Laurent Contamin | Représenter

Comment représenter la forêt ? C’est la question que n’ont cessé de se poser les colonies d’artistes qui ont fréquenté le massif forestier de Fontainebleau. Dans la mouvance de ce qu’on a appelé sans doute un peu abusivement « l’école de Barbizon », les artistes présentés au château-musée de Nemours dans le cadre de l’exposition Bords du Loing et forêt de Fontainebleau, un rendez-vous d’artistes (1850-1914) offrent une palette d’interprétations du motif sylvestre étonnamment plurielle : du classicisme à l’impressionnisme en passant par le naturalisme, l’arbre se détache comme sujet, la lumière comme motif, la forêt comme théâtre. Les reflets, dans les mares ou les cours d’eau, affranchissent la couleur, lui ouvrant des espaces de liberté inédits (Chadwick, Marché), tandis que le cadre et la perspective qui structurent les scènes de rochers et de bois sont, on le sent, fortement marqués par le développement de la photographie (voir certaines aquarelles d’Allongé, les huiles de Kreutzer…). Et comment ne pas sentir les eaux-fortes de Bodmer ou de Bléry entrer en résonnance avec les gravures rupestres in situ ?

Le plus intéressant pour moi, dans cette question de la représentation du motif sylvestre, reste néanmoins l’émergence du symbolisme, que l’on doit peut-être au rayonnement d’artistes marlottins [1] autour d’Armand Point et de son phalanstère de Haute-Claire. A la toute fin du XIXe siècle, la manière dont Point, alors âgé d’une trentaine d’années, parvient à capter la nature en la centrant autour de sa muse Hélène Linder, trace clairement le cap : la forêt (souvent vespérale, voire nocturne) est le lieu rêvé pour faire dialoguer, visuellement, paysages extérieurs et paysages intérieurs. La forêt n’est plus le cadre, ni même le motif : elle devient espace mental, état d’âme, mystère.

27 février 2019
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[1Marlotte n’était pas encore réuni à Bourron