Myriam Oh | Poèmes

J’ai la chance de ne pas avoir « la gueule de mon nom ».
Ça fait que le délit de faciès, je connais pas.
Ça fait que le racisme ordinaire, je connais pas.
Au mieux quelques oublis de réponses quand le CV était sans
photo.
Au mieux quelques bouches flemmardes de le prononcer tel
qu’il est.
Pourtant j’ai la malchance de porter un nom.
Tombé du camion.
Avec celui qui me l’a donné.
J’ai la chance de ne pas avoir « la gueule de mon sexe »
Ça fait que le harcèlement de rue, je connais pas.
Ça fait que les doigts, c’est moi qui les fais.
Au mieux quelques mains titillant la faute de goût que j’incarne.
Au mieux quelques erreurs de connexion quand je parle grave.
Pourtant j’ai la malchance de porter un sexe.
Défoncé.
Par des siècles patriarcaux.
J’ai la chance.
De ne pas avoir d’enfants.
De ne pas avoir de père de mes enfants.
De ne pas avoir de père.
De ne pas avoir à jouer le rôle de la fille.
J’ai la malchance.
D’endosser le poids de colères qui ne sont pas miennes.
Auxquelles j’appartiens pourtant.

Toute entière.
J’ai la chance.

— 

Flemme de cuisiner. Les croquettes du chat, ça me va.
Flemme de parler. Les voix dans ma tête, ça me va.
Flemme de m’habiller. Ta main sur mon sein, ça me va.
Pas faim. Rien à dire.
Y a des hivers moins froids que mon regard du jour.
Flemme de porter mon nom.
Flemme de défendre ma place.
Flemme de rendre l’âme.
Pas fière. Ni honteuse.
Juste là. Ce qui n’est ni bien ni mal.
Flemme de douter. La première vérité venue, ça me va.
Flemme de dormir. Les lignes de l’insomnie, ça me va.
Flemme de craindre. La forêt à la frontale, ça me va.
Ta main. Sur mon sein.
Y a des manières moins douces de dire « je tiens à toi ».

— 

DIMANCHE
Manqué le lever du soleil, rien à faire.
Manqué la messe, rien à faire.
Rien à faire, rien à faire.
Prendre le temps d’une orange pressée.
Laisser passer le train en marche.
Brouter un rêve à la volée.
Bonjour.
Dit une voix encore endormie.
Ce qu’on va faire aujourd’hui, rien à faire.
Comment on s’appelle, rien à faire.
Rien à dire, rien à faire.
Se prendre là où on en est dans la vie.
À cet instant précieux.
Où tout.
Est à inventer.

— 

bleu qui se mêle au rose
luminosité qui augmente subtilement
dieu est un infographiste
click and collect la beauté brute
wait and see ce que ça bouge à l’intérieur
le bleu veut dire oui le rose non
le violet pourquoi pas
ciel mi-fille mi-garçon
nos corps sont des têtes capables de reproduire
l’alphabet
nos corps sont des animaux en mal d’instinct
on se nomme on se compare
on se mesure on se pèse sur l’estomac
cris qui se mêlent aux creux
par peur de ce qui est sans autorisation
par peur de souiller l’univers en jouissant avant l’heure
ciel qui dit
ciel qui joue à cache-cache
des fois dieu montre la voie des fois c’est son cul
connexion momentanément
interrompue
bleu qui se mêle (de ce qui ne le regarde pas)
au rose (« o » tonique ouvert)
luminosité qui augmente subtilement (travestir
la réalité pour cause de fidélité à soi-même)
dieu est mille do it yourself

#coucherdesoleil


Poèmes extraits de "Calendrier de l’Avent (du monde d’après)" aux Éditions maelstrÖm reEvolution, paru en septembre 2021.

23 septembre 2021
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