Marina Damestoy / Cahier bigouden (extraits)

Marina Damestoy vit au Guilvinec, en Bretagne. Elle termine "Sang caillé sur les lèvres", un récit de voyage autour de monde. Avec trois dessins de l'auteur.

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Finistère. cahier des mirages, atlas de l’éphémère, collecte de l’existant, géométrie de l’avant...
Je recueille le pays et sa somme.
Poudre d’eau

Ca fait longtemps que je veux parler aux gouttes.
Ma voix leur chuchotant des sons en cliquetis,
presque sourds en cascade.
Un souffle. Mes mots seront leur évaporation,
l’instant de la douceur,
le pendant du regard qui glisse sur la surface froide aux joyaux éphémères de la grève aux innombrables chutes.
La buée cotonneuse est parfois fissurée par une glissure de pluie, un baiser condensé, une escapade étroite. Comme autant de chemins, de nuées cartographiées, de mondes ensevelis par nos regards éteints.

Bretagne /Je serais ton bocage /cobaye, terrain de projection /d’introspection.


Dans l’air de lune...
Fest noz,
Fisel, plinn, gavotte.
Charbons ardents et chardons tous au sol.
On piétine, serré contre. L’autre soutient.
Etre sur que la terre est tangible et feindre la piqûre sous chaque pas.
Tel un enfant mime le galop.
Secouer, ballotter vers le haut.
Pieds qui, timides, glissent en chassant l’endurance.
Le talon frappe savamment les fesses.
Mobilité verticale, subite.
Expansion de la ligne.
La danse bretonne, comme une statue, est stature de l’homme.
Exclusive du sillon du danseur vertical.
Condition sol - ciel, marche immobile collée aux congénères.
Danse en mémoire originelle, être debout, bien certain d’harasser la terre.

L’accordéon de Jean : Fleur érectile,
Branchies de mouette,
Corps qui éclos,
Soufflet pourpre,
Sommeil étiré,
Tapis rouge déjanté,
Diablotin sautant de sa boite renversée,
Asticot à angles durs
et papillon de Conserve,
J’en passe...


Les échardes aux poissons aigus. Greffe d’aspic dorsal.
Sur la corniche, les reliques coralliennes délavées.
Aussi, les hangars-épines de fer en bouts tressés d’embruns moites. Le sel est colle.
Seuls et dignes, les rochers de grès révèlent la couleur monotone - assoiffante - de la mer - montagne étalée aux arrêtes de pluies rares, affaissantes... râle du raclement de gorge. Crachat du mousse. Quelques troncs échoués sur la grève aux ordures éparses.
Mon esprit grince comme les gongs d’une épave.


De nuit, au large du bol d’éther,
à partir des pelouses terrestres...
dans les sillons non violents
qui parfois attirent la claircitude du ciel,
il n’est plus incongru d’inscrire
quelques tendresses charnelles aux nues.
En panne, au large des maisons,
pour contrer d’autres chasseurs ennemis
en points de suspension.
Super nova et pluie de lait.


Dans les champs de fanes

La terre, répandue entre l’encre et l’écrit. Je suis au collectage des fanes de pommes de terre. Courbée, abattue au sol, les mains mécaniques éclaboussant la terre et ses racines. Vingt sept sillons à n’en plus finir, d’odeurs.
Je suis serrée aux mottes, enlacée au travail de la poudre d’un sol qui m’éloigne du deuil, de l'orgueil.
Arracher et mon esprit tombe, s’enfouit dans l’odeur et le paradoxe d’aimer le labeur physique. La terre entre moi et l’oubli, la ville. Comme on prend le voile ? Passer du temps à s’arracher les doigts sur ce qui est fané déjà, sur ce qui est stérile. Dégager l’air de la terre pour lui caresser la peau d’une saison à venir. Soit prodigue terre car je te libère. Je t’échevelle de ces racines brûlées, de ces herbes drues qui te pompent, te déchirent. Je te rends vierge, comme morte car je te veux pleine à la saison prochaine. Tu n’es pas mienne, c’est mes racines, la peau de mes aïeux que je prends pour me taire en ton sein.

Dure est la cendre d’une coquille d’argent
immaculant mon pied.
Semée, essaimée sur la grève, écorce de mer,
jonque de pierre qui scintille au vent levé.
Marée jonchante. Bouche d’écume qui trébuche.
Sang. Sciure. Cendre d’enfance.
Embruns glissant sur la bave d’une vague trop frêle.
Mignonne est l’empreinte mousseuse d’un vent qui l’emporte. Rien.
J’endure la beauté de l’eau de dedans le vin.
Face à l’Océan... mes mots.
Dérision, amoncellement de bavardages crémeux
comme autant d’entraves,
sperme, farines acides volant au grès.
Prendre l’air comme le temps.
L’amoncellement d’amour et de cliquetis de mâts au vent.
Seul - face - port - prendre quelque - essence - enfin
....
silence ou presque.
Paroles-marée émotionnelles et criardes pourtant.
Prendre à rebrousse poils les mots qui s’enlacent cependant...
Comme une urgence, un passage-sillon.
Rien de plus muet que cette marque d’orgueil, fertiles paroles - rire - tien - rien.