Patrice Lucotte / Chouette !

 

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Accrochée au flanc de la cathédrale depuis sept cent cinquante ans. Si petite, une main peut-être de haut, polie par des milliers des millions de doigts humains. Sa tête surtout, réduite, de pierre lissée comme du caramel, connard.

Toucher la petite chouette du bout des doigts, faire un vœu. Venu avec ses parents, ses grands-parents, porté par eux à bout de bras caresser l'oiseau usé. Vœux ultimes des parents pour eux-mêmes, et ceux des grands-parents pour les enfants, les petits-enfants. Notre vie à nous elle est faite, mais la leur... Tous en silence. Disaient-ils. Il y a tant d'années. On en rêve et un jour on écrit. Des histoires de chiens qui se marient. Tout est possible. Sous la pulpe la pierre de la chouette est douce et froide. Mais le temps a passé qu'il faille me hisser à sa hauteur (et plus de nouvelles des chiens : sont-ils morts, divorcés ?).

Tous venaient. Autour d'elle donnés à entendre flottaient beaucoup de souhaits intimes et dérisoires, en compagnie de quelque grand dessein de temps en temps confié à elle en premier.

Il y a deux siècles, après sa journée de travail le pharmacien d'en face montait dit-on casser des gargouilles. (On ne les a pas réparées, on n'avait pas la résine, on n'avait ni plans ni photos). Mais l'histoire est fausse : en réalité, l'une des gargouilles s'était détachée transformant en deuil une noce. En cauchemar un espoir. N'empêche. Sans doute la petite chouette avait-elle entendu aussi les rêves de ceux de la Révolution, comme de ceux-là qu'ils mettaient à bas, et des uns et des autres le désir éperdu de survivre. Vu les orages, les éclaircies. Pleins soleils et ciels de traîne, connu tout cela. Plusieurs fois vécu le temps des bottes avant les rires éméchés des victoires. Salaud.

J'étais retourné la voir en famille, cette fois soulevant vers elle mes propres enfants. A chacun son vœu silencieux, et le même pour tous : être heureux, garder en l'avenir un petit peu de confiance.

Et toi, ce marteau en poche, de ces humbles minuscules désirs, qu'en savais-tu ? Et les tiens, as-tu au moins souvenir de qui les a brisés ?

Tu laisses monter ta haine, tu la laisses te déborder salopard. Quant à la nôtre... Mais non, tu n'en as rien à faire. En ville on radote les exactions comme celle-ci vont se répétant, s'amplifiant. On se passe le mot : plus besoin de réfléchir. Que de se laisser aller. La bêtise en profite et engraisse. Qu'importe, puisque demain les touristes palperont de la résine neuve sous surveillance vidéo.

Déjà quelque part on s'arme (comme avant, comme ailleurs) pour casser à coup de crosse les dents de tes pareils, de ceux qu'on aura choisi de haïr. Il y faut seulement du temps tu sais, celui que les tièdes apprennent à fermer les yeux (comme avant, comme ailleurs). A moins que...

Mais toi mon pourtant frère, mon pauvre con de frangin humain, en attendant elle te fait rire l'histoire de la petite chouette, elle te fait rire à mort : cette nuit tu lui as fracassé la gueule.