Laurent Contamin | Explorer

Plusieurs types de blocs de grès s’offrent au promeneur en forêt de Fontainebleau : les rochers "remarquables", répertoriés par Denecourt et Colinet au XIXe siècle - estampillés d’une lettre, ils évoquent telle ou telle forme qu’on s’amusera à reconnaître (casquette de jockey, tête de chien...) ; les rochers à varappe, qui attirent depuis une trentaine d’années les grimpeurs du monde entier - de discrets numéros y sont inscrits, de petites flèches, propositions de parcours verticaux... ; enfin, hors des sentiers battus cette fois, les roches gravées.

Il faut être guidé par quelqu’un qui sait où en trouver (près de 3000 roches gravées, tout de même), et vous emmènera dans les futaies, parmi les chênes et les pins, vers une excavation bien camouflée où vous pourrez observer à loisir des figures et des symboles datant, pour les plus anciens, d’il y a 8000 ans, d’avant l’écriture, donc, à l’époque où l’Homo sapiens chassait le rhinocéros laineux sur les rives du Loing et, on ne sait pourquoi, éprouvait parfois le besoin de monter sur les massifs rocheux avoisinants pour donner du silex sur les parois des grottes : quelques bonshommes, deux cervidés... mais pour l’essentiel, très peu de représentations - plutôt des signes, des hiéroglyphes (enceintes, "marelles", étoiles...), un alphabet de symboles qui cherche encore son Champollion pour être déchiffré. Jacques Roubaud pensait, paraît-il, que les graveurs se succédaient, sur des temps longs, ajoutant chacun son trait au dessin précédent, anticipant ainsi de plusieurs millénaires la vogue des cadavres exquis.

Après vous avoir fait admirer cette fresque de signes qui offre, sur quelques mètres carrés de grès, un précipité temporel à vous donner le vertige (car à ces premiers signes rupestres s’agrègent des tracés médiévaux, puis napoléoniens) votre guide ramassera une poignée de sable qu’il dispersera négligemment sur sa putative pierre de Rosette, la dissimulant au regard indiscret d’un promeneur non initié. Et vous repartirez, dérangeant un lézard vert ou un chevreuil, rejoindre quelques dizaines de mètres plus bas les chemins balisés de la forêt touristique.

6 juin 2019
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