La poésie fait la renommée des êtres. Elle ne fait même que les renommer : seul est ce qui est dit. La poire que j’écris n’est pas celle que je dis que je mange. Qui a jamais vu les lieux dont parlent les poètes, qui n’existent comme des séjours de glaise et de congère que parce qu’ils insistent dans des graphes noirs ? Être renommé – dans le sens vrai du terme – c’est changer de nom, sauter de la lande dans la langue, ne plus être localisable, devenir imperceptible. Prendre seing. Et ce qui compte n’est pas les larmes que nous avons versées pour un amour ou un repas dressé sur la table. Ce qui compte, c’est que nos yeux aient finalement moins versé de larmes qu’ils n’en ont bu. Dans la langue de tous les jours on appelle cela lire.
XXII
C’est tout un jeu de discrétions
de protocoles et de figues
que ce creuset de ferme où
levé par terre
au milieu des épis
des abois il compte
que l’âge l’étende parmi les hommes
pour qu’elle marche sur le petit sentier d’ambre
menant à la voie de chemin de fer
où les mulots vont glander
à l’ombre des coprolithes
qui protègent les sèves fuyardes
Nous profitons du soir à la tombée de la mer. Nous peinons mieux dans les pièces à peu près vides.
Ceux qui vivaient là sont partis depuis longtemps. Ils ont tout refermé derrière eux, en laissant les clés dans les ormes.
Tu montres du doigt cette lourde pendule de bronze. Est-ce la table mise ? La bergère sculptée a ton visage : les cheveux longs de zones, le sourire infini, la peau piquée par les moustiques sévères.
XXIII
Je parle dans la grammaire de la conjugaison des lieux
De ton côté tu prends tous les chevaux
pour des idoles de métamorphose
la sueur de l’année compromise où
chacun tient son rôle du mieux qu’il peut
En enjambant le
torrent tu vas tomber sur ton père
de retour de l’inouï
Quelques bustes de plâtre traînent entre les escargots de ce désert de consolation. Les fusées des digitales penchent dans le vent. On ne voit rien d’où l’on se trouve.
Cela s’entend
XXIV
Avec un peu d’indifférence aux morts de la semaine
tu pourrais attraper des écrevisses dans le ruisseau presque asséché en contre-bas de la maison, qui nous sert d’été sous les faîtes. Ils s’éloignent à reculons dans un trouble de vase et ne te quittent pas des yeux.
Avec un peu d’indulgence pour les tribulations
on a le droit d’espérer dans des actes humides. Nous nous accrochons aux pinces de nos filles par nos doigts bavards. On suspectera une éthique sous les racines en se poussant du coude.
Avec un peu d’insolence en estime
je dépose l’un après l’autre les dieux acerbes sur la paille. Ils s’agitent tandis que nous observons précieusement leur danse basse.
Longue
est la nuit pour qui est en mesure d’étancher sa soif.
23 mai 2023