Benoît Lecoq / Déroute et deux autres proses courtes |
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Né en 1958. Vit et travaille à Nîmes. Réécrit depuis un an, dans trois directions : des poèmes (un recueil inédit : "Archives du silence", un autre en cours), de courts textes de prose poétique et des récits brefs. Ecrit et manuscrit aussi des textes pour des livres d'artiste réalisés avec Eliane Kirscher (L'Attentive), Anne Slacik, Isabelle Cavalleri et Joël Leick.
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Cétait une déroute qui ne disait pas son nom. Un éloignement honteux. Une humble retraite. Un chemin traversé par lanticipation de son absence. Du temps volé. Cétait une retraite universelle. Les signes, que javais eu le tort de ne pas compter, tombaient lun après lautre. Sortis de la religion de leur emplacement. De la précaution des aménagements. Cétait un peu comme si, insensiblement, on avait fait bouger les meubles et les objets familiers. Et quelques-uns, qui disparaissaient, ne manquaient pas. On avait pris grand soin de faire sans bruit. On avait muré là où, naguère, béait le risque de la lumière. Il fallait souvrir des chemins dans le vertige des nuits closes. La petite troupe de déserteurs que nous formions suivait à distance le théâtre des opérations. Elle sesbaudissait de lenfoncement de lartillerie, jubilait au désastre des maréchaux. Il était beau de voir ces uniformes rutilants, boursouflés de galons, fuir dans la brume qui épaississait tout, absorbait tout, assassinait ce petit bout du monde conquis sur la misère et sur la peur. Nous autres, fantassins de lombre, voilà longtemps que nous avions appris à nous jouer des pièges du brouillard, à ruser avec les ténèbres. Nous avions apprivoisé la nuit. Son silence était notre bannière. Notre lumière. Delle, nous avions fait une arme pointue comme un couteau. Un soir, lun des hommes de la poignée lun de mes hommes car ils étaient devenus mes hommes sest absenté du groupe, parti chercher je ne sais quel fretin au bazar du village. Nous ne le revîmes pas. Ce fut le commencement de la désunion. Bien plus tard. Bien plus tard, alors que je coulais ma vie paisible et triste. Et que javais appris à mépriser le fatum des guerres ; à oublier leurs éternuements vains ; à respirer en toute innocence au milieu de la pauvreté, des crimes et du rien. Un jour le sentiment dune déroute au détour dun chemin. Je suis rentré chez moi, louvoyant dans le gris du soir vermoulu. Battant en retraite. Recherchant la pénombre des ruelles et lécho rassurant de mes souliers. Jentends encore leurs pas sessuyer dans le hall, résonner hautement dans le vaste séjour. Soudain se taire. |
Je navais pas éconduit la raison. Elle avait déserté. Abandonné ma route, ses chemins. Sétait retirée, à mon insu, des ruelles où, autrefois, elle aimait à se faufiler. Nous traversions des galeries. Les arpentions inlassablement. Avec obstination. Jétais frappé par la stupeur des marbres, par létonnement des portraits, le blême des figures. Jai voulu me pencher au-dessus du garde-corps qui défendait le gouffre de la cage descalier. Une volée de marches à perte de vue. Vous mavez arrêté. Jai ri. Nous avons ri ensemble. Un instant jai trouvé pâle ma présence. La vôtre aussi. Me suis demandé si nous étions bien sages de nous égarer, ainsi, dans ces corridors sans fin où nous trouvions notre bonheur. Votre main, dans la mienne, était devenue froide. Elle avait cessé dirradier. Je traversais. Je traversais sans relâche. Inquiet de ces figures maussades, de lindifférence des portraits, du dédain de la pierre. Barbes pleureuses. Nez cassés. Regards vitreux. Mouvements suspendus. Pauvres gestes à jamais arrêtés. Hauteur inquiète du passé. Vous avez ri. Vos babillages leur tumulte ont fini par mimportuner. Mais cest aux autres que jai réservé ma colère. A quoi servaient-ils donc ces morts majestueux ? De quoi se mêlaient-ils ? Pour qui se prenaient-ils ? Quels droits et de quel droit ? sétaient-ils arrogés, ces cuistres noueux ? Jen avais assez, à la longue, de leurs longues figures, de leurs ricanements inutiles, de leur fierté langoureuse, de leur morgue vulgaire ; et paresseuse. Vous avez appuyé votre main sur mon épaule, suggérant une pause. Une soustraction. Fallait-il reculer ? Remettre à plus tard le désir ? Prolonger linacceptable attente ? Une crainte qui, dans mon dos, avait planté son épine, ma ôté de ce doute. Des pas résonnaient dans la salle devenue déserte. Des pas légers et tendres. Mélodieux. Des pas venus du pays de lenfance ou de la femme. Une comptine dans le brouillard gelé du matin. Un frôlement. Jai cédé à cet appel. Une porte. Et, derrière la porte, soudain un corridor. Un corridor dune étroitesse aphteuse. Un corridor qui ne menait à rien. Javais espéré des obstacles. Souhaité une confrontation. Mais rien. Evanouis les pas et les comptines. Nul crissement sur le parquet. Dissipées les odeurs de flacons et les senteurs de buis. Je navais pas congédié la raison. Jétais dans le jardin et je my complaisais. Nous avions dû nous y donner rendez-vous. Je minquiétais de la taille haute des futaies. Du silence charnu qui enveloppait. Un vent léger coulissait dans ce monde attendu. |
A petit peu, à petites morts, il ne restait plus rien. Javais franchi un seuil, passé la margelle. Et maintenant plaqué, centrifugé, contre le froid de la paroi circulaire. Je nétais plus rien. Il me restait cétait beaucoup un il pour vérifier le fond, une oreille pour examiner le silence. Justement, je devais être dans un puits sans fond cela, quand jétais inquiet -, une claire-voie dans le temps des optimismes-. Enfin, quelque chose de palpable. Je descendais. Allure vive dans la chevelure des araignées. Peu à peu, les repères sabsentaient. Cétait donc cela le silence ? Cette pauvre chose ? Une pépite de loubli. Recherchée. Redoutée. Rien ne vient, et dans lattente que rien ne veut résoudre, rien ne viendra. Rien qui coulera. Je suis dans un effort de stalagmite, attentif aux souffles, sils venaient à ne pas être doux, à ne plus être des caresses. Jai survécu longtemps dans cette étrange posture. Suspendu. Entre lilleton de lumière et la fin sombre. Dans lamusement narquois de lhésitation. Quelle aspiration serait la plus forte ? Lhaleine la plus chaude ? Je me vois tiré par le bleu. Cest un mauvais rêve. Le bleu, autrefois, navait pas cette teinte, ni cette odeur. Il tirait toujours vers ce brun qui rougeoie autour des vergers de lenfance. Donc, je mefforce de me relever. Jondoie maintenant au-dessus du gouffre, malhabile, intimement malhabile. Jai fait chuter des cailloux blancs qui me disent que rien nest loin. Des serpents viennent me caresser le museau. Ils sont mes amis. Je nai plus aucune constance de pays. Lécho, qui semble sourdre, résonne des perles de ma sueur. Je me décide à regarder devant. Droit devant. Paupières aux armes. Il ny a rien, rien. Rien. De loin en loin, mon oreille orpheline perçoit un roulement de troupeaux. |