Christian Désagulier / Chant millénaire

Christian Désagulier a publié : POEMES BREFS, Commune Mesure n°10, 1974 ; RUNES, Temps Partagé, 1982 ; POEMES, Oracl n°5, 1983 ; LES OUTILS, LES METIERS, Vagabond n°11, 1983 ; 12 ET 1 RECITS EN SUSPENS, Commune Mesure, 1985 ; RAD THU, Ellerström (bilingue suédois-français), 1988 ; RAVALE TA LANGUE, sur un placard de Jean-Marc Scanreigh, 1993 ; O ALEIJADINHO, Jalouse Pratique n° 8, 1994 ; QUEL CHEMIN SUIVRAI–JE DANS LA VIE ? Po&sie n° 68, 1994 ; TRACÉ AU PINCEAU, sur un placard de Jean-Marc Scanreigh, 1994 ; RETOUR DE TERRE RARE, La Main Courante, 1996 ; PRELUDE, poème de Tomas Tranströmer, Barca n°12, (traduit du suédois), 1999 ; CHANT MILLENAIRE, FIN n°6 (extrait), 2000 ; CHIMERES, FIN n°9, 2001

e-mail / courrier pour Christian Désagulier

1 CARMEN SAECULARE || Soleil magne | attelage rutilant du jour | qui le promet et l'occulte | l'autre le même renaît
d'après Horace

2 SAUVETAGE || Buée de paroles sur la vitre | fragments de souffle au contact du froid || Touchant du doigt les mots | qui vérifient | réfrigèrent : | vitrifient || Avec la vapeur d'eau | la preuve que l'on efface | mais le sens que l'on sauve de l'asphyxie – | économe de mots ainsi que ranimés


3 SCARABÉE || Roulant pilule d'excrément | ainsi progressons-nous : | collés à terre || Sans domicile fixe de la pensée | en traversant les territoires – | poussière de gypse en fer de lance | goudron des rues | carrelage d'ex-voto – | avec des raisonnements voilés || Faut-il attribuer au scaphandre | les difficultés d'articulation | le poids de l'air insufflé – | les réticences devant l'opaque ? || Sitôt la pente conçue | l'aile revient en mémoire | et de fugaces reflets noir-bleu | que l'élytre libère
1 RENGA DE LA CABANE DE FUSAIN || Depuis que la forêt est partie en fumée | je loge dans une cabane de fusain


4 THÉ CÉLESTE || Au ciel infusent les étoiles d'hiver | Orion en suspension dans le soluté | quand je m'endors | ce goût de mot d'anis | sur le bout de la langue – | de piqûre de scorpion


5 LEÇON D'ALGÈBRE DANS LA BERGERIE || Une somme d'animaux qui bêlent sans cause – | son résultat binaire : | ici égal à un || Docilités au moindre voeu d'en haut | déroulent tapis de laine et de piétinements | devant ce pâtre du chantage – | quémandent du sens || Ce champs où paître à l'ombre de sa crosse : | leur diapason || Un seul qui ne tient bulle | que pour parole agile – | sphère impesable | impensable retenue – | bêle bel : | à cause de cela l'égale à zérO – | mouflon dont les cornes se retournent contre lui
6 LE GÉANT DES MARÉES || Sur la plage où nous marchons | longeant l'ourlet mousseux des vagues | des générations de coquilles | concassées par le ressac : | un chant fait de succions et de crachats || Chaque vague se lance dans le rachat de celle qui la précède | avec les fonds du sac de cités englouties – | pense à la succession || Dire que nous en foulons la monnaie | battue par le temps – | par d'invisibles vagues – | et l'invincible barbare casqué | qui commande aux marées


7 AUTOMNE MARTIEN || Ces feuilles dites mortes – | tombées des nues || Fragiles moulages d'une dépossession | qui résistent aux coups de bec | de l'horloge atomique – | ce merle en mal de subsistance || Des formes que mars mémorise – | imprègne de rêves de vert : | l'oreiller de laurier


