Des stéréotypes de genre aux stéréotypes tout court

Le but principal de ma série d’ateliers d’écriture est d’interroger sur les stéréotypes de genre. Pour cela, Mme Redouane Bouras a sélectionné deux classes dans deux filières dont les choix d’orientation sont marqués par le genre :
Une classe de première Pro Hygiène Propreté Stérilisation (PHPS) majoritairement féminine.
Une classe de première Pro Métiers de l’Électricité et de ses Environnements Connectés (PMELEC), exclusivement masculine.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous avons consacré nos premières séances aux présentations des uns et des autres. Lors de la première séance, réunissant les deux classes, j’ai répondu aux questions des élèves sur mon parcours, mes livres, l’écriture, l’édition, etc. Lors des suivantes, les deux classes séparées, je leur ai donné la parole à travers des jeux d’écriture (un texte à trous, un questionnaire de Proust et un portrait chinois).

La question qui m’a été le plus posée lors de la séance de présentation était de savoir si je vendais beaucoup de livres, si j’étais riche et, accessoirement, si j’étais passé à la télé. Il y en a eu d’autres, pertinentes, intéressantes, brillantes même. Il ne s’agit pas de caricaturer cette séance foisonnante sur laquelle nous reviendrons plus tard.

Dans la classe des PMELEC, exclusivement masculine, j’ai été frappé par la convergence des réponses lors des jeux d’écriture. Parmi les références quasi unanimes, le rap, les films de gangsters ou sur les banlieues (presque tous avaient vu « Banlieusards » de Kery James et Leïla Sy sur Netflix), la volonté affichée de devenir riches, d’avoir du pouvoir et la fascination pour la drogue et les dealers. Cela m’a renvoyé à mon propre questionnement sur les stéréotypes dans l’écriture. J’ai beaucoup écrit sur les banlieues, en particulier sur les jeunes. On m’a quelques fois reproché d’user de stéréotypes. Outre que l’écrivain ne réalise pas une étude sociologique, et donc qu’il écrit des trajectoires singulières qui n’ont rien à voir avec une représentation d’un personnage-type, du banlieusard moyen, renonce-t-on à la description d’une partie du réel lorsque l’on ne regarde pas le stéréotype ? Il est devant moi, dans cette classe, comme il a jalonné ma vie en banlieue.

En l’occurrence, le « stéréotype » n’est ni valorisant ni dévalorisant, il ne s’agit pas de dire que le rap, les films de gangsters ou sur les banlieues et la volonté de devenir riche ou d’avoir du pouvoir sont mauvais en soi. On émettra plus de réserves sur la fascination pour le dealer, qui est probablement l’exacerbation d’une vision consumériste du monde. Elle est aussi liée à un effet d’identification et de proximité : quand le dealer est près de chez soi ou que c’est un pote, il montre la voie de l’argent facile.

Lorsque je demande aux élèves comment ils comptent devenir riches, les élèves sont le plus souvent à court de réponses. C’est un but en soi, un rêve en face duquel ils ne mettent pas de plan d’action, de modalités pratiques ou des intentions tellement floues qu’elles relèvent du vœu pieux. Ils veulent être riches parce qu’ils sont loin de l’être, comme ils le voient à la télé, avec exubérance et en empruntant des raccourcis, et parce que tout le monde a le fantasme d’être riche autour d’eux. Ils sont dans une filière professionnelle et pourtant aucun ne m’a parlé d’une activité en lien avec elle pour parvenir à cette richesse tant désirée. Le rêve d’argent, de pouvoir n’est pas propre aux banlieues ou aux lycées professionnels. Lors d’autres interventions, dans d’autres milieux sociaux, la même fascination pour l’argent apparaît. C’est l’écrasante majorité du rêve, les références et les moyens pour y parvenir qui distinguent les groupes que j’ai pu visiter.

Dans la classe de PHPS, majoritairement féminine, l’argent a été évoqué, mais pas aussi souvent. La figure du dealer ou de celui qui traîne dans le quartier a été mentionnée, de façon négative. C’est quelqu’un qu’il faut éviter, dont il faut se protéger. D’autre part, les élèves affichent une vraie fierté d’appartenir à leur quartier, elles le revendiquent comme un élément constitutif de leur identité. Il semble y avoir une relation de fascination/répulsion pour leur lieu de vie.

Dans une autre vie, j’ai fait des statistiques et je ne commettrai la conclusion hâtive de faire d’un échantillon non représentatif ou des observations tirées de ma propre vie une vérité générale. Mes écritures s’inspirent de mes expériences de vie, qui ne sont pas la vie dans les banlieues conçue comme un vécu commun. Mes expériences ont été faites de contrastes, de circonstances et de rencontres plus ou moins heureuses, de rapports à l’autre plus ou moins conflictuels… Je me retrouve dans les propos de Léonora Miano, que j’ai interviewée pour le magazine Jeune Afrique : « Les minorités attendent de vous que vous donniez une peinture du groupe que vous décrivez qui soit toujours valorisante. Décrire la complexité du monde, c’est restituer leur humanité profonde à des gens à qui on a voulu la retirer. » Je ne prends pas « le stéréotype » comme représentant de tous les banlieusards. Heureusement, dans un roman, on peut présenter une galerie de portraits qui montrent une diversité d’êtres et de destins, et quand on a la chance d’avoir publié plusieurs livres, on peut braquer les feux sur une diversité de parcours.

Photo tirée du clip "Stress" de Justice

29 novembre 2019
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