Dialogues de sourds et de millionnaires (extraits)

Comme annoncé, et promis, dans le précédent article, les élèves ont écrit de nouveaux textes inspirés de La demande d’emploi de Michel Vinaver. Les élèves ont pu s’appuyer sur des répliques des dialogues qu’ils et elles avaient écrits dans les séances antérieures. Peu àpeu, les élèves apprennent àécrire spontanément ces dialogues, "àla Vinaver", qui ne se répondent pas systématiquement, ou qui se croisent. Une place est laissée àune forme d’énigme ou d’absurde. Le temps semble suspendu. Coupées d’un contexte ordinaire, certaines phrases ont de nouvelles résonances. Quelque chose comme de la poésie survient. Il y entre aussi du jeu et un appel au jeu, ces dialogues ne demandent plus qu’àêtre... joués ! Et c’est pour bientôt...

Voici quelques extraits :


Jean (soldat), Mamadou (se fait recruter), Sophie, n’est pas dans la salle, la mère, le fils, A : autre personnage, A1 : encore un autre, A2 : encore un autre, etc.
( ) : dans la tête ; [blablabla] : ça veut dire que le personnage parle mais que l’autre n’écoute pas.

Jean : Bonjour Monsieur.
Mamadou : Bonjour.
Jean : Pfff, hahaha, mec, t’as pas besoin de familiarité avec moi, on se connait depuis un bail.
Mamadou : Je sais, frère.
Jean : Ça va.
Mamadou : C’est rien
Sophie : (Papa)
Jean : Ah, c’est rien, si je vous rappelle, c’est car [blablabla]…
Sophie : (Je suis désolée)
Mamadou : Attends, ne pars pas.
Jean : Monsieur ?
Mamadou : Je suis désolé, je suis un peu dans les nuages.
Jean : Je comprends, comme je vous disais… [blablabla]
Sophie : Papa, je suis vraiment désolée, peux-tu me pardonner ?
Jean : Monsieur ?
Sophie : Papa, je ne recommencerai plus, c’est promis.
Bam
Mamadou (crie) : Ah !
Jean : Mamadou.
Sophie : Papa, je t’aime.
La mère : Chérie, comment as-tu pu laisser passer ça, c’est quand même ta fille.
Le fils : T’es vraiment un monstre.
La mère : Je te hais.
Sophie & Fils : Papa, veux-tu jouer avec nous ?
Mamadou : D’accord, les enfants.
Jean : Vous pouvez me répondre, ça fait 10 minutes que j’attends, je n’ai pas que ça àfaire.
Mamadou : Je suis vraiment désolé.
La mère : T’es
Fils : Vraiment
Sophie : Un monstre
A : Connard
A1 : Comment as-tu pu laisser passer ça ?
Jean : Monsieur ?
A2 : Mais c’était ta fille
Jean : Reprenez-vous, ne faites pas ça.
A : Ne me parle plus jamais.
Jean : Monsieur
A4 : Tu te rends compte, c’est quand même ta fille.
Jean : S’il vous plait, ne bougez plus.
A5 : Si j’avais su que tu étais comme ça
Jean : Reculez doucement
La mère : Je ne t’aime plus, pire que ça, je te hais.
Jean : Oui comme ça.
Fils : Tu mérites vraiment de crever.
Jean : Non, non, non, arrêtez-vous (Il crie, en ayant l’air stressé, choqué, apeuré.)
Mamadou : Je suis vraiment désolé.
Jean : S’il vous plait, ne faites pas ça.
Mamadou (regard de quelqu’un ayant des regrets mais avec un petit sourire, ils sont au 18e étage d’un immeuble)
Jean (crie) : NON.
Mamadou tombe dans le vide mais il avait l’air heureux dans ces derniers instants.