8 L'ESCARGOT DE KANT || Une bruine de sensations | et le concept sort de sa coquille – | progresse par capillarité || Ses antennes rétractiles | trient les signaux : | cristal de galène et spire à induction || Ceps dont il se sustente | jusqu'à ce qu'il croise | sur le chemin critique | la tortue porte-stèle
2 RENGA DE LA CABANE DE FUSAIN || Pruine matinale | jour que l'on cueille | avant qu'il se tale

1 DÉVOTIONS Á FLORA || PLUIE OU ROSÉE | BEAUTÉ DES GOUTTES | SUR LES FEUILLES D'OEILLETS

9 PERCE–CIELS || Etoiles de graines | qui ont pris dans le terreau | des questions dernières || La main qui les a semées | semée avec || Noir-noir | pas d'absence de sauts | mais profond de la profondeur – | pas la nuit de dormir | mais la veille ténébreuse | les yeux plantés dans l'arrière-ciel : | y germent
10 JUDITH || Je partage tes pensées | de bronze et de pétale || Pensées acéphales | idées bronze | dont les pétales se décantent | à la pointe des crépuscules – | entre cygne et louve

2 DÉVOTIONS Á FLORA || PARFUM DE ROSES ANGLAISES | DU MÊME ROSE | QUE LES GALETS NOIRS


3 RENGA DE LA CABANE DE FUSAIN || Torrent que l'univers | galets ses planètes | la terre où je m'éveille : | la lune par la fenêtre
11 LES ÉPICES DE MALABAR || Un oreiller en forme d'auge | à gâcher le plâtre – | l'enduit de nuit | ses masques || Des sorties dans l'espace | où l'on se cogne | contre la masse cachée de l'univers – | contre la patte du lampadaire | grue borgne | au plumage noir || Plus de rêves ou alors | à forte consistance de réalité | un travail de subduction nocturne | qui délamine || Restent les nuages | exemplaires | inclassables | faits de la matière des projets inaboutis | les plages où se succèdent | abandons et engouements : | les épices du retour à Malabar


12 SOUVENIR DE LECTURE || Jeune femme au torse nu | à plat ventre sur les coudes | un livre grand ouvert | sur la taie : | dessous un crâne | confère du volume à l'oreiller || Nul paysage | que les replis profonds de la couverture du lit | du livre | des cavités osseuses || Elle a redressé la tête : | regard réglé sur l'infini | yeux noirs aussi | presque brûlants d'avoir trop lu || Les directives d'un lamaneur d'Utrecht | des bruits de guerre dans l'hinterland | un brusque assombrissement ou l'inverse : | accidents sonores ou lumineux | que trahit la brillance des yeux | poseurs de questions – | la peau blanche des réponses | jamais satisfaites
d'après Marie-Madeleine pénitente de Johan Moreelse


13 AMBRE GRIS || Déjections pleines de becs de sèches | échouées sur la plage de faire | du nouveau avec de l'ancien
14 SATIRE DES MÉTIERS || Toutes les formes de forme | et couleurs de couleur inventées – | de terre arable des marais | dans les tombeaux du refus de voir – | extraites des fouilles cérébrales | puis chantées sur la harpe de cuir : | la souffrance du nattier | à tresser le chant du papyrus


15 RECONSTITUTION || La petite main d'Eros – | seulement la main | dans le dos d'Aphrodite accroupie : | l'excroissance cassée nette au poignet | le scintillement de la calcite à l'endroit de la cassure – | la main qui me manque

16 HISTOIRE COMPARÉE || Ce couple en bois du Nil | debout bras contre bras | que tout oppose à l'étrusque | enlacé dans l'argile : | leurs visages d'antéfixes habités | par l'assurance du nombre infini de lendemains | l'air d'être peints par Leonardo || Tout sauf l'étreinte | concentrée dans la matière ligneuse – | dans la zone de contact intime des bras : | la mélancolie de leurs regards parallèles | devant les difficultés de l'existence | quand poind la décrue
17 CRYPTOGAME || Draps qui pendent aux fenêtres | en face de la champignonnière || Des strates de pailles et de crottin jusque haut | se décomposent en fumée et substrat | tandis que prolifère l'agaric | dans la galerie calcaire || Draps qui sèchent | blanchis des squames et de l'urée | des efforts à s'extraire du tuyau ténébreux

