Le temps s’est endormi sous le soleil de l’après-midi
On m’avait donné rendez-vous un dimanche à 16h au sous-sol du Centre Pompidou, où quelqu’un me raconterait un livre que j’avais choisi pour son titre. On ne me donnerait pas à entendre un livre entier, mais un extrait de trente minutes dit à haute voix par quelqu’un qui, en le disant, le rendait "vivant". Ou que le livre rendait vivant.
J’avais choisi L’enfant noir de Camara Laye dans une liste où aucune femme ne figurait : Un désir fou de danser, d’Elie Wiesel, I am a Cat de Söseki Natsume, Le petit prince d’Antoine de Saint-Exupéry, In the solitude of cotton fields de Bernard-Marie Koltès, Confessions d’un mangeur d’opium de Thomas de Quincey, La vie est ailleurs de Milan Kundera, choisis par des femmes et des hommes pour les dire à d’autres, performers auxquels la chorégraphe Mette Edvardsen, à l’origine du projet, demande d’être des « livres vivants ».
Les "livres vivants" peuvent dire leur texte dans une bibliothèque, un centre d’art, une fondation privée, un centre chorégraphique, un musée, à l’intérieur ou dans un jardin, à Mexico City, Sao Paulo, Courtrai, Oslo, Londres, Bologne, Séoul, Condé-sur-L’escaut, chacune et chacun choisissant un ouvrage dont le contenu doit être appris par cœur pour être lu, ou plutôt dit, à quelqu’un d’autre qui le retiendra autrement.
Dès qu’il est arrivé, le "livre vivant" qui allait me lire L’enfant noir m’a proposé de nous installer plus loin pour éviter le brouhaha ambiant. Nous avons emporté nos deux chaises et nous sommes installé.e.s tout au fond de l’espace, là où plus personne ne se rend. En regardant ce "livre vivant" commencer sa lecture sans texte, je voyais un homme entre 40 et 50 ans avec un léger accent créole : Jude. Et tout au long des 30 minutes pendant lesquelles il m’a raconté par cœur un extrait de la vie de Camara Laye enfant, je me suis projetée dans une concession de cases et de forges, où les serpents n’étaient pas tous mauvais, où des existences d’autres temps et sous d’autres cieux prenaient vie dans mes oreilles tandis que la voix de Jude devenait celle du texte, en chair et en os.
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