L’atelier "Portrait étrange" |2

Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire un portrait théâtral, qu’est-ce que ça peut être, à quoi ça peut ressembler ?

Et pour commencer, comme presque toujours cela se fait, nous faisons un tour de table afin que chacun brièvement se présente.

(Les tours de table… Chacun autour de la table se souvient d’autres tours de table et les questions qui nous pressent alors. Qu’est-ce qu’on décide de dire, qu’est-ce que cela dit de nous, qu’est-ce qui nous échappe, comment se présente-t-on aux autres…
Je me souviens, lors de mes études de théâtre, nous devions à chaque nouvel intervenant réitérer ces brèves présentations, nous étions une quinzaine, le contenu, les mots variaient peu d’une fois à l’autre, mais tout de même, il nous arrivait d’en apprendre un peu plus sur un ou une camarade, et même d’être surpris.
Ces présentations esquissent déjà des portraits.)

Ce tour de table donc, du premier jour, je l’enregistre. Puis, chacun, à tour de rôle, s’assoit sur une chaise en face de nous, écoute à l’oreillette les présentations et répète, au fur et à mesure ce qu’il entend.
Ce qu’on entend, nous, immédiatement, ce sont des voix, des rythmes, des silences, des intonations, musiques. Naissent même parfois des mouvements, des élans, des silhouettes.

Je pense à ce film de Jean Eustache “Une sale histoire” avec Michael Lonsdale et Jean-Noël Pick. Un film en deux parties : un premier volet, fictionnel, joué par M. Lonsdale raconte l’itinéraire d’un voyeur, un second volet, documentaire, montre J.N. Pick expliquer cette même histoire. Le texte est à l’identique.

Mais là, avec l’oreillette, c’est assez flagrant, les voici traversés par des voix, des esquisses de personnes.

Puis je leur demande de former des duos, chacun se présente, en un temps imparti, à l’autre qui lui, écoute, et ne pose pas de question. Puis l’un s’assoit sur une chaise face à nous pendant que l’autre nous le présente. Ce petit exercice permet de questionner la mémoire immédiate, ce qu’on retient, pourquoi, les connexions qui se font avec la personne, les détails, les mots qui reviennent, qu’on retient, le rythme de la mémoire.
On se dit que c’est un peu de l’archéologie.

Les connexions.
Le portrait ne se situe-t-il pas dans la rencontre ?
J’emmène en moi ton visage et ton histoire, ce que tu en dis, ce que j’en entends, perçois, ce que je vois.
Ou quelle impression me fais-tu ? Ce que tu imprimes en moi, ce que tu laisses comme trace (comme un procédé photographique).
On se rend compte déjà que cela demande beaucoup d’écoute, d’observation, une écoute particulière. Flottante diraient les thérapeutes ?

Un exercice d’écriture (emprunté à François Bon) :
Maintenant, fouillez votre mémoire pour relater votre généalogie avec “celui qui”, “celle qui…” Une phrase par personne souvenir.
Défilent des silhouettes, enveloppées de mystère.
Cela forme une foule d’anonymes, petits portraits d’anonymes.

On réfléchit, on rêve de ça, des silhouettes, parce qu’un portrait, on le sait, il ne peut pas contenir la personne entière.

17 février 2020
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