Cest le désastre
obscur qui porte la lumière. Maurice Blanchot
Où trouverons-nous une phrase assez pauvre pour
commencer à parler ? Quand nous saisirons-nous du chant, du cri
qui montent de dessous nos racines ? Quand rendrons-nous hommage au vieux
tilleul qui sut bercer nos rêveries ? Amasserons-nous un jour assez
de douceur pour entreprendre notre périple ?
A travers la fenêtre, le temps est identique à hier. On a
le temps à la bouche, ici. Mais cest un peu partout dans
le monde, le temps à la bouche : la neige, les pluies, les tempêtes,
les mauvaises intempéries et tout le bataclan. Je ne supporte plus
ces litanies, toutes ces supputations. La météo me glace.
Les soleils sur lécran me tétanisent. Leurs singeries
sur le climat mangoissent. Je ne supporte plus et, pourtant, elles
maident à mélancer. Oui, le moindre changement
au-dehors mest un secours. Le moindre mouvement dun nuage
malerte. Le vent qui se lève mest presque un enchantement.
Oui, parler du temps nous aide à passer dun jour à
lautre. Heureusement que le ciel nous déverse ses avanies
sinon que nous dirions-nous ?
Je regarde par la fenêtre et je commence enfin à parler.
Je suis un enfant quelque part dans lunivers qui regarde par une
fenêtre et voit le monde balbutier. Un arbre est nu dans la cour.
Les nuages sont nombreux dans le ciel. Des cheminées fument par-delà
les toits. Ainsi pourrait aller la description, courir la narration.
Le village est isolé mais sans plus. Nous nhabitons pas le
désert ni la toundra bien que nous nous sentons très loin
des autres hommes. Très loin. A des années-lumière.
Nous ne nous sentons pas complètement des hommes, je crois. Pas
tout à fait. Des bêtes, peut-être. En tout cas, une
drôle despèce conduisant ses troupeaux. Une tare de
lendroit ? Je ne sais pas, je ne sais pas.
Nous sommes au mois davril et il neige encore en cette saison. Cest
une neige légère, lumineuse, éclairante. Cest
une neige pour jour de paix, une neige bienfaisante. Maintenant les branches
de larbre sont blanches, toutes blanches, comme la pauvreté
absolue dune phrase. Larbre, en effet, est la première
phrase que je vois, la première musique que jentends. Larbre
est toute la vie de lenfant que je suis. En veillant sur nous, larbre
nous protège pour toujours. Je ne sais même pas son nom mais
il fait figure, ici, dAncien. Parfois, en silence, jengage
avec lui une conversation. Je lentoure de mes petits bras. Je lenlace.
Il est très doux, cet arbre, vraiment très doux. Je crois
que tous les arbres sont des êtres bons. Tous les arbres, sans exception,
nous veulent du bien et cest nous qui les traitons si mal. Cest
nous qui sommes les prédateurs.
Bon. Mettons. Ce sera un jour de paix. Il ny a aucune raison pour
que ce jour ne soit pas comparable aux précédents. Aucune
raison. Le tableau est en place. Tout est là où il doit
être. Tout. Nous sommes dans une vie banale, quotidienne, ordinaire.
Rien ne viendra déchirer ce paysage, ce tableau impromptu dun
grand maître.
La chaleur est intense à lintérieur de la salle de
classe. Le poêle ronfle depuis le lever du jour. Nous lavons
allumé patiemment à laide de vieux journaux relatant
les faits divers, avons glissé de belles bûches dans son
ventre et, maintenant, une flamme nette, claire, virevolte derrière
la petite vitre et cest à elle que jaccorde tous mes
regards. Tantôt elle est rouge, tantôt elle est jaune, aussi
jaune quun tournesol. Elle court, nous semble-t-il, dans le tuyau
du poêle qui traverse la pièce de part en part. Elle est
libre, cette flamme, chaleureuse, fraternelle, bienfaisante. Elle offre
beaucoup de douceur à nos apprentissages. On voudrait la caresser
de la même manière que nous caressons les fillettes dans
le silence darrière-cours. Mais la forte voix du maître
nous empêche de passer à lacte.
