chez 1001 Nuits, un livre collectif: L'Algérie des deux rives coordonné par Raymond Bozier
Raymond Bozier
Quelques raisons qui m’ont conduit à publier
L’Algérie des deux rives 1954-1962
Je n’aime pas les Républiques qui favorisent et entretiennent
l’amnésie collective. Je n’aime pas que la
République
française m’ait caché la vérité
sur le colonialisme, qu’elle ne m’ait jamais rien dit
des massacres répétés des populations indigènes,
de sa violence institutionnelle (le ton ayant été
donné dès le départ par un certain Savary,
massacreur en 1832 de la tribu des Ouffas : « Des têtes…
Apportez des têtes, bouchez les conduites d’eau crevées
avec la tête du premier bédouin que vous rencontrerez.
»), du travail obligatoire et gratuit, pouvant aller jusqu’à
6 mois, qu’elle imposait jusqu’en 1945 aux populations
dominées, pour le plus grand profit des colons et de l’administration,
des privations de droits, des déportations de population
durant la guerre d’Algérie, de son racisme ordinaire
et blanchâtre (« Les races supérieures ont
un devoir vis-à-vis des races inférieures. Je
dis qu’il
y a pour elles un droit parce qu’il y a un devoir pour elles.
Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures…
» dixit Jules Ferry, le grand Jules de l’éducation
libre, laïque et obligatoire, dont sera privée la
grande majorité des enfants d’Afrique, de Madagascar
et d’Asie.),
des humiliations… Et tout cela au nom de la mission civilisatrice
de la patrie des droits de l’homme. Pauvre Liberté
! Pauvre Egalité ! Pauvre Fraternité !
Je n’aime
pas les amnisties. Elle servent trop souvent à
masquer les responsabilités de ceux-là même
qui les ont prononcées, et puis surtout elles interdisent
le droit à l’expression des victimes et de ceux
qui les soutiennent, ou travaillent à faire émerger
la vérité (toujours complexe et difficile à faire
sortir du puits). Ainsi par exemple, accuser publiquement Le
Pen
d’avoir torturé durant la guerre d’Algérie
(crime de guerre amnistié par De Gaulle), mène tout
droit devant les tribunaux de la République, et garantit
d’une condamnation en bonne et due forme.
Je n’aime
pas ce que la République française
a fait après 1945, à Madagascar, à Haïphong,
Au Maroc, en Côte d’Ivoire, à Sétif...
Je n’aime pas les silences de Gaulle à propos des
massacres perpétrés en plein cœur de Paris,
sous les ordres de Papon, le17 octobre 1961, puis le 8 février
62. Je n’apprécie
pas plus l’attitude des Guy Mollet et François Mitterrand
tout au long de cette période. Toutes choses qui expliquent,
en partie, pourquoi le débat sur la guerre d’Algérie
est si difficile à mener ici en France, où les
gaullistes et les socialistes sont si nombreux, et où l’extrême
droite peut tranquillement poursuivre ses dangereux combats
d’arrière
garde.
Je me souviens aussi du climat étrange qui régnait
en France durant les années 50 et au début des années
60. La guerre, à la fois proche et lointaine, avait quelque
chose d’irréel. On voyait partir, nos oncles, nos
voisins. On écoutaient l’œil vert de la radio,
on voyait trembler la pièce de tissu qui couvrait le
haut-parleur. On lisait la Nouvelle République du centre
ouest. Les journalistes parlaient de troubles, d’attentats,
de maintien de l’ordre…
Plus tard les oncles, et les voisins sont revenus. Ils préféraient
ne plus parler de cette histoire, faire comme si elle n’avait
jamais eu lieu. De temps en temps, pourtant, ils lâchaient
quelques bribes, puis retombaient dans leur mutisme… Vraiment
les choses n’étaient pas claires.
