La boîte àécriture

de Milorad Pavić (Le Nouvel Attila)


On appelait boîte marine le coffret dans lequel les marins rangeaient autrefois les objets précieux et les carnets qu’ils emportaient avec eux àbord. La boîte dont il est ici question est l’une d’entre elles. Elle est passée entre de nombreuses mains et a été achetée par le narrateur dans un restaurant de Budva en 1998. C’est le contenu de ce bel objet en acajou – pesant environ quatre kilos (« Â autant qu’un petit chien  », avait précisé le vendeur) – qu’il se propose de répertorier. Dedans, au hasard des tiroirs et des compartiments, il découvre divers documents qui aident àconnaître l’identité et l’itinéraire des personnes qui ont précédemment possédé la boîte.

« Â Au moment où la boîte àécriture s’est retrouvée entre mes mains, elle n’était pas vide. Elle contenait divers objets sans grande valeur qui appartenaient en partie àson premier propriétaire au dix-neuvième siècle, et en partie, de toute évidence, àcelui qui l’avait emportée au large vers la fin du vingtième siècle.  »

C’est la vie de ce dernier qu’il va mettre àjour. Mais il lui faut, auparavant, extraire toutes les pièces de leur cache étanche et les relier les unes aux autres. Il y a làquarante-huit cartes postales, un manuscrit de Paris enveloppé dans une bande dessinée anglaise, une bande magnétique, cinquante-trois pages arrachées d’un livre, une photographie, un journal de bord et quelques autres documents où apparaissent de plus en plus clairement les protagonistes d’une histoire qui, en plus de les lier intimement, les fait voyager dans une Europe qui ne se porte pas au mieux.

« Â Chaque fois que l’Europe tombe malade, elle cherche àsoigner les Balkans.  »

Le couple qui se déplace dans le livre, construit de main de maître par Milorad Pavić (1928-2009), l’auteur du célèbre Dictionnaire khazar, circule entre Paris et Kotor avec escale àBudapest, Salonique ou Trieste en passant par la Yougoslavie en guerre. En chaque lieu de villégiature se déroule une histoire apparemment autonome avec, sur le devant de la scène, l’un ou l’autre des deux personnages principaux. Peu àpeu, la boîte àécriture infuse sa magie. Elle regorge de malices, d’aventures entraînantes, d’odeurs enivrantes, de jeux, de désirs, de duels amoureux. C’est ce que son détenteur découvre au fil de ses investigations. Tous les documents qu’il consulte s’emboîtent et finissent par former bloc.

Le livre conçu par Le Nouvel Attila est un objet superbe. Ses variations de couleurs et de caractères et sa judicieuse mise en page s’adaptent parfaitement aux différents registres d’écriture que déploie, avec une assurance tranquille, et non sans humour, le fabuleux inventeur (et raconteur) d’histoires qu’était Milorad Pavić.


Milorad Pavić : La boîte àécriture, traduit du serbe par Maria Bejanovska, Le Nouvel Attila.

Jacques Josse

18 février 2021
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