Dans notre dos, sommeille la bibliothèque où quelques livres
éreintés cherchent en vain un peu dair frais lorsque
nous les empruntons. Ils sont très sages tout au long des jours.
On ne les entend pas, jamais. Mais je sais quils chuchotent entre
eux , séchangent des murmures, profèrent leurs sentences
ou dautres plaisanteries. Ils veillent sur nous sans crier gare
; ils nous montrent, à notre insu, dexceptionnelles directions.
Ils ressemblent à de vieux sages sous leurs couvertures empoussiérées.
Ils dessinent pour nous tous quelques chemins imprécis. Je les
admire pour linconnu quils nous apportent à chaque
page.
Père nest pas encore mort tandis que mon regard flâne
de la bibliothèque à la flamme du poêle puis au regard
du maître. Mon regard est paisible. Jai dix ans, cest-à-dire
toutes les chances, tant dimprévus devant moi et je sens
merveilleuse la vie qui souvre à nous, qui nous attend à
deux pas de lécole. Les chiffres et les lettres sont un pur
bonheur. Je dessine avec soin mes arabesques. Je suis de tous les jeux,
de toutes les danses. Je suis un petit garçon qui apprend à
grandir. Je moccupe des bêtes ; japprends à les
conduire aux fontaines, à lier le joug à leurs cornes. Chaque
matin, quand cest à mon tour dallumer le poêle,
je suis heureux aux larmes de respirer la cire du vieux plancher dans
cet instant de solitude des premières heures du jour. Jouvre
les volets ; je verse les cendres ; je sursaute lorsque craque lallumette
et que sembrase le papier. Je dois réussir, pour nous tous,
du premier coup, coûte que coûte. Versant le charbon, je pense
à tous les miens que jai laissés dans le sommeil et
le froid de la chambre.
Nous lisons une fois le travail scolaire achevé. En somme, la lecture
est notre seule récompense. Elle se mérite, elle se gagne,
elle nous engage tous dans une course-poursuite. Nous rivalisons de prouesses
pour être le premier à saisir le livre de notre choix. Nous
jetons de furtifs coups dil vers tous ces vieillards qui papotent
comme des cancres tout au fond de la salle. Ils rigolent en nous écoutant
déclamer nos âneries. Jules Verne se frotte les mains ; Daniel
Defoe exulte. Des auteurs inconnus sesclaffent, trop contents dêtre
lus par nos yeux affamés.
Je méchine avec entrain, avec plaisir à parfaire mon
écriture tremblante qui caracole sur de petits cahiers, véritables
livres dartistes. On me prédit un avenir du tonnerre. Je
serai prêtre ou diplomate mais, foin de la vie agricole, je ne garderai
plus les vaches. Le maître, tiré à quatre épingles,
en authentique chef dorchestre, gère la musique, diffuse
son pensum, prononce les sentences, donne des coups lorsque, à
son goût, lattention se relâche. Il savoure un malin
plaisir quand il sort de ses gonds. Faut dire quil semble taillé
dans du granit ! Bien que le fixant, comme fasciné, je suis à
mille lieux de la classe, je flâne, je fouine, je métourdis,
je chevauche à travers la rude steppe tout bêtement car je
suis plongé dans la lecture de Michel Strogoff qui me ravit aux
larmes. Le maître est ébloui par ma soudaine concentration.
Pour lheure, il est dupe mais ma ruse ne fera pas long feu, sera
de bien courte durée. Il minterroge, profitant dun
subjonctif qui surgit du monologue. Jen demeure abasourdi. Jimplore
la flamme de voler à mon secours ! Mon appel reste sans réponse.
Mon appel au secours ne sera pas entendu ! Je men réfère
même au Seigneur auquel, je lavoue, je ne crois guère,
profitant des confessions pour développer le chapelet de mes mensonges.
