Pascal Raux / à bout  

Naissance : 1969. Vit à Paris. A publié deux textes dans la revue Bleue. et un recueil de nouvelles, "Sollicitudes" sur Manuscrit.com. Travaille actuellement à un roman.

courrier pour Pascal Raux

Quelquefois, tu as crié mon nom. Mon prénom, plutôt. Et entendre mon prénom crié m’excite. Quand il est crié de rage. Pas de rage complètement. De douleur, en fait. Oui, de douleur. Quand il est crié avec une tonalité aquatique, non. Mon prénom glouglouté, non. Tu l’as quelquefois glouglouté mon prénom, mais non. C’était quand tu l’as crié pour de vrai, que oui. Alors. J’ai entendu. De l’amour. Quand tu l’as crié à bout de souffle, que oui, alors, j’ai pu y croire. Pourtant j’aurais. Peut-être. Ou pas. D’autres fois tu l’avais crié, mais non. Tu pleurais avec. C’était de la triche. Quelquefois, mais non. On n’y pense même pas. Susurré, non. C’est autre chose. Susurré, non. Là, on s’amusait. Quand on susurre, on s’amuse. Des fois, pas. Souvent, si. On s’amuse à s’amuser. On susurre pour s’amuser. C’est sûr. Tu ne l’as peut-être crié qu’une fois. Ou plus. Je dirais plus. Tu criais fort, aussi. Des fois, tu ne criais pas. Des fois, tu. Parlais, oui. Un peu. Comme les autres. Peu. Tu criais, plutôt. Mais pas toujours mon prénom. Non. Je n’attendais pas. Que tu le cries. Maintenant, oui, peut-être. Encore que. J’aimerais pas. Non, j’aimerais pas que tu le cries. Encore une fois. Mais j’aimais. Quand tu. Juste avant les pleurs, c’est ça. Mais sans les pleurs. Avant. Sans. Alors oui, là, c’était bon. Pas forcément sur l’instant, non. Mais maintenant, oui. Que tu l’aies, oui, crié, maintenant, c’est bon. Sur l’instant, c’est jamais bon. Que tu cries comme ça. Même mon prénom. Je préférais mon prénom, quand même. Un peu bon. Sur l’instant. Ça marquait une forme d’abdication. Je savais, oui, que non. Tu n’abdiquais pas. Je croyais. Oui. J’espérais. Pas trop. Pas trop d’abdication, tout de même. Non. Ça ne risquait pas. Tu n’étais pas du genre à abdiquer. Tu n’es. Ou plus, peut-être. Je ne sais pas. Je ne veux pas savoir. Que tu sois ou pas, je m’en fous. Que tu aies été, ça, oui. Là, d’accord. Je veux savoir. Que tu aies été en train de crier mon prénom, alors je dis oui, je veux savoir. Je veux encore avoir entendu ce cri, là, oui. Savoir que tu as pu crier mon prénom comme dernier recours, d’accord. Je retiens. Je ne retiens que ça même. Non, quand même. Pas que. Mais que tu n’aies plus eu d’autres recours que mon prénom à crier, que crier mon prénom ait été ta dernière chance, ça, je retiens. Même si. Non, n’y pensons pas. Si. Tu aurais pu le crier, mon prénom, par flemme. Tu étais du genre. Ton silence était plus fort, bien entendu. Tu le savais. Tu aurais pu préférer crier. C’était plus simple. Que de te taire. Mais non. Je ne crois pas. Je l’ai entendu ce cri. Ou ces. Je ne sais plus. Au moins un. Non, plus. Bref. Tu as crié, ça, c’est sûr. Mon prénom. Parfois, oui, c’était. Autre chose. Parfois, oui, tu criais, mais pas au bout. Enfin, si. À la fin. Ou pas, d’ailleurs. Mais plutôt à la fin. De jouir. Ou même avant. Pendant. Non, pas pendant jouir. Pendant que, oui, nous suions. Corps et. Non, pas âmes. Là, tu criais, c’est sûr. Et pas que mon prénom. Souvent, pas des mots. Non. Tu criais des cris. Pendant. Avant. Et puis mon prénom. Une fois. Sur quatre ou cinq. Ou pas. Peu importe. J’aimais bien, aussi. Ah ça, oui. Mais non. Je veux dire, non, ce n’est pas de ce cri-là qu’il s’agit. Ce n’est pas ce cri-là qui m’excite. Enfin, si. Sur le moment. D’ailleurs, si on écoutait un peu, je criais aussi. Pas mon prénom. Évidemment. Ni le