Véronique Olmi / Bord de mer
« En vrai elle est toute bleue, j’ai dit à Kévin… »
par Anne Bihan

 


Avec Bord de mer, Véronique Olmi, par ailleurs auteur dramatique, signait en 2001 son premier roman. Réédité cette année en collection poche Babel chez Actes sud, ce texte fulgurant, né de la lecture d’un fait divers réel, accomplit en un peu plus de cent pages d’un seul souffle le miracle de nous conduire à être un peu plus au monde.

« On avait pris le car, le dernier car du soir, pour que personne nous voie. Avant de partir les enfants avaient goûté, j’ai remarqué qu’ils finissaient pas le pot de confiture et j’ai pensé que cette confiture allait rester pour rien, c’était dommage, mais je leur avais appris à pas gâcher et à penser aux lendemains...»

Il fait nuit donc et froid quand cela commence. Elle, dont on ignorera le nom sauf celui de « maman » que lui donne ses deux petits garçons, les emmène justement, ses petits, voir la mer. Elle prend avec eux ce car, un soir, il y a école pourtant le lendemain, vers une ville où il pleut quand ils arrivent, vers un « hôtel marron », se dit-elle.

« C’est l’hôtel, maman ? a demandé Kevin, et sa voix à lui aussi flanchait mais c’était sa voix de grande fatigue, je la connaissais bien, ça m’a presque rassurée. Entre, j’ai répondu, et il a fallu qu’on se lâche tous les trois, on passait pas la porte accrochés comme ça les uns aux autres, sans parler des sacs de sport...»

Dans cette ville où il pleut, une fête foraine quand même. Et la mer. Une mer grise mais qui est là, suffisamment là pour croire un instant possible de leur raconter, à ses garçons, qu’il lui arrive d’être bleue, que l’été on y joue et rit.

« En vrai elle est toute bleue, j’ai dit à Kevin, mais elle faisait un tel raffut qu’il m’a pas entendue –peut-être aussi que je l’ai pas dit, peut-être que je me parlais à moi-même, Elle respire fort la mer ! m’a crié Kevin en me secouant le bras. N’aie pas peur, j’ai fait, c’est pour te dire qu’elle est contente de te voir, tu lui as drôlement manqué ! »

Voilà. C’est là. Glissé dans les mots qui se foutent des règles de la ponctuation. La fracture. La tragédie. On la sait vite, dès cette histoire de confiture qui va rester pour rien, dès ce bleu peut-être jamais prononcé. Mais sans se résoudre à l’inévitable. Parce qu’on ne peut pas ne pas les entendre aussi ces instants du récit où il suffirait d’un rien pour que la vie, leur vie à ces trois là, bifurque autrement. Parce que toute l’écriture de Véronique Olmi nous tient dans cette insoutenable tension entre l’histoire telle qu’elle nous est racontée et la vie de ces trois-là, en vrai trop pleine de bleus, sans fiction possible hors cet ultime voyage. Une écriture simple, serrée, incisive, poignante, généreuse. Infiniment juste parce qu’évidemment traversée, obstinée dans le projet de se coltiner avec le monde en ne se préservant – en ne nous préservant – de rien.

Alors forcément on sort sonné de cette lecture, boxeur qui s’est fait compter, tout entier entre souffrance et éblouissement. Tout entier à l’écoute de cette voix qui dit « je ». Un « je » miné. Bord de mer est ce long monologue qui n’a pas pu être, pas plus que les mots de la mer toute bleue. Ce long monologue où retentissent des mots, des gestes, des regards, toute la terrible indifférence du monde alentour. La nôtre aussi bien sûr, on ne s’en tirera pas comme ça. Avec la splendeur quand même et la force des enfants, la tendresse infinie, l’amour.

Oui l’amour, d’une mère au bord qui les borde encore ses petits bord de mer bord de mort. D’une femme dont l’histoire nous parvient par bribes, détails infimes et nous ne saurons rien de plus. Ce serait trop facile que le récit comble les trous d’une de ces vies que nous croisons chaque jour en aveugle.

Ni psycho, ni mélo, Véronique Olmi ne nous explique rien, ne commente rien, accuse encore moins, donne seulement à entendre l’ici et maintenant de cette voix qui la traverse. Parce qu’écrire peut-être lui a semblé le seul geste humain possible après la lecture de ce terrible fait divers. Une écriture portée par cette « lumière du désastre » qui, de Blanchot à Joël Vernet, ne nous guérit de rien, ne nous exempte d’aucune responsabilité, mais nous sauve quand même parce que la beauté, simplement. L’humble présence. Du cri.

Anne Bihan

 

Pour en savoir plus sur Véronique Olmi
http://www.comedie-francaise.fr/biographies/olmi.htm

via le Matricule des Anges : http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=10743

chez Actes Sud : http://www.actes-sud.fr/fichud.asp?codud=F77151

Eléments sur l’auteur
Véronique Olmi a suivi en 1989 des études d'art dramatique chez Jean-Laurent Cochet.
Elle a été assistante à la mise en scène pour Gabriel Garran et Jean-Louis Bourdon de 1990 à 1993.
Elle est l’auteur notamment pour le théâtre de À demain Modigliani, Le passage, Chaos debout, Les nuits sans lune, La jouissance du scorpion, Eternel quotidien, Point à la ligne, Le jardin des apparences.
Elle a adapté et joué (France et Russie) le Diable de Marina Tsvétaeva. Elle a adapté et mis en scène la Rencontre inachevée, correspondance de Marina Tsvétaeva avec Rilke et Pasternak.
Ses pièces sont éditées aux éditions de l’Arche et chez Actes sud.
En 2001, elle a publié chez Actes sud sont premier roman, Bord de mer, réédité en février 2003 en collection poche Babel. Le producteur de La vie rêvée des anges souhaite l’adapter pour le cinéma.
Son deuxième roman, Numéro six, est également paru chez Actes sud en 2002.