18 BOUC ÉMISSAIRE || L'extinction de voix d'un trop à dire | des dialogues en double-aveugle | un choeur ventriloque : | prémices à tragédie || A l'origine de tout : | la rétribution de l'entrejambe | des mitoses fatales | la loi d'y désobéir || Fusion froide | que les protagonistes entretiennent | la bouche noire de charbon – | de vérités pas bonnes à dire – | dans la lumière ocre de l'embolie

19 TECTONIQUE DES PLAQUES || Le son de ma voix | sortie des sutures de la boîte d'os | celle d'un naufragé à la dérive | sur la magma cervical | qui me tend la main depuis son radeau || La conscience de sombrer | de compenser en lâchant du lest – | de l'être : | musique de fosse
20 CENTRE DE MÉMOIRE || Des hippocampes argentés | suspendus dans la vodka | rebondissent au centre rouge | du temps du rêve || Le temporal décomprimé | demain n'est déjà plus une hypothèse | sur la carte des récifs coralliens || Après des miles à contre-courant | s'échouer ensemble sur la plage vénusienne d'Ille – | connivences de fugitifs

21 LE GRAND CHAPERON ROUGE || Colère des larmes que tu polis – | loupes à travers la colère déformante || Sa fureur ne réchauffe pas | ni ses babines ne consolent | de tant de grande proximité éburnéenne || Que toutes pertes susceptibles d'advenir – | de clefs de linge et d'argent | l'identité de papier – | tous dérèglements lui adviennent | au lieu qu'à toi || Comprends | ses bonds sur toi | immédiatement versés au compte du regret | voudraient agrandir le cadran lunaire | aux engrenages en dents-de-loup : | sa rage te prévenir de la morsure | à goût de jusquiame


22 DU PAREIL AU MÊME || Solide solitude | d'avance visqueuse | sous la pluie drue | du ne pas m'entendre | ficelé dans l'anse | du ne pas m'attendre || Ou bien l’inflation galopante | des devises en robe de chambre | à dragon dans le dos | des billets dans le caniveau : | ces paroles azotées | qui suintent de l'enfer
23 RÉGIME DE FAVEUR || Manger tout seul | cela ne se peut – | huîtres asperges foie – | trop de subtiles fadeurs | trop d'intime présence dans la mastication | dans la déglutition de sommités : | le miroir magnifiant de l'assiette vide


24 OUÏ || La tige creuse de calcaire | et pétales d'ardoise | clochers dénoyautés. || Ça | le nectar du silence | l'attente irrésolue de la cadence ? || Où fondues | en quoi ? || Encore parviennent leurs infrasons | jusqu'au rocher sagittal : | le bleu vertigineux | des nappes de campanules | un labyrinthe mélodique

25 CRONOLOGIE || Des ancêtres bouilleurs de crus | aux pommes farineuses – | génisses au pré paissant | dans la brume des pommiers || Leurs sabots concassent | les rognons de silex | qui damait la cour | gémissent à la chaleur de l'étable || Des pis endoloris | les tiges de lait extrudées | cinglent le seau en zinc : | la tiède émulsion du présent | et puis ?
1 YONI SUTRA || Tes mains sur ma nuque : | la puissance des caresses | prodiguées à l'épagneul || En équilibre sur la truffe | haletants orifices | le sucre de la récompense | partagé


