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Nouvelle Donne, nouvelle version
par Pierre Clavilier

Notre prochain numéro verra un virage dans l'existence de Nouvelle donne, nous passons à un rytme bimestriel et aurons désormais des chroniques régulières ainsi qu'un cahier détachable de textes inédits. Nous restons des bénévoles et nous avons besoin de l'énergie de chacun pour essayer de parvenir a équilibrer les comptes de notre association, mais laissons cela. Donc dans son numéro 31 vous découvrirez un texte inédité d'Anuar Benmalek, une chronique de Leïla Sebbar (qui tiendra régulièrement sa chronique) Une rencontre avec Amélie Nothomb comme on ne la jamais vue. La présentation de Marie Nimier d'une jeune auteur plein de promesse, un portrait de Max Pons ainsi qu'un entretien pour les 40 ans de la Barbacane, un autres de Jean Marc Ligny... Bref beaucoup de nouveau dans ce numéro.

« Les Alliés substantiels » Dossier poésie américaine dans Poésie 2003
par Laurent Margantin
Bimestrielle, la revue Poésie 2003 offre dans son numéro d´avril un dossier intitulé « Poètes d´Amérique et de France, les « alliés substantielles » », faisant le point sur la découverte par quelques auteurs français, autour des années 70-80, des grandes voix de la poésie d´outre-Atlantique.
Maître d´œuvre du dossier, Olivier Brossard présente quelques auteurs, traducteurs et éditeurs qui, depuis longtemps, font découvrir la poésie américaine en France, et ce faisant apporte à l´écriture contemporaine de langue française un courant d´air frais plus que nécessaire. Parmi eux, Emmanuel Hocquard ou Yves di Manno, ce dernier dressant un tableau assez général de l´apport qu´a pu représenter pour lui la poésie américaine, à une époque où il cherchait à s´éloigner de Mallarmé et du surréalisme : « ... je pensais, écrit-il, qu´il fallait dégager beaucoup de soi, dans l´écriture. C´est-à-dire, chercher à atteindre en soi l´endroit où c´était quelque chose d´autre (que soi) qui remontait au plus profond. (...) J´avais la conviction, née d´une pratique quotidienne, qu´on rejoignait parfois dans l´écriture des zones qui ne correspondaient pas au seul registre subjectif, à la simple vie privée. Et j´étais par ailleurs dans une grande fureur à l´encontre d´une conception de la poésie que l´on voit périodiquement resurgir et qui consiste principalement à gémir, à s´extasier béatement ou à se regarder le nombril. Pour rester dans le cadre de la poésie américaine (...), on voyait bien que des gens comme Pound ou Williams faisait tout à fait autre chose ».
Dans le même dossier, Auxeméry donne une traduction d´une suite de « Miniatures » d´un important poète américain encore mal connu en France, Nathaniel Tarn, et évoque son activité de traducteur, à travers laquelle s´élabore sa propre œuvre poétique. On trouvera d´ailleurs quelques extraits de ce poème sur D´autres espaces,
Le numéro accueille également des textes d´auteurs américains contemporains comme Keith Waldrop (traduits par Jacques Roubaud), Cole Swensen, et une étude de Tom Devaney, « Petit attroupement de jeunes poètes américains ». Signalons qu´Olivier Brossard anime le site internet www.doublechange.com, association qui organise des lectures de poésie à Paris.

Georges Drano : "Tenir", poèmes (Editions Rougerie, Mortemart, 2003)
par Serge Meitinger