Une gifle tonitruante me ramène au monde. Je vomis toutes mes tripes
; je deviens blanc comme un linge. Puis le feu prend sur mes deux joues
et suis couvert de honte. Dun trait, je ravale tout le savoir englouti
en trois ou quatre ans. Je fulmine, je peste, je retiens toute ma haine.
On vient de briser à jamais ma précieuse rêverie.
Un verbe du subjonctif traîne sur le plancher. Un voisin le ramasse
tandis que je passe à la porte, secoué de sanglots. Jai
le vertige. La planisphère oscille sur le mur. Le tableau noir
chavire. Mon regard se trouble mais ce malaise est infime en regard de
ce qui mattend. Oui, ce qui nous attend est souvent inqualifiable,
stupéfiant eu égard à ce que nous vivons sans trop
connaître notre chance.
Je suis un écolier dans une école rurale. Cela aurait dû
être ainsi : simple comme leau dune source. Frais comme
une bonne nouvelle. Intact comme la vie qui sannonce à nous
tous.
Aujourdhui, cette école nest plus. Elle est un bâtiment
administratif, une mairie. Notre salle de classe sest transformée
en salle de réunions. Au-dessous, dans la pièce du bas qui
fut autrefois un préau, ils ont installé vaille que vaille
une bibliothèque où mes livres ne sont pas, je suppose.
Cela na peut-être pas existé et ce nest quune
vue de lesprit, une sorte de mirage. Cest cela que mindiquent
les murs. Limpensable. Ils me balbutient limpensable au moment
où claque le drapeau national au fronton, sur lequel on peut lire
la trilogie patriotique. Combien lendroit est beau, tout en pierre
de taille, entièrement rénové ! Combien notre école
était en piteux état, suant la tristesse, lamertume,
la poussière, les avatars dune république impossible.
Combien toutes les portes se refermaient déjà sur nous !
Si père nétait pas mort, je naurais jamais écrit.
Telle est ma conviction. Cette pensée terrible revient souvent
en moi depuis plusieurs années, attestant de la fécondité
de certaines blessures .Père, je ne lai pas connu ou très
peu. De temps en temps lorsquil quittait les chantiers afin de nous
rendre visite. De temps en temps. A la façon dun courant
dair, comme ces rayons de soleil qui se glissent parfois sous les
portes des chambres de lété.
Absent, il vivait cependant avec nous, parmi nous, nous offrait le toit,
le jardin, réglait les affaires courantes. Il entrait, il venait,
repartait. Mais il ne nous embrassait pas, ne jouait pas avec nous, ne
nous installait pas sur ses genoux afin de glisser ses doigts douvrier
dans nos cheveux. Très rarement, il prenait lun dentre
nous par la main. Quelques photographies en témoignent. Seulement
quelques photographies. Très belles au demeurant. Dune vérité
bouleversante. Dailleurs, je ne peux plus regarder que des photographies
essentielles. Je naime plus que les photographes qui ne trichent
pas. Il en va de même pour la littérature, la peinture, la
musique. Je cherche tout à la fois lépaisseur et la
légèreté. Je cherche, sans aucun doute, linaccessible.
Purs travaux de titan.
Nous navons plus de temps à perdre. Plus du tout. En quelque
sorte, nous sommes allés voir de lautre côté
des choses sans y consentir vraiment. La vie nous a projetés là,
sur ses rochers, comme un ressac, de vieux débris.
La petite main de mon frère dans celle de papa. La main de mon
frère mort dans la main morte de mon père. Mon frère
mort à quarante ans. Notre père à trente sept-ans.
Moi, plus vieux que mon père aujourdhui. Moi, dun âge
désormais millénaire. Moi qui écris parce que cela
sest passé. Mais parfois, jen doute. Cest cela
mon tourment. Le doute est resté ma seule vocation, mon ultime
conviction.
Quelle est cette vague venue nous fracasser, nous planter ses poignards
? Pourquoi a-t-elle franchi nos murs ? Pourquoi nous a-t-elle atteints,
nous, dans sa violence et sa désinvolture ?
Depuis, mère garde le silence. Contemple ce silence brisé.