C’est
tout cela (plus d’autres choses encore qui demanderaient
un très, très long développement), qui
m’a
conduit à demander à des écrivains français
et algériens, nés après 1945, d’écrire
sur les années 54 – 62. Et il me semble que les
textes rassemblés dans « L’Algérie
des deux rives
», apportent, chacun à leur manière, leur part
d’éclaircissement à cette sombre histoire
de la République des droits de l’homme.
chez 1001 Nuits, un livre collectif:
L'Algérie des deux rives
coordonné par Raymond Bozier
Raymond Bozier
Quelques raisons qui m’ont conduit à publier L’Algérie des deux rives 1954-1962
Je n’aime pas les Républiques qui favorisent et entretiennent l’amnésie collective. Je n’aime pas que la République française m’ait caché la vérité sur le colonialisme, qu’elle ne m’ait jamais rien dit des massacres répétés des populations indigènes, de sa violence institutionnelle (le ton ayant été donné dès le départ par un certain Savary, massacreur en 1832 de la tribu des Ouffas : « Des têtes… Apportez des têtes, bouchez les conduites d’eau crevées avec la tête du premier bédouin que vous rencontrerez. »), du travail obligatoire et gratuit, pouvant aller jusqu’à 6 mois, qu’elle imposait jusqu’en 1945 aux populations dominées, pour le plus grand profit des colons et de l’administration, des privations de droits, des déportations de population durant la guerre d’Algérie, de son racisme ordinaire et blanchâtre (« Les races supérieures ont un devoir vis-à-vis des races inférieures. Je dis qu’il y a pour elles un droit parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures… » dixit Jules Ferry, le grand Jules de l’éducation libre, laïque et obligatoire, dont sera privée la grande majorité des enfants d’Afrique, de Madagascar et d’Asie.), des humiliations… Et tout cela au nom de la mission civilisatrice de la patrie des droits de l’homme. Pauvre Liberté ! Pauvre Egalité ! Pauvre Fraternité !
Je n’aime pas les amnisties. Elle servent trop souvent à masquer les responsabilités de ceux-là même qui les ont prononcées, et puis surtout elles interdisent le droit à l’expression des victimes et de ceux qui les soutiennent, ou travaillent à faire émerger la vérité (toujours complexe et difficile à faire sortir du puits). Ainsi par exemple, accuser publiquement Le Pen d’avoir torturé durant la guerre d’Algérie (crime de guerre amnistié par De Gaulle), mène tout droit devant les tribunaux de la République, et garantit d’une condamnation en bonne et due forme.
Je n’aime pas ce que la République française a fait après 1945, à Madagascar, à Haïphong, Au Maroc, en Côte d’Ivoire, à Sétif... Je n’aime pas les silences de Gaulle à propos des massacres perpétrés en plein cœur de Paris, sous les ordres de Papon, le17 octobre 1961, puis le 8 février 62. Je n’apprécie pas plus l’attitude des Guy Mollet et François Mitterrand tout au long de cette période. Toutes choses qui expliquent, en partie, pourquoi le débat sur la guerre d’Algérie est si difficile à mener ici en France, où les gaullistes et les socialistes sont si nombreux, et où l’extrême droite peut tranquillement poursuivre ses dangereux combats d’arrière garde.
Je me souviens aussi du climat étrange qui régnait en France durant les années 50 et au début des années 60. La guerre, à la fois proche et lointaine, avait quelque chose d’irréel. On voyait partir, nos oncles, nos voisins. On écoutaient l’œil vert de la radio, on voyait trembler la pièce de tissu qui couvrait le haut-parleur. On lisait la Nouvelle République du centre ouest. Les journalistes parlaient de troubles, d’attentats, de maintien de l’ordre… Plus tard les oncles, et les voisins sont revenus. Ils préféraient ne plus parler de cette histoire, faire comme si elle n’avait jamais eu lieu. De temps en temps, pourtant, ils lâchaient quelques bribes, puis retombaient dans leur mutisme… Vraiment les choses n’étaient pas claires.
C’est tout cela (plus d’autres choses encore qui demanderaient un très, très long développement), qui m’a conduit à demander à des écrivains français et algériens, nés après 1945, d’écrire sur les années 54 – 62. Et il me semble que les textes rassemblés dans « L’Algérie des deux rives », apportent, chacun à leur manière, leur part d’éclaircissement à cette sombre histoire de la République des droits de l’homme.
Raymond Bozier - La Rochelle 9 février 2003
liens :
le site des éditions 1001 Nuits
la contribution de François Bon à "L'Algérie de l'autre rive"
Raymond Bozier sur remue.net