2 YONI SUTRA || Mains sur la margelle du bassin | le visage immergé | dans l'eau de ton ventre : | mâle de bonellie

26 GARE SAINT LAZARE || Qui suit la byzantine | emprunte l'escalator | sous des voûtes d'azulejos || Mollets sous leurs gousses de nylon | se frottent aux règles des regards | la masse de ses cheveux : | électrisent les yeux | s'y accolent – | de petits bouts de papier || Elle n'a rien omis : | défaire les noeuds | le réglage des sangles | provision de fruits secs et la menthe | avant de boucler son havresac – | sa chevelure
27 SOUS LE PORTIQUE DES PEINTURES || Le tableau est là | enregistrement de gestes | qui les repasse au ralenti | image par image || Que tu n'as pas besoin de posséder | qui te possède | relève de la possession || Mélange de substances pensantes et étendues | opéré dans le pot du crâne : | étale d'attente | abandonné des mots

28 SIMA || Si | la chimie des étoiles de terre | le sable dans l'oeil || Ma | réagi à l'air | hérite de l'incandescence | des conditions initiales || Ce voir | porté à l'aveuglement | portulan pour les espaces profonds | où se détresse le corps de l'âme – | cicatrise sous la croûte – | à distance discrète | avec la précision furtive | des rêves au réveil

29 LEGS A LA COHOIRIE || Parpaings de pouzzolane | en quoi j'ai édifié ma demeure : | la chaux à l'eau noire gâchée || Maison d'adret aux vitres micacées : | par elles filtrent d'obscures fulgurances | contre elles se cognent le bruit des mondes | l'étoupe des mots | affectée au colmatage | de la coquille fendue | de l'oeuf noir galactique
30 NOTRE CIRCONSTANCE || Galets d'yeux clos | régal d'oreilles | au polissage des cubes en sphères || Carpes et métacarpes d'harpistes | à s'en déchirer les palmes | sur les cordes de pierre | aux arpèges grégoriens


31 PORTE DES HOULES || Bouvier de vaches noires au pré en sable : | des cornes de glaise | dans leurs sabots fossiles | affaissées au pieds de la falaise || En langue de galets | elles meuglent de trop plein | la main qui apaisent | d'extraire du pis appréhendé – | du poing formé – | le lait bleuté du littoral

32 VITAM IMPENDERE VERO || Loge la vérité dans la friction – | dans la pointe du bâton frotté – | bois sur bois | dans le mouvement rotatif de l'arc dévoyé – | que la fumée dévoile
33 LIED BLANC || Nuit où elle plaque | ses quintes de toux | sur le piano du lit : | son corps mouvementé | de positions indécidables || Nuit noire de blanches et de croches | noire de noires | quand le collutoire des paroles susurrées | drape son pharynx


3 YONI SUTRA || Le goût de ta langue | ton odeur de plis | du cou des seins de l'aine | l'étroitesse de calice des fesses : | autant d'indices criants | en foi de quoi | de toi – | sur la piste du Sphinx | me perdre dans le noir


34 SYNOVIALE || Galets-syllabes imprononçables | à se tordre les chevilles en parlant | en marchant dans la salive || Rotules réitérées | autant de fois que le pieds prend appel | appelle de ses voeux | le sable compact des concomitances – | le réceptacle de tous les épanchements
35 LA CATHÉDRALE ENGLOUTIE || Ces bouts de verre sucés | jaune brun vert bouteille | à la mer par les vagues | à quel vitrail soustraits ? || Combien de plomb démonté | dissout ? || De moellons réduits à l'extrême | dans le vacarme des gargouillements ?


36 LE GRAND OEUVRE || Un parmi des milliards de sculpteurs nains | rivé au broyage | privé de langage | hors des râles scandés | livré à l'inachèvement qui poind | chaque battement de peur | d'aller trop loin : | rivage d'où la vérité sourd | son buste de sable entre les dents


37 LE VIN CHAUD || Des mots qui m'hantent | persévèrent dans la bouche – | l'ample délectation | de tout ce qui reste à venir – | à sous-venir : | les remonter de la cave | où ils se bonifiaient
4 RENGA DE LA CABANE DE FUSAIN || Récalcitrantes mûres | est-ce jus ou sang qui perle | de la pulpe de mes doigts ?


