Hors des limites de l’archive

La soirée Hors-Limites, où en tant que résident ÃŽle-de-France j’ai pu inviter Antonin Crenn àlire des extraits de son roman en cours d’écriture Rue des Batailles, s’est déroulée vendredi 14 avril 2023, filmée ci-dessous par Arnaud Gautier pour Remue [1]. Nous avons lu en tricotant, comme dit Antonin, nos textes, qui se font écho, avant d’être cuisinés par le public sur nos méthodes. Le sujet des archives, des généalogies, et aussi de ce qu’on ne trouve pas, ou qu’on ne veut pas trouver, de ce que les outils de la fiction apportent, permettent, et limitent, tout cela a intéressé tout le monde et les débats autour d’un verre furent animés de ce goà»t de lier écriture et archives. Par exemple, j’ai parlé du fonds privé pour lequel j’avais fait une demande d’accès en février, pour espérer trouver des journaux de marche [2] mentionnant la Source K. Il faut une autorisation des ayants-droits, les documents sont àVincennes. Après cette conversation, en rentrant chez moi, ouvrant la boîte aux lettres, après deux mois d’attente, j’avais un courrier positif du SHD ! Il me reste àtrouver un créneau, et àaller dépouiller ces documents...

Dans les en-cours. Il y a les lectures auprès des agents de la ville, dans les magasins d’archives, qui ont commencé. Entre 10 et 15 personnes par visite, et déjà7 créneaux de prévus. Valérie Barbier-Vaillant ouvre les portes coupe-feu, fait rouler les épis, ouvre les cartons, déplie les cartes, et je lis des extraits. On se rend compte que l’on peut zoomer d’un fond de carte de 1943, àun permis de construire de 1934, au tiroir même du commerce où se trouvaient les comptes de rationnement et les quantités d’huile, de vin, de lait, en 1941, 42, 43. On discute avec les visiteurs, on découvre aussi des histoires familiales. Le passé qui est stocké ici, sur plus de 1500 mètres linéaires, est important.

Nous préparons également une visite-lecture pour le groupe de CM1, plus proche de l’atelier découverte, qui aura lieu en juin. J’essaierai de capter du son àcette occasion, que l’on puisse entendre les voix des enfants, dans les archives, avec leur enquête et leurs recherches àfaire.

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Et le texte ? Pour écrire un repas de 1942, par exemple, ça demande pas mal de recherche et de patience. Dans la description, des lieux, des personnages, par des petits riens, qui peut-être n’indiquent pas grand-chose, mais je ne peux pas dire trop, c’est comme de manipuler un très ancien papier qui risque de s’effriter au moindre geste maladroit, emportant avec lui tout espoir de texte.

Il faut lire, méditer beaucoup, toujours penser au style & écrire le moins qu’on peut, uniquement pr calmer l’irritation de l’idée qui demande àprendre une forme et qui se retourne en nous jusqu’àce que nous lui en ayons trouvé une exacte, précise, adéquate àelle-même. Remarque que l’on arrive àfaire de belles choses àforce de patience et de longue énergie.— Flaubert àLouise Colet, Rouen, 13 décembre 1846. Correspondance, Édition électronique, par Yvan Leclerc et Danielle Girard.

Et puis àchaque instant, je découvre un pan entier d’histoire qui renverse tout ce que j’avais établi. Cette histoire d’Alsaciens, je n’avais pas pris la mesure. On connaît mal l’histoire de l’Alsace. Ce n’est pas normal. De Jung, Riss et Keller, qui parle alsacien au quotidien ? Chez lui ? Ou entre eux quand ils se croisent ?

Et voilàqu’ils se mettent àjouer au billard entre deux coups de pioche, entre les trois fouilles, une réelle, deux imaginaires, préparant, toujours préparant, alors qu’on approche du 19 avril 1942.

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21 avril 2023
T T+

[1On remerciera énormément Sébastien Zaegel, du Festival Hors-Limites, grâce àqui cette rencontre a pu avoir lieu !

[2Comme un journal de bord d’un bateau, mais pour une armée qui marche (et qui roule), ai-je appris.