l’autre. Une audience correctionnelle est prévue.


Cas pratique n°3

Amin, 17 ans, est surpris main dans la main avec Abel. Ils sont pris à parti par un groupe de jeunes de leur âge. Moqueries, bousculades et plaisanteries se multiplient.

Le grand frère d’Amin, 21 ans, passe par là. Il ne comprend pas la situation mais il protège instinctivement son petit frère Amin et son camarade Abel. Tous peuvent rentrer chez eux.

Le soir même, en larmes, la mère et la sœur d’Amin l’amènent aux urgences. Il a le visage tuméfié et les côtes fêlées.

La police est appelée, la mère et la sœur désignent le père et le grand frère comme agresseurs d’Amin lequel, trop affaibli, ne peut pas parler.

Le père et le grand frère sont placés en garde à vue.

24 mars 2020
T T+