Paris 18, épisode 1

Ces textes constituent un fond de notes pour une composition prochaine. Ils sont adressés aux « acteurs » de la Compagnie Résonances. Ils sont écrits àpartir de citations autour du thème du tissu, àpartir de poèmes accompagnant des repas distribués dans le 18e arrondissement et autour de quelques réflexions sur les fameux confinements et déconfinements bien connus. Certaines citations sont des invitations àécrire.



Étoffes chatoyantes, tissus enflammés, réseaux de rues, de pensées et fantaisies textiles. Notes diverses et préparatoires. Propositions d’écriture.


Loin du 18e arrondissement, dans le silence du confinement. Il paraît que la Belgique confine àla France. En cette retraite forcée où des circonstances passagères me confinent. Dans le pur silence d’une ville, j’écoute la machine àcoudre que manipule avec dextérité une humble couturière confectionnant des masques pour le personnel médical subissant la pénurie due àl’impéritie des soi-disant gouvernants.

Ces masques ont la face externe d’un beau bleu livide et la face interne blanche et leurs liens sont vert pomme.

J’écoute et je pense, tissant àma façon, suivant le fil de ma pensée.

« Â Dans le ventre de la travailleuse, il y avait un trésor.  » C’était une travailleuse s’ouvrant en soufflet d’accordéon, en bois léger couleur acajou. Elle contenait les bobines, les coupons, les dés àcoudre qui devenaient les armures des dix doigts d’un jeune chevalier et les tapotements sur les meubles et les murs irritaient l’humble ouvrière àdomicile, la travailleuse dans le ventre de laquelle j’ai passé les plus beaux mois de ma vie, dans un confinement délicieux, au cÅ“ur pourtant du tissu urbain.

Les tissus, ma mère les appelait « Â matirial  » avec son accent russe un peu rauque. Si on consulte le dictionnaire on apprend que le mot étoffe aurait signifié matière. Elle était ma mère matérielle et même matérialiste.

J’écoute et j’entends le léger crissement des deux lames des ciseaux et ça me parle comme des oiseaux. Et j’entends les chocs de la craie sur le bois de la table, et le son cadencé, les crépitements de la machine àl’œuvre pour la confection de mille masques. Bas les masques, ministres et fossoyeurs ! C’est la trêve des confiseurs.

La haute couture se met au masque.

Bientôt, nous ne sortirons dans le tissu feutré des rues que masqués et nous pourrons impunément crier dans la rue et dévaliser les boutiques de luxe. Les belles iront masquées désormais et les laideurs de tous les sexes seront invisibles. Et, c’est bien connu, les yeux des humains ne sont jamais laids.

On aura réquisitionné les ateliers de prestige. Les actionnaires ne toucheront plus leurs dividendes…



Propositions d’écriture.


Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Petits Enfants de Résonances, peut-on prolonger les phrases qui vont suivre ?

Par exemple celle-ci :

« Â Elle aimait les étoffes qui font du bruit, les jupes longues craquantes, pailletées  » qui pourrait être prolongée de la façon suivante : Elle marchait de long en large dans son appartement silencieux, rien que pour entendre les murmures des tissus sur son corps en mouvement, dansant la danse basse qu’elle venait d’apprendre, levant les bras pour produire le crépitement de son caraco glissant sur la soie du bustier. Et son chat la suivait des yeux avec grande attention…

Je continuerai àopérer de la même façon, sans chercher àcharpenter mon histoire mais simplement pour rassembler des matériaux d’écriture.


A vous de travailler si cela vous chante. D’autres propositions suivront. Je vais également m’intéresser aux différents tissus du corps, aux tissus cellulaires.

Voici mes premières propositions :


« Â L’impératrice était habillée de satin blanc brodé d’argent  »

« Â Pour courir mieux, ils ont relevé, dans une lanière de cuir qui leur serre les reins, les deux pans de leur robe bleue, mettant ànus leurs cuisses longues et musclées  »

« Â Parfois, une dame, aux bas de soie verts, est assise sur une ânesse blanche  »

« Â En vérité on croirait voir les doigts effilés et les manchettes éteintes de quelque marquise sortir des burnous de ce vieux détrousseur  »

« Â Leurs maîtresses portent des tuniques de soie brochées d’or, atténuées sous des tulles brodés ; de hautes ceintures en soie lamée d’or, raides comme des bandes de carton soutiennent leurs gorges  »

« Â Il porte une robe jonquille, atténuée d’un surplis de gaze blanche, un burnous bleu pâle  »

« Â Elles portaient des escarpins, des bas de fil blanc, des jupes brodées, en forme de corolle, gonflées par les jupons de dentelles, des corsages lacés et, sur le sommet du chignon, un flot de rubans fixés àun petit calot  »

« Â Leurs habits sont de lin, avec des franges autour des jambes ; et par-dessus, ils s’enveloppent d’une espèce de manteau de laine blanche avec lequel on ne les ensevelit pas  »

« Â Les femmes portent, par-dessus leurs vêtements, une camisole blanche àbords rouges, et sur la tête une espèce de mitre, de laquelle pendent des glands de verroterie  »

« Â C’est une joie physique de reprendre de moins épais voiles de laine blanche, dans l’air subitement attiédi et saturé d’arômes  »

« Â Les femmes apparaissent, qui marchent légères et sans bruits sous de noires draperies de fantômes  »

« Â Il est habillé d’une robe de soie rouge semée de flammèches jaunes, dont les manches pendantes touchent presque terre  »

« Â Elles portent une haute coiffure rigide, pailletée d’argent ou d’or. Leur veste, d’une couleur éclatante, a des manches qui s’arrêtent au-dessus du coude ; c’est pour laisser échapper les longues manches pagode taillée en pointe  »

« Â En hiver c’est la couleur ‘azalée’ que je préfère. J’aime aussi les habits de soie brillante et les vêtements dont l’endroit est blanc et l’envers rouge sombre  »



Eugène Savitzkaya, le 18 avril 2020

30 décembre 2020
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