Cest le silence de mère qui griffonne mes cahiers de pacotille.
Pas plus. Le silence terrifiant de notre mère immobile quelque
part dans le monde, très loin de tout, de tous, profondément
solitaire. Solitaire comme aucun, notre mère. Impensable. Innommable.
Insensé. Dans la lumière dune fenêtre ouvrant
sur lunivers, la forêt toute proche, la rivière coulant
en contrebas où nous braconnions autrefois tout en gardant les
bêtes, en contemplant jouer les filles, en observant les avions
déchirer lazur.
Une femme dans le siècle tétanisée par la peur, aiguillonnée
par leffroi. Notre mère jamais devenue folle. Comment a-t-elle
fait pour traverser autant dintempéries ? Comment survit-on
à de si lourdes épreuves ? Où puise-t-on encore la
force de lever le visage sur toutes choses et de sourire à qui
vient près de nous ?
Cest avec cette idée en mémoire que je vais dans le
monde. Toujours. Toujours. Rivé à ces braises, à
ce feu, à ces tourbillons. Cest pour cela que je délaisse
linsignifiant, recherchant le courage de tenir la tête hors
de leau. Ne plus être un noyé, le noyé éternel
de toute fable.
Entre ces morts, le visage radieux de ma petite fille et sur ce visage,
certains traits de nos morts. Elle vit, insouciante, joyeuse, ignorant
tout du lieu doù elle vient. Ce lointain. Cet inénarrable.
Cet innommable. Elle ignore tout bien quelle jaillisse de cette
vie brisée. Elle avance dans sa vie les deux bras ouverts et cest
pure merveille de la voir courir dans le jardin tandis quau même
instant chantent en moi tous nos morts.
Il y a, je le crois, une part de la mort qui, loin de nous assombrir,
nous éclaire, nous nourrit, nous protége de bien des sornettes
de lépoque. Il y a une vérité de la mort, inracontable
et qui ternit forcément tout récit.
Ma petite fille enlumine tout ce quelle voit, tout ce quelle
raconte, jusquà ce jardin toujours un peu triste durant les
jours dhiver. Ma petite fille qui tient un peu de mon père
et ne le sait pas. Ma petite fille qui na jamais connu lhiver
de vivre, la joie len préserve ! Ma petite fille qui est
heureuse comme toutes les petites filles du monde !
Parfois, la mort nous déporte vers la joie.
Nous portons son nom, cest déjà beaucoup. Seulement
son nom vraiment en nous, sous notre peau, dans notre chair, sur la première
ligne de nos cahiers puis, plus tard, sur la couverture des livres. Cest
énorme de porter le nom dun inconnu. Immense. Cest
sans nom de porter le nom de quelquun et de ne presque rien savoir
de lui. Doù vient-il, où va-t-il, que fait-il de tous
ses jours, de toutes ses nuits ? Tellement de questions ! Cest fou
le nombre de questions qui ont surgi à cause de lui, autour de
lui, qui sont venues se nicher au cur même de notre vie. Autrefois.
Aujourdhui. Eternellement les mêmes questions pour nous tous.
Pour vous tous.
Nous ne savons rien de lui ou si peu. Il me faudrait raconter sa vie,
chercher quelque part les fondations de son histoire. Mais où ?
Mais comment ? Tout est tissé dinvisible. Tout. Plus dhistoire
pour mon père. Na jamais eu dhistoire. Na jamais
vécu. Aux orties. Aux orties. Pourtant, il y a des photographies
et je ressens à fond la nécessité de la photographie.
Cest lun de ses étranges mérites : elle donne
à voir linvisible. Elle va bêcher dans le silence.
Elle nous restitue nos morts. Ce nest pas rien. Cest beaucoup
mieux que le silence dune mère. Cest beaucoup mieux
que tout.
