Alain Freixe / Dire que c'était là

avec et sur des peintures de Max Charvolen

on peut retrouver le travail d'Alain Freixe sur le site de Serge Bonnery - dernier texte paru : un dialogue avec Jean-Marie Barnaud dans la revue Nu(e) n° 12.

message pour l'auteur

Max CHARVOLEN est né le 10 décembre 1946 à Cannes. Il n'est sans doute pas inutile, parlant de Charvolen, de noter qu'il reçoit d'abord une formation de menuisier avant de suivre, à partir de 1964, les cours de 1'Ecole des arts décoratifs de Nice, d'où il est exclu en 1966. C'est à Marseille qu'il obtient ses diplômes, notamment, après un stage d'un an dans l'agence d'Oscar Niemeyer à Rio, celui d'architecture en 1973. Ces éléments de formation ne sont pas inutiles parce qu'on trouve la trace de leurs préoccupations tout le long de l'œuvre de Charvolen. Dès 1968,il est en relations avec Maccaferri, Alocco, Dolla, Miguel, Viallat et Monticelli dans le groupe INterVENTION et participe avec eux à diverses manifestations. À la suite de l'exposition INterVENTION à la galerie de la Salle, à Vence, il participe à la création du Groupe 70. L'une des toutes premières périodes du travail de Charvolen explore les possibilités d'expansion de cet espace particulier qu'est l'espace plastique: le support de tissu. Cette prise en compte de la toile joue sur les effets de rupture entre l'objet plastique et l'espace dans lequel il se déploie. Depuis la fin des années 70, c'est 1'espace physique et les objets de cet espace qui permettent de questionner l'espace plastique. Le travail se présente comme une prise en compte des lieux et des objets sur lesquels Charvolen modélise les fragments de toile, et par rapport auxquels il met en place ses dispositifs de couleur. Raphaël Monticelli (CAIRN).

I

Dire que c'était là. Dans ce qui le séparait des choses. Comme de lui-même. Là, comme dans une eau déchirée par la lumière où se débat un nageur à brasse lourde. Sa tête, dans les éclats. Et continue pourtant. Là, qu'il lui fallait trouver de quoi puiser forces et accords avec ce qui toujours déjà s'éloignait. Rives en lambeaux. Terres démembrées. Et rien pour tenir. Ajuster. Vraiment. Comme il faudrait. Sans le noir qui retombe. Entre. La surface, l'arête et la bande.

II

Quand il s'est avancé, c'est tout juste si l'air a reculé jusqu'au mur. Rompu par le vent, un pan de blancheur s'égouttait. Avec difficulté. Des tissus, un peu. Des bandes, tout à leur effiloché.

C'est l'intervalle qui ouvre le feu. Les interstices libèrent trop d'air. Avivent. Dessous tremble. Ça pourrait flamber. Echapper. Se perdre.

Déjà des cris. Mal étouffés par les bâillons. Des ondes filent en frissons sur la peau des choses. Cela qu'il faut que les mains agrippent. Retiennent. Recouvrent. A l'écrasé dans toujours plus de bandes. De bouts. De toiles. Pour apaiser.

III

Sur les cendres qui volent dans la minute qui passe. Il pleut.

C'est cela qu'il voit. Tomber des couleurs. Vives. Mousseuses jusque dans les bulles légères où se prennent les yeux. Calmes jusque dans les taches plus lourdes où se pressent les doigts. Longtemps, ça passe dessous. Se noie. Dans les bas.

Il ne pleut plus. Ces plis. Ce drapé. Cet emmaillotage remue encore. Ça vient du fond. Là où les couleurs se heurtent à la nuit, remontent les morts. Ils trouent ici, la bouche, là, les yeux. Et c'est pour nulle part sauf mêler à l'air ce loin qui les habille. C'est maintenant plein de morts. Qui attendent. Contre les bandes. Entre les teintes qui s'étirent et les effilochures que le vent mêle. Ou arrache. Ou qui restent là à pendre aux mains écaillées de ce qui était tourné vers nous. Des morts, des noms. Ce qu'il reste sur les dernières pierres entre mousses et lichens. En attente de regards .

IV

Il lui reste tout cela. Pour demain. Pour la relève. Mais frapper à la porte de l'heure qui s'avance. Et attendre au plus bas. Avec l'ardeur de celui qui entend coller à ce qui est. Ces formes. Ces arêtes. Ces lignes. Ce modelé. Et que rien n'échappe. Attendre que la rage lui ouvre les yeux pour qu'à grands coups d'épaule, il entre. Au couteau. Et dans un grand remous de feuilles mortes, de couleurs traversées, de matières arrachées et d'enfants perdus, affronter le jour. Ses doublures bandées. Desserrées. Découpées.

Sous les ongles, sur les mains, ce qui poisse et tourne au noir dit que c'est en passe d'être fini. Ça ferait comme un tas. Devant.

V

Un amoncellement. Une moraine. Et souple dans le souvenir de son glacier. C'est du moins ce qu'il pense voir. Cette dilatation d'une clarté tandis que toute la lumière passe derrière et que grandit son ombre. C'est cela qui le fuit. Cette fente entre les flammes qu'il abandonne et les cendres qui devant lui continuent leur vol de libellules. L'épaisseur du brasier. Ce vif d'avant les signes. D'avant l'absence. A tendre. A redoubler. Peut-être. A déplier. A bout de bras, la fin. Une fin. Tassée dehors. Les doigts appuient encore sur un morceau de bleu un peu rebelle. Ça va rester. Allégé.

VI

Après, c'est fini. Tout est lâché. Dégagé.

C'est là en face. Et ça tient. Dépouille vive dans les peaux mortes. C'est cela qui frappe. Appuyé contre la lumière blanche du mur. A vif. Un corps. Son chantier. Resserré dans les bandes. Ouvert dans ses pans de couleurs. En échappé dans les ombres sur le mur.

A l'avant, on voudrait crier : " Terre ! ". Avec ce peu d'air revenu depuis le ciment froid du mur. On pourrait. Respirer entre l'Òil et la peau étalée. Y être. Pris dans les déblais. Les remblais. Les éclats. Les contours. Et, là où le temps s'est dessiné, avancer. Encore. Un peu .

VII

Brassé. L'air ploie. Se déploie. Se ferme. S'ouvre. Bat. Remue devant. Ecume à l'arrière. Ces taches rouges qui tournent. C'est déjà la nuit. Dans les phares. Et cette silhouette dans les bandes de la neige qui tombe. S'ensevelit dans le chemin qui tourne.

C'est à nouveau là. Ce noir dans les étoffes. A dire.