38 VOL PARABOLIQUE || Mais d'ire | la glotte avale son cachet d'iode | pour qu'en thyroïde se cache cette vérité là – | en ici central || Hémisphère d'argile et de paille | à la salive agglomérées : | une idée d'hirondelle | aux boucles successives d'élans et de remords | de mots gobés dans un ciel violet – | les plus durs à dégurgiter | les crissements de becs qu'on déclouent


39 SPÉCULATION || D'abord il y a ce don qui endette || Mais quoi : | de l'air respiré | de l'eau bue | quantité d'émois par tous les pores | tous les axones éprouvés ? || Corps qui nous consent ce prêt | à taux infini– | prime l'âme
40 HABEAS CORPUS || Pavot si beau fané qu'en fleur | aux pâles vertiges de balancier || Ce rose pétaleux | carrés de gaze | en prévoyance de proches dislocations : | de parlers morse || Trébuche le silence | réduit à poudre rouge | désole de l'intérieur | le regard du paysage || Il oscille | pivote | se cogne la tête contre la tête | victime du mal des senteurs pierreuses | avant de coucher son nombril | sur l'abîme blanc | plus grand vivant que mort

41 CIEL-ÉTHER || Quel voyage en fauteuil ascensionnel | sous les tropiques halogènes | avec la sensation de souffrance sereine | au frottement des récifs de nuages || La clé universelle de l'extase dans la bouche – | le grand-écart des mâchoires – | inhalées à travers le masque de cuir vert | les molécules volatiles || Ainsi s'opèrent les amygdales | loin des intrigues de palais | mais les condyles douloureux | de lecture sur les lèvres | le rapt consommé : | annihilé


5 RENGA DE LA CABANE DE FUSAIN || Tellement de nuages | des bouts de ciel entre | on dirait l'inverse
42 ENTRÉE EN MATIÈRE || Au bain d'océan | le saisissement | le désossement : | les lames affûtées | sur la pierre d'horizon || A la fin la tête flotte | dedans l'esprit vaque | l'enveloppe de peau liquide || Avec le retour au sec | le retour anadyomène à l'entité : | sur la plage de corindon chaud | le corps retrouve de l'adhérence – | ses limites abrasives || Ses limes | avant de reprendre le chemin des flots | avec une volonté d'invincible armada : | la difficulté de se narrer

43 VERS TON ME CHAUDE || Le déchirant des fanfares de laiton | toute la complexité des choses fondue | laminée chaudronnée claironnée | sous les doigts experts en maniement de ressorts – | en sortilèges : | jazz du fond des âges


44 PRODROME || La vie après lamort – | des mots préconçus pour : | précoces || Quantité de cosses versée dans l ’advenir : | le fausse || Le nombre de pieds pairs | la rime amère | parentèle des vers et des points auguraux : | souper de pois.
45 MISSIVE SOLAIRE || Étoiles sonores | surgies de terre | aux intrications minérales et végétales | à mi-règne : | château de ciel | aux parfums d'herbes écrasées | entre deux soleils || Rebondi sur le socle du temps métamorphique | l'écho de ses cloches entre les arches || Vous en jouer l'hymne | sur ma lyre d'Ur | aux cordes écrouies


6 RENGA DE LA CABANE DE FUSAIN || Dans le champs de lavande | les abeilles vrombissent | autour de mes chevilles


3 DÉVOTIONS Á FLORA || AGAPANTHES D'ÉTINCELLES BLEUES : | AU CIEL CEPENDANT | NUL CORDON DE SOUDURE
46 VALLÉE D'AUGE || Sous la presse à longue étreinte de la mélancolie : | son manoir aux constructions de briques rouges | aux toits à noues || C'est alors que la pommade verte des prés opère | nous masse le coeur et les yeux | avec la douceur des pentes | et doigté d'herbe – | à l'exemple des pommiers récalcitrants


47 AVEUX DE FAIBLESSE || La soif de foi en soi | quand la vague escarpée quitte le confessionnal | aux parois rouges et vertes d'algues phosphorescentes || Tutélaires | des colonnes et des voûtes soutiennent la falaise | qu'elle creuse dans le geste d'absoudre