Tenir, pour le poète qui a dessein de dire, ce n’est ni maîtrise ni emprise. Il ne saurait être question de faire main basse sur les choses en leur réelle richesse, sur les corps à portée de vue, d’ouïe ou de toucher non plus que d’avoir haute main sur les emblèmes et les signes, sur les images, les intrigues. Non, il y va d’une pauvreté, d’une humilité vraies, accompagnant le mouvement essentiel de la parole qui est d’abord une manière d’accueil au retour de son propre écho : “Tenir la conduite d’air, de vie, la route, la voix qui ne peut être surprise dans les mots mais dans le bruit d’elle-même qu’elle reçoit des êtres et des choses”. Car ce qui fonde dans la voix est antérieur au découpage zélé et distinct des mots : c’est une avancée articulée/inarticulée dans et par le corps parlant qui se meut au rythme de la marche, c’est le bruissement de l’être qui revient avec l’écho et se décline en éclats, en sonorités plus ou moins accordées, en lueurs. Le poète qui entre dans les villages n’en prend pas possession comme un thésauriseur de racines ou un amateur de décor folklorique, il entretient l’attente, l’écoute qui se dénouera peut-être en entente, l’absence, le décentrement et l’évidement : il préserve la qualité, le sans pourquoi du silence. De même il traverse jardins et autres lieux, happé par la présence passante qui s’est déjà trouvée et comme perdue de l’autre côté. Le chemin s’éloigne dans le miroir, sautant le seuil de la nuit, mais il ne sauve ni de la déchirure ni de la perte, de la douleur dont la connaissance comme la consultation initient à une histoire, singulière et universelle, à une parole faite de mots qui ne nomment ni ne racontent mais font être.
Le marcheur qui cherche le cœur du village ne doit pas en “tenter le silence” par ses questions indues mais plutôt en respecter ou retenir l’attente qui est faite d’ignorance maintenue et de désir :
Au-delà de cette ruelle en pente
Nous ne connaissons rien.
Sur la place, l’air est ourlé de désir
Légère substance de fraîcheur
Battements de cils à la chaleur.
L’allant de celui qui s’avance risque à l’intérieur même du halo de ses cinq sens des “motions” plus que des émotions, susceptibles de s’articuler en mots quand elles se sont répercutées aux choses, et ces mots nomment sans réduire ni figer, sans forcer le sens. C’est là l’effet de “retour” espéré du poète :
La route du village annonce
Un retour dans ce qui est nommé.
Mais la promesse ouverte ainsi par l’expérience vive du village reste promesse et elle ne donne rien sur le mode factuel ou cognitif :
La nuit amincit les toits
qui rendent leur lumière
Les paroles traversent les murs
et se plantent dans la terre caillouteuse
Même de face à l’intérieur
Nous n’avons rien
nous ne savons rien.
Quand le poète répond à l’invite de la lumière dont “l’avènement” est porté par “les murs de pierres” ou les “bords des vignes”, les mots ailés et éclairés dans lesquels il rentre ne peuvent que le retenir, que le tenir “entre appel et silence”. Telle est la limite de la terre habitable et l’hommage même qu’il lui faut rendre.
* * *
Les jardins se dédoublent entre ici et ailleurs, la présence — part féminine de l’être, de la voix, de la vocation poétique — est toujours déjà passée “dans l’autre allée”, “dans l’autre jardin”. Ni désespoir ni perte ni déréliction toutefois, gain de profondeur qui fait que le plus proche est éloignement et héberge le lointain, le plus vaste voyage terrestre :
L’autre jardin clair-sombre
proche et lointain
est-il ailleurs qu’en nous-mêmes
une terre voyageuse
de peu d’années ?
Sans contradiction, le “jardin de l’absent” ou “d’absence” et l’éloignement sont ouverture et promesse, “Tour de la terre/ Par les racines/ où tout se consume” et chemins de la voix qui chante et “cède” à “l’oubli” et au peu qui soit dicible :
L’eau, l’oubli
qui ne chante d’une seule parole
Au défaut du mur, le silence
Au défait du silence
La voix qui cède.
“ Trouver à dire” reste sous le signe du “peu”, de la “lisière”, de la “lenteur” et des “détours”. Il ne faut pas l’oublier : sur le pré, “au plein air des lessives”, “Linges et paroles/ Dentelles du jour” et
Au-dessus autant de ciel
que du silence
dont nous sommes.
* * *
“À tout moment tenir” qui fait le titre de la troisième partie du livre pourrait en être la clef et la devise poétique par excellence. Une attention vigile de tous les instants est nécessaire pour éviter ou apprivoiser la “disparition” :
Ce qui disparaît de nous-mêmes
C’est ce qui ne parle pas
Car “le silence encore plus silence” a besoin des mots et d’une parole qui soit “la transparence” : ainsi, “tout ce qui fait mot fait silence”. Ce langage tâtonne à l’intérieur de notre cercle sensible, à l’extérieur de ce cercle il projette ses ondes, ses sondes et revient en écho déchiré, déchirant, dépouillé de toute puissance assujettissante. Il revient blessure et douleur parfois mais c’est pour réaffirmer la fécondité inépuisable et irréversible d’“une histoire” qui est nôtre, c’est-à-dire humaine, et que le poète se doit d’assumer pour lui-même et pour tous :
A tout moment
une histoire nous tient éveillés
tournant en même temps
que nous-mêmes
elle produit du silence.
Pour lui appartenir
Il suffit d’être sur le côté
d’où rien ne peut arriver.
N’allant pas jusqu’aux mots
elle n’a ni commencement
ni fin
elle aura su fixer
ce que nous sommes.
Le poète devient — ou plutôt, il l’a toujours été même s’il ne l’a pas toujours exactement su — le chantre d’une histoire à l’impossible c’est-à-dire sans commencement ni fin, antérieure aux intrigues et narrations comme à toute identité figée dans des termes. Une histoire d’être, sans événement impromptu, sans avènement singulier, au revers de l’identité et de l’altérité : “attente” définie/indéfinie ”où chacun reste/ dans ce qu’il est”. Mobilité immuable de celui qui va par les villages, les jardins, les divers lieux ouverts à son pas, motilité et “motion” où l’orbe du détour, comprenant “regard” et “douleur”, conduit, dans et par le silence des seuls vrais mots, de la terre à la maison et quelle maison !
Maison perdant notre image
habitée de hauts murs
où nous passerons la tête
et les mots