Joris Lacoste / Vie de Vassili (roman)

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Vassili naît tel ou tel jour en tel lieu de parents untels. Il grandit avec sa sœur Francesca. C'est un enfant intelligent et imaginatif qui suscite l'admiration de tous : il fait du sport, il a des relations responsables avec ses parents, ses amitiés sont intègres, ses amours idéales. Jusque là tout va bien. Le soir de ses dix-huit ans, il rentre à la maison maternelle, s’enferme dans sa chambre et décide qu'il n'est plus question de qui ou quoi dans quel sens et pour quel ordre sublime. Il jette par la fenêtre ses meubles et tous ses livres de mathématiques, dort sur la moquette, passe ses journées dans le noir, dessine par dizaines des fleurs fausses et des artichauts pourris, apprend le burarra, le djeebbana, le guragone, le nakara, s’énerve et compose vingt-quatre Elégies Matérialistes minimales en heptasyllabes stricts. Puis il commence à délirer sur les astres et les galaxies, découvre le radium, l’antimoine, l’aspirine, sauve soi-disant le monde, saute par la fenêtre ouverte, rêve souvent d’usines, d’algorithmes, fait en rêve des rencontres réelles, croise des hommes indifférents et des femmes sans tête, s’illustre par mille actions remarquables porte, par exemple un chapeau, se prend de passion pour un cendrier, se déshabille au milieu de la route et à genoux prie les dieux, les hommes et les extra-terrestres. Il craint l’orage, l’amnésie, boit l’ammoniaque et mange les cailloux, parle toujours et tout le temps trop fort trop, doucement, trop vite parle et crie toujours à l’assassin, à la super, à la supercherie, à la super supercherie, au complot contre lui. Il écrit des lettres personnelles aux plus hautes autorités, critique la démocratie, conteste les lois, tire au fusil, tranquillement troue le bras de son beau-père adoré, se fait enfermer de force à l’hôpital de la Charité, passe trois mois en isolement total, attendant de pied ferme et personnellement les monstres, les martiens, les éminences noires. Puis il revient en société, il est très calme, très patient, il s'assoie dans la salle commune et fait ce qu'on lui dit, mange ce qu'on lui donne (sauf l'animal mort), il aide à débarrasser les tables, s'illustre au ping-pong, communique philosophiquement avec un certain Ulrich, prisonnier politique, pédophile et prix Nobel de Porcherie, qui lui apprend le yoga universel. Par cette subtile technique de respiration Vassili parvient à se débarrasser de ses amygdales, de son foie, de son cœur inutile et de ses deux estomacs. Plus tard il se coupe aussi la moitié d'un doigt de la main gauche parce que tout le mal du monde s'y est retiré. Il essaie de s'arracher la tête tout seul. Il veut se vider de tout son dedans qui est en trop. Il voudrait chier tous ses boyaux. Il le fait. Deux fois il s'échappe de l’hôpital psychologique mais se voit, rattrapé deux fois par le destin, les infirmières, le mauvais œil. A la fin, il ne s'appelle plus Vassili mais Démétrius, Daniel, Puck, Laszlo etc., il s'interchange tout le temps, il passe à travers les murs, il devient dans sa tête une jeune fille nue, nicotinomane devient Francesca, devient toutes sortes de choses et des foules de gens, entre autres Démétrius et Daniel le Prophète Mane Thecel Pharès Mane Thecel Pharès. Et de Daniel redevient Vassili qui bêtement, brûle dans sa chambre et se regarde brûler, tombe dix fois dix mille fois dans le trou, s’entrouvre, les veines avec un opinel rouillé, s’arrache la tête tout seul, traverse la rue sans regarder subit, les attaques frontales d’oiseaux, métaphoriques, de messieurs très spéciaux, respire fort, appuie sur la gâchette perd, personnellement l’équilibre et prend, feu, hélas, avale un bol de gélules multicolores mortelles, s’offre en petits morceaux, à un collectionneur de petits morceaux se, cogne contre quatre murs s’entretue, s'achève, meurt le 20 juin 2002 à 5 heures du soir.