48 BÉTHANIE || Où tu as choisi de naître | le plus près possible de toi – | le plus proche de l'inexprimable || La paix avec les marées | sans cesse à renégocier : | un traité écrit à la patte de goélands | au loin le mirage | de l'armée alliée des vagues
4 YONI SUTRAS || Prana quand tu poses ta langue | sur le plus et le moins de ma dyna-mot | appuies ta joue sur la jante du mandala

49 APRÈS LA BATAILLE D'ARBÈLE || Morte planète pulvérulente | après pierre | pierre | rouges environs || Des yeux sans l'appareil de visée | dans l'envoûtement des ruines et des concrétions | sans qu'il y ait jamais rien eu de bâti | i.e. de limites complaisantes assignées à la forme – | ni théodolite


7 RENGA DE LA CABANE DE FUSAIN || Ce jour d'éclipse solaire | à l'atteindre presque | la perfection du rouge-gorge
50 CONSOLATION || Fond forme mouvement éclat couleur | du moineau que sa panoplie de plumes | dissimule dans le noisetier | quand il se jette dans les bras du vide


51 LA VALLÉE DES TROIS GORGES || Tu te taire | barrer ce que tu sais d'ancien | tu pour jamais | dans les grottes hydrocéphales || Avalée l'anthologie des trois cents | les sites jaunes révérés: | place à la connaissance par l'indignation | au transfert du siège de la mémoire dans le rachis

52 L'AUTRE EST JE || Il a prouvé à l'encre verte | son indépendance la plus manifeste | devant les tares de l'aurore | et les soirs de toutes tailles : | déclaré le feu bactérien à l'aucuba || Dans le mouvement de peser | atermoiements et arbitraires | il a sacrifié l'équilibre | au balancement du désir | le monnayage numismatique à la poignée de mains
53 LA FILLE DE JEPHTÉ || Les serments les plus difficiles à tenir : | ceux que l'on a jamais prêtés – | informulables d'évidences | enregistrés sur le miroir témoin – | irréfragable


54 DÉFENSE D'INSTRUIRE || Onze tues d'apprendre à lire | les versets trachéotomiques | les signes égales : | leurs regards jetés dans le puits du nôtre | la pensée expulsée du pensable – | quel ?

55 CÉANS || Le souffle de ta présence | par la fenêtre entrouverte sur le rivage | tes petits cris de mouette en rêve || A mesure que se résorbent l'aube | et le roulis hollandais | des hormones du sommeil | dérive le lit aux gréements affalés | vers le littoral sibyllin – | notre quotidien
5 YONI SUTRAS || Le piquant des locutions latines | traduites en sanskrit | à mesure que je tourne tes pages roses | me délecte du mélange de riz et d'épeautre | au congrès de nos corps


4 DÉVOTIONS Á FLORA || TULIPES DE PÉTALES HUILEUX – | SEXAGÉSIMALES


56 ABRÉGÉ || Collectionneur de flammes et de timbres : | de la fumée dans du cristal | ce monde
57 SUCCÉDANÉ || De la lumière et du son | que l'on fabrique par la pensée – | gong de quartz à rutile


5 DÉVOTIONS Á FLORA || IRIS AU DÉHANCHEMENT MAUVE | LA VULVE INCONCEVABLE | SANS LE RHIZOME SOUS-JACENT

1 CRATYLE || PIERRES PRIÈRES – | LE PIRE EST DIT || PAS DE BRUIT | PARFUM DE BUIS | DANS L'ABBAYE EN RUINE – | DE TANT D'EXHAUSSEMENTS
1 CODEX || Dans la fosse aux dalles sculptées | d'hiéroglyphes maya | il marche nu-pieds | sur des coquilles de noix | se tord les chevilles | dans les rondes–bosses des cerneaux

58 KLONDYKE || Pépites phrases des rivières | qui se résolvent dans les vallées | encaissées de mon cerveau | de chercheur d'hors