…
Il est quelle heure ?
Y’a quelqu’un
La société est injuste
J’espère que tu vas bien ?
Parce que je suis malade
Tu viens d’où
Je veux devenir millionnaire pour racheter
Ça fait maintenant dix ans que je suis femme de ménage et toi pilote
Pour racheter quoi
Bah je sais pas y’a l’autre il m’a volé mon épée et toi
Je me suis sacrifié pour toi, je t’ai cédé ma place en tant que pilote
Mais avoue, ça a changé ta vie.
Bah je suis un paria, le Japon, ils m’ont jeté parce que j’étais noir.

…
Tu veux me racheter, moi, Aymen ?
Du pain
Idiot, je nage
Tu fais toujours des caprices
Et pourquoi donc ?
T’as peur de quoi, on est venu changer l’ampoule
J’aime bien le Brésil
Rendez-vous 14h
Oui mais pourquoi tu m’as demandé d’être ton assistant
Je ne serai jamais ta propriété, sache-le
Comment ça ?
Oui je sais
Frère t’es chiante

…
Steak ou poulet
Je dois me tenir àdes béquilles tellement je n’ai pas d’équilibre
Tu auras beau faire, tôt ou tard, je t’aurai
Je vais te dire la vérité, après tu t’en vas
1 X 1
Un
Pour des raisons personnelles
Elle est chiante ta mère
Tu veux je termine ma phrase ou pas ?
Et toi
Ils ont saisi ma maison
Unpayay
En vrai de vrai c’est nul d’être grand
T’es con
Je t’ai dit 300 € elle en a besoin
Ça va
Je ne sais pas encore, peut-être au Brésil
J’ai la flemme
Je ne serai jamais ta propriété, sache-le
Jamais !
Comment
Mais prépare
T’es con
Racheter quoi ?
Bah ouais, fais attention la prochaine fois
Allez, ça lui fera plaisir pour une fois de nous voir faire quelque chose qui change ensemble
Je crois que je vais aller en Turquie
J’t’ai dit c’est àtoi de le faire

…
J’ai cassé ma voiture, et je pars après-demain, j’dois y être absolument vendredi.
Tu parles àqui, toi ?
Elle est chiante ta mère
T’es con.
Woaw un bousier qui parle. Ça parle, un bousier ?
Tu me cherches.
C’est très courtois un bousier, c’est aussi dégueu.
Oui comme tout le monde.
Bon donne-moi ce que je veux et on en reste là.
Bah attends, ça vient pas sur demande.
Oui mais ça m’énerve. C’était pas ma faute.
Bon attendons une heure àpeu après
OK c’est le max.
Mais je sais pas tu veux combien ?
Je t’ai dit : 300 €.
Merde.
Merde le caca ou merde genre mince ?
Bah les 2.
J’irai au Maroc.
En bateau.
Non en avion.
Avec max 200€.
Bah j’ai pas de voiture ni d’argent.
J’ai faim.
Faim de merde.
Faim d’argent.
J’ai froid moi.
Bah fais attention la prochaine fois
Tu parles àqui, toi ?
Je t’ai dit, c’est pas ma faute, moi j’étais pas sà»r.
À toi.

...
Il arrive parfois que des élèves écrivent comme ça un texte qui ne répond pas directement àla consigne proposée, mais prend un chemin détourné et surgit un peu comme une fleur. En voici un bel exemple :

A : Toi, lycéen, habites-tu ta chaise ?
B : Dans un sens, oui.
A : Dis-m’en plus.
B : Monsieur Ruir, j’habite la chaise sur laquelle je suis assise durant un temps limité, j’occupe cet espace, donc, dans un sens, c’est une forme d’habitation àtemps partiel.
A : Et la ville de Paris, vous l’habitez aussi, non ?
B : J’habite Paris àtemps complet car c’est làque je vis, où j’ai mes habitude illimitées, mon quotidien et mon habitat est mon jardin secret, mon chez-moi, mon intime, làoù il y a tous mes repères.
A : Donc on peut habiter partout et nulle part àla fois ?
Oui, exactement. Que ce soit une ville, une maison, une île ou encore même une chaise, je peux l’habiter quand bien même elle m’appartiendra ou non.

18 mai 2023
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