mémoire, constance et curiosité.

À Remue, quand on aime une fois, c’est pour longtemps. Les auteurs, on les lit, on les relit, on les accompagne dans leur avancées hésitantes et aussi dans les clairières des textes achevés. On aime aussi découvrir de nouvelles voix, celles qui s’inspirent de la tradition et celles qui creusent le présent et aussi bien celles qui se risquent dans les saisons du futur.
Mai sur Remue fut un temps pour regarder ce qui a été et et ce qui pourrait être, sans négliger ce qui persiste... Pêle-mêle on a pu y lire :

* L’ hommage rendu par Dominique Dussidour à Carlos Fuentes, l’écrivain mexicain récemment décédé, et l’extrait d’un entretien où il s’exprimait ainsi :

...j’estime que l’originalité est une idée romantique. C’est l’une parmi quelques autres des idées romantiques que je déteste parce que je les crois mensongères, limitatives ; celle, précisément, qui consiste à croire à l’imagination à partir de rien, à la création ex nihilo. Je ne crois pas cela possible, on ne peut écrire sans une tradition. La condition pour créer, c’est de s’inscrire dans une tradition, et la condition pour s’inscrire dans une tradition, c’est de créer ; il y a là un mariage inséparable ; la tradition et la création sont des sœurs siamoises.

* Une plongée dans le chantier Sade ouvert par la même Dominique Dussidour : où l’on découvre un Sade à sa table à écrire ( « et nous serons tous heureux sans nous en douter ») et d’une exquise précision dans les demandes qu’il formule à sa femme, qu’il s’agisse de figues ou d’une terrine (« Addio carissima mia… »)

* D’un chantier en cours, on est passé à une sortie de chantier : celui ouvert par Fabienne Swiatly à l’invitation de Nicolas Ramond, pendant le travail de création théâtrale d’Annette qui se prolonge par l’évocation de la présentation publique du travail de laboratoire. Risquée.

....que peut-on montrer de ce qui se cherche encore, se fabrique à peine ? ... Des moments où il ne semble se passer rien pour celui qui ne participe pas à la création, alors que pourra-t-on montrer de ce chantier en cours ? Tout travail artistique est une métaphore du réel qui a besoin de temps et de recul pour trouver sa forme.

Question risques, Catherine Pomparat en a décliné de toutes sortes :
Voir toujours plus qu’on ne peut voir au risque d’y perdre la vue (Suzanne Doppelt) ; Aimer toujours plus qu’on ne peut aimer au risque d’y perdre l’amour (Dominique Fourcade) ; Entendre toujours plus qu’on ne peut au risque de perdre l’oreille (Catherine Gilloire) ; Agir toujours plus qu’on ne peut agir au risque de perdre l’acte (Michel Herreria).

* On marquera d’une pierre blanche la naissance des toutes nouvelles Editions Les inaperçus créées par Mathilde Levesque et Frédérique Breuil, dont les deux premiers titres sont Immense et Rouge de Marie Chartres (dont on peut entendre un extrait ) et N d’Eric Pessan (dont on se souvient encore de Dépouilles paru sur le site en feuilleton dominical).

* Les questions de traduction ont toujours été à l’honneur sur Remue.net (faut-il rappeler la brève controverse à propos de la traduction du Vieil Homme et la mer ), ce mois de mai elles le sont plus que jamais avec

° la traduction par Véronique Perrin d’un recueil de Nakajima Atsushi Le Mal du loup dont la quatrième partie intitulée Sous les arbres pieuvres, dernier texte de l’auteur avant sa mort, est offerte ici.

Quand je vivais dans l’île aux arbres pieuvres je faisais une discrimination assez ridicule entre la guerre et la littérature : c’est qu’en moi s’affrontaient, obstinés et naïfs, « le désir de servir concrètement à quelque chose » et « le sentiment que la littérature n’a pas à être utile comme peut l’être une affiche ».

° Blues pour chevaux verts de Cletitia Ilea, "poèmes d’une grande précision, et d’une fausse simplicité", traduits du roumain par Fanny Chartres et présentés par Eric Pessan.

d’ici ne parviennent aucune voix aucun bruit.

nous parlons

nous égarons de grands projets

mensuels annuels personnels

autour de tables basses

nous faisons la guerre dans nos petites cuillères à café

° la poursuite du travail de traduction d’extraits des Métamorphoses d’Ovide par Marie Cosnay.

Je veux dire les formes changées en nouveaux
Corps. Dieux, vous qui faites les changements, inspirez
Mon projet et du début du début du monde
Jusqu’à mon temps, faites courir un poème sans fin

.

° la présentation par Gilles Amalvi de deux traductions de l’américain par Béatrice Trotignon Du Soleil, De l’Histoire, De la Vision et, Le Poème Californied’Eleni Sikelianos.

« Q : La Californie – je pourrais aller la voir si je voulais ?
R : Oui, si tu as une optique.
Q : N’importe qui peut la voir ?
R : Quiconque le peut, s’il a des lunettes. Et sait voir...
Q : Et sait voir... ?
– Oui
– Même si on ne l’a soi-même jamais vue ?
– Oui... et sait lire. »

* En mai, trois inédits ont été publiés dans la revue :

° Les Itinéraires chantés de Maryse Vuillermet (dont avait été publié l’an dernier : Mais de quelle main tient-elle le fil ?).

Je cherche. Ce n’est ni une chronique, ni une saga, ni un journal de voyage, encore moins des mémoires ou un roman d’aventures, c’est un livre enfoui, pas très loin de la surface. Il pourrait affleurer si la tempête de sable soufflait plus fort, il pourrait arriver par la plage dans un drôle d’esquif, il pourrait être tatoué sur des épaules musclées, il pourrait se trouver au fond de la librairie de Broken Hill, ou de Dubbo, m’attendant.

° Quelques extraits d’ Un petit peu d’herbe et des bruits d’amour de Cécile Guivarch, nouvelle venue sur le site de Remue.net.

bonheur dans un champ
ou dans un tas de paille

son poème elle s’en souvient longtemps

les mots reviennent toujours
ils se réduisent à pas grand-chose

un petit peu d’herbe et des bruits d’amour

° Et le sentiment, extrait d’un travail en cours de Pierre-Antoine Villemaine, qu’on avait pu écouter lors de la Nuit Remue 5

rétive à la forme
essentiellement déplacée
encagée dans le jour
elle se démarque
puis se désimage

l’inapparaissante se retire
comme si elle n’avait de sens qu’à disparaître

* Ne pas oublier non plus les lectures proposées par Pascal Gibourg (Les Très Hauts de Jean-Luc Parant et Le beau nègre vous emmerde, madame  ! de Franz Fanon).

Faut-il vous rappeler tout ce qui mérite votre attention du côté des résidences Ile-de-France ? Pour sûr, vous êtes déjà abonnés à la lettre qui en restitue le détail... là.

13 juin 2012
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