59 CAVATINE || En équilibre sur le chant du toit | le merle pépite | d'or et d'anthracite
60 TABULA RASA || Miettes de minutes | sur la table du temps: | le doigt mouillé sur la langue | n'en pas laisser perdre une : | notre pain quotidien

61 COCCINELLE || Locataire des coins | et des plis de rideau | dont l'envol contrecarre | la collision des dés


6 DÉVOTIONS Á FLORA || IL RÈGNE UNE PRESSION TELLE | DANS LE BOURGEON D'UNE PIVOINE : | QUEL ANNEAU DE PÉTALES | AUTOUR DU VASE EN CRISTAL DE BOHÊME !
62 HOROSCOPE || Une fois les grains de mondes croqués | les peaux du connu | recrachées dans l'univers | nous restera la rafle du zodiaque || Plus qu'une odeur de terre battue | et les traces de frottement des coudes | sur les planètes crétacées – | tous rêves d'éblouissements | cuvés sur la terrasse | constellée d'éboulis


63 L'AVENIR DU LIVRE || L'esprit dans les mots mis | l'incante qui lit | une pièce sous la langue || Dans la chambre portative | tapissée de caractères | tangue la barque de papier – | rame le nautonier || Mais quand les cataractes | manqueront de courant | pour le transport du corps | qu'adviendra-t-il? | Et les noyaux réduits à du noir de fumée ? || Alors sur la terre parsemée de coquilles | et d'encombrantes urnes de pixels | régnera l'en-nuit

8 RENGA DE LA CABANE DE FUSAIN || Un silence immense | de feuille de papier | que chiffonne par à-coups | le pigeon qui s'envole
2 CRATYLE || ÉCRITURE : | ÉCHOS DE CRÊTES | RATURES DE CRIS


9 RENGA DE LA CABANE DE FUSAIN || Le vent rebrousse | le duvet vert-pâle | du poitrail de la mésange.


3 CRATYLE || CORMORAN | CORPS MOTS REND : | IL PLONGE QU'IL RÊVE
7 DÉVOTIONS Á FLORA || DAHLIAS : | MÉTÉORITES D'ÉTÉ

64 LE JOAILLIER-ASTRONOME || Qui transmute les jours d'aulnes | en ovale à péridot ? || Qui débrutit le saphir des heures nocturnes | le ronge jusqu'aux angles de convergences ? || Ses yeux le protègent de la poussière | des anneaux saturniens | ses oreilles perçoivent le bruit fossile | des planètes d’agate – | à se percer les lobes

65 TRAUMDEUTUNG || Travail du rêve | travail de taille | des gemmes du sommeil – | travail du vrai
66 REMÈDE INUIT || De l'eau de clou contre l'endormissement | et l'éblouissement des chromes de la complexité : | ce que réclame la conquête des antipodes – | la conduite du traîneau des idées || Une solution corrosive additionnée | de quelques gouttes d'iode à phares : | de la teinture boréale | aux fins de traitement du mal par l'art

67 REPENTIR || Pas le courage de corriger : | par trop de du des à distraire | ou geste de bravoure désespéré ? | Puis ce serait comme de gommer | ce qui supplée à la tétée – | renier celle d’où je découle qui se prénomme comme || Donc je regrimpe au toboggan de la monotonie irrégulière | me laisse glisser dans l’entonnoir – | ou m’en coiffe ?


68 NAISSANCE DE LA TRAGÉDIE || Sur le cliché il s'agrippe | au boulier d'une chaise-haute || Dans les yeux déjà la fixité | de mosaïque byzantine – | une lutte gréco-romaine d'anticorps | dans les jointures exsangues || Les ans comptés | la mue travestira ses cordes vocales | en colonnes de temple | où le bouc rendra gorge
69 SOUS L'INFLUENCE DE SIRIUS || Retour d'ascension | de la neige éternelle | tassée au fond du sac | pour qu'elle ne fonde pas | que son éternité ne se démente pas || Mais la masse maculée | de poussières des sommets | a goût d’eau plate dans la vallée | cela seul persiste | et sous verre les edelweiss

70 ASSOMPTION || Soleil éteint | phalène que leurre | le filament de tungstène | lestée de cendre sur les ailes – | de cendre d'ailes ?

