Plus rien dire sans toi présentation du livre sur le
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Minuit, avec les premières pages
Rares sont les livres qui nous font vivre des jours durant dans leur orbite. Toutes les choses que l’on vit prennent un sens différent par rapport à ce qui reste imprégné dans la tête. On se déplace dans l’ombre des personnages, on se surprend à les voir là, marchant devant vous, on reconnaît leurs jambes, leur pas, les gestes des mains, ou le port de tête. On est soi-même porteurs des sentiments des uns et des autres, au gré de la journée on change, on est poussé hors de soi, pris en charge. Les mots entendus ne correspondent pas à cet état intérieur, mais plus sûrement le bruit des perceuses, ce vrillage en règle comme un langage qui s’acharnerait à attaquer au plus profond, creuserait, ouvrirait des brèches dans notre construction. Ecoute, écoute, écoutez-moi, vous allez m’écouter. C’est l’histoire d’un type qui gagne sa vie comme garçon de compagnie d’une vieille Great Lady. Il écrit chaque soir à son amie – celle avec qui il a eu cette conversation blanche sur fond de carrelage et de lavabos - des mots qu’aussitôt ses actes démentent. Lui, c’est le contraire. Sur la vieille dame qu’il assiste il a des mots très durs, une lucidité mauvaise. Mais des gestes de tendresse, une attention réelle. C’est dans les mauves, roses et vert-de-gris, en nuances. L’amour, la tendresse, l’innocence au milieu du sordide, de la vieillesse, des compromis, de l’indifférence, des humiliations. C’est un livre sur l’à quoi bon des mots et pourquoi malgré tout ils sont notre dernier recours, ces mots qui trahissent, et les gestes parlent parfois mieux que la langue, langage plus vrai du corps. Mais comment vivre avec cette trahison quand on fait profession de parole, que c’est justement avec les mots que l’on a pensé un jour pouvoir gagner sa vie, dans des livres ou au théâtre ? Seule compte l’obstination de dire, avec ou sans les mots, et parfois la surprise d’un chuchotement venu d’où on ne l’attendais pas. Ne me quitte pas, dit la Great Lady, et ces simples mots sont une libération, ils ouvrent les vannes d’un nouveau langage. Les mots de Jacques Séréna jaillissent et ne nous lâchent plus.
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