tien. Parce que les prénoms, ça ne m’intéresse pas. À crier. Crier, comme ça, tout seul, non plus. Mais bon, sans doute, oui, je criais. Pour l’ambiance. Pendant. En réalité à la fin. Pendant, non, je veux dire avant. Avant, non. J’étais, on va dire. Oui, silencieux. Un murmure, allez. Pendant que toi, pendant, hou la, oui, dis donc. Pendant que nous suions, tu ne susurrais plus. Ni moi. Murmurait, oui. Pas susurrer. Susurrer c’était pour encore avant. Ou après. Qu’importe. Tu as crié mon prénom dans d’autres temps. D’autres endroits que. Un lit. Ou une voiture. Le cri qui m’excite, je veux dire, qui m’excite encore aujourd’hui, qui m’excite de l’avoir entendu, tu ne l’as pas crié, non, dans un lit. Une voiture, allez, à la rigueur. Pas en roulant, je ne crois pas. Tu aurais pu nous tuer. Si jamais je conduisais, alors, c’était sûr, tu nous tuais. Mais non. Tu ne nous as pas tué. En voiture. Je m’en souviendrais. Quoique. Si tu avais crié mon prénom en voiture, pendant que je conduisais, ça ne m’aurait pas excité. Ni même aujourd’hui. Le danger ne m’excite pas. A posteriori encore moins. Je ne m’en souviens peut-être pas. Je me souviens juste de mon prénom crié au terme de. Conciliations, non. Supplications, oui, on va dire. Avec réserves. Tu suppliais, c’est ça, sans qu’on le sache. Ou plutôt, si, on savait, tu suppliais, mais sans rien lâcher. Tu suppliais, voilà, sans perdre pied. Alors, quand après, c’est ça, tu perdais vraiment pied. Ou pas vraiment. Tu avais encore pied, sûrement. Plus pour longtemps. Je n’en savais rien. Quand après, tu étais sur le point de perdre pied ou le perdais, tu criais, on y est, mon prénom. Tu hurlais, même. Tu te noyais, mais non. Plus pied, tu te noyais, mais, décidément, non. Ou alors, tu te noyais sec. Tu ne glougloutais pas, non. Tu criais aride, définitivement. Le gosier crevassé. L’expiration achevée. Et moi, j’entendais, je ne pouvais faire qu’entendre, vu le volume. Je ne comprenais mon prénom qu’après. Ton cri. Dans la résonance de ton cri. J’écoutais le silence après le cri. J’entendais mon prénom dans l’écoute de ce silence. J’entendais ta noyade dans le désert. Et j’éprouvais, oui, un peu. De jubilation. À peine. Peut-être, maintenant, oui, je jubile. Peut-être, maintenant, ce qui m’excite, c’est cette jubilation. C’est l’idée d’avoir goûté, mais je m’avance. A cette jubilation. Mais si jamais, par hasard, j’entendais de nouveau ce cri. Si jamais, ça ne se peut pas, mais quand même, tu criais. Mon prénom. Imaginons que, là, maintenant, tu viennes, chez moi, par exemple. Que tu viennes frapper à ma porte, déjà ça prouve, je ne sais pas quoi, mais quand même, il y a une sonnette. Que tu viennes frapper à ma porte et que tu cries mon prénom. Pas que tu le cries à la fin de jouir, parce que ça, encore. Pourquoi pas. À l’occasion, je dis pas. Encore que, les conséquences, allons bon. Mais oui, c’est vrai, si tu venais frapper à ma porte, pour jouir un coup et crier mon prénom en prime, je dis pas, ça peut être sympa. J’avoue, cela m’exciterait, on serait là pour ça. Mais non. Imaginons plutôt que tu viennes, si, si, j’insiste, je ne ferais pas le déplacement. Que tu frappes à ma porte, après avoir marché et monté les escaliers – il n’y a pas d’ascenseur, tu ne t’y attendais pas à celle–là. Que tu tambourines, même. À ma porte. Que j’ouvre, on ne sait jamais, ça peut être une urgence. Là, maintenant, tu viens tambouriner à ma porte, pour crier mon prénom, à bout de souffle, tout comme j’aime. Comme j’ai aimé. Comme j’aime avoir un peu aimé. Alors là, non. Alors là, je te dirais non, désolé. Je n’ai pas le temps.