71 L'ONGLÉ || Tachant de toucher | brisant de prendre | non que le monde soit insaisissable – | cassant à caresser – | mais les ongles bleuis | des coups de marteau | à côté du clou
72 MISSIVE || Longs courriers de plus lourds que l'air | arches en orbite géostationnaire : | Deucalion aux leviers de commande – | Laas à la sortie de terre | Laos au retrait des eaux

73 FUSÉES ANTIQUES || Ioniennes ou doriennes colonnes | combien de siècles-obscurités fendus ? || Des tonnes de poussée | qui ne s'exercent plus | que sur un ciel de marbre – | bleu marbré de nuages

8 DÉVOTIONS Á FLORA || AU PIED DE LA PALISSADE EN CIMENT DE L'EST | DES BRAISES QUE RIEN N'ATTISE : | LES CHRYSANTHÈMES DE TAO QIAN
4 CRATYLE || NARD DE NARTHEX | NARRE SEXE DE MA REINE DES PRÉS | QUI DÉBOUTE LES MAUX DE TÊTE | MA SPIRÉE À L'EXTRAIT D'ÉCORCE DE SEUL


74 FORETS || Dans la débâcle des saisons | l'arbre d'être | son radeau cérébral || Persistant s'il se résigne | à chercher le sommeil | sur un matelas d'aiguilles | dans la ténèbre balsamique || Caduc s'il s'obstine à forer | où gît du vert – | où le doute térébrant | cogitent des geysers


75 CONSTANCE || Ici-bas le traversant en bac | l'extrême proximité de croix | barrant le ciel || Le rauque ronflement pulsé | de leur turbine de plumes – | chant de blancheur sommée – | ainsi les cygnes quand ils me croisent | au sommet de mon lac | de montagne intérieure
76 MIEL || Ciel de mille fleurs : | vade mecum des monts et vaux cadastrés || D'abbayes de pétales en champs miraculeux | d'égarements dans les gynécées en visitations || Combien de sommités bues le suc | de repentir | de repartir : | de griffonnages carnet sur le corset ? || Un essaim de bourdons dans un poumon de cire – | l'ambre liqueur et le dard contigus


77 PNEUMATOLOGIE || La bouée d'appréhender l'absence de fond | tandis que se dégonfle | l'anneau de caoutchouc noir || Tant qu'à la fin la nage | la main d'Archimède sous le menton | paroles d'encouragements | que tout corps reçoit | de bas en haut | en l'eau comme sur la terre : | notre chambre à air

78 SOMMEIL DE PERSONNE || Dormeur doreur || Dort meurt d'aurore : | rêve d'Orphée – | orfèvre
2 CODEX || Langue d'immolé | de dragon dans la gorge || La fournaise endocrine | par les naseaux de l'équidé | tandis qu'il se sublime | insoumis nostalgique – | se décontenance jusqu'à l'émiettement : | cannelle de carbone

3 CODEX || La corde passée dans la langue | et le pénis | d'elle et de lui s'égouttent | sur le papier – | par de tels chas versent le cens : | le feule

79 AZURS FACTICES || L'aubépine | dès lors que se délite | le linteau de la nuit | l'ingère contre les salves de systoles – | édulcore le ciel | de bleu Della Robbia
10 RENGA DE LA CABANE DE FUSAIN || Le ciel bleu | sauf un nuage : | la lune

80 CX || Plus on avance vers le futur | plus on remonte le passé || Bravant les tempêtes de temps | on navigue à l'estime | entre des certitudes de fin | et l'espérance de durées : | instants labiles | qui succèdent et précèdent | le renouvellement de tous les soleils || Cent dix scolies d’après l’apocalypse | autant que d'ans dedans un siècle de romain | au frottement de l'ère offrir | le plus de surface de cornée et de tympan : | l'anse mélanésienne des larmes et des sifflements – | ce chant millénaire