Les photographies de famille sont à labri dans une boîte
à chaussures posée sur larmoire à linge de
maman. Parfois, je les feuillette quand il me prend, à limproviste,
de lui rendre visite. Elle naime guère les revoir. Elle détourne
la tête de dégoût. Peut-être de chagrin. Je ne
sais pas. On sait si peu de choses sur toutes ces choses à lamplitude
infinie. Si peu de choses. Vivre naura donc été que
cet éclair ? Comme mourir ? Seulement cela, cette infime anecdote
? Ce désastre ? Alors que la lumière est telle dans le jardin
! Que les rosiers grimpent le long des murs ! Que ma petite fille accueille
le matin avec un tel ravissement ! Que les oiseaux sont entièrement
à ce quils font ! Que ce monde, le plus souvent, menchante
avec une telle ferveur ! Que les voix de quelques frères me rassurent
! Que la lettre de lami me conforte dans mon aventure !
Oui, il mest arrivé de haïr tout silence, de me mettre
en rage contre ceux qui préservent leur secret. Oui, il mest
arrivé de vouloir creuser à la pelle le tombeau de mon père
pour savoir, lui arracher un cri, une poignée de paroles, le prendre
dans mes bras et lui caresser la joue, sentir sa barbe grise contre mon
propre visage qui ne sait plus fermer les yeux. Lui chuchoter quelques
mots doux à loreille puis de partir, ensemble, marcher dans
la campagne. De vivre enfin comme nous navons jamais vécu.
De vivre, comme ce vent qui passe dans les arbres. Cest simple,
non, de vivre ainsi? Cest tellement simple que ça en devient
inaccessible. Cest ce que me dit le tilleul, ce matin, devant la
fenêtre. Juste ça. A peine un murmure. La lumière
linonde dune telle joie !
Pourtant.
Nous ignorions tout de lui et notre ignorance sest accrue. Dautant
que les années ont glissé là-dessus, ont essuyé
jusquà nos larmes , ont érodé nos souvenirs.
Pourtant, cest immense de porter le nom de quelquun qui vous
a précédé. Immense. Cest important, le nom,
mine de rien, tellement important que certains le modifient.
Ma petite fille porte le nom de mon père mort. Mes enfants ont
grandi, privé du savoir de lancêtre. Mon père
survit dans le nom que portent mes enfants. Quelque chose dimperceptible
ne sest jamais perdu. Malgré la mort. Malgré le pire.
Le nom a survécu, un peu comme un phare dans la nuit. Un nom minuscule.
Un nom des villages à lécart. Cest une trace
dans la boue, sous la pluie, dans le ruissellement du soleil. Le nom,
lentendre, cest une joie mais ce ne sera jamais une consolation.
Jamais. Nous mourrons, inconsolable.
Le nom, aussi, cest sans importance. Il faut savoir le perdre, redevenir
personne. Cest un beau nom, personne ? Cest le plus beau nom,
celui qui nous rassemble enfin, celui qui nous unit à linsaisissable.
Père nous envoyait de très belles lettres à la calligraphie
exemplaire. Mère ne nous les lisait pas. Jamais. Lettres mortes.
Elle navait aucune raison dagir ainsi mais cest ainsi
quelle agissait. Ces lettres nétaient pas pour nous,
ne nous étaient pas destinées. Nous reconnaissions toujours
lencre noire des enveloppes, ladresse de notre mère
légèrement inclinée vers le haut, la tache des doigts
sur le papier. La sueur. Oui, le travail des chantiers dans ces lettres.
Lesclavage des chantiers.
Pas pour nous, ces lettres, semblait-il. Pas pour nous. Incompréhensible.
Une fois lues, mère les enfouissait aussitôt dans un tiroir.
Après des années, tout un paquet de lettres noircies par
lencre, avaient rejoint les ténèbres de leur chambre
à coucher.
On traversait les saisons sans lui. Parfois, il surgissait au cur
de lété, quand midi séternise jusquau
soir. Il déboulait sur un chemin de poussière à bord
de la vieille aronde quil avait eu tant de mal à soffrir
et que nous avons vendue après sa mort car elle ne nous était
plus daucune utilité, se morfondant dans le garage dun
voisin.
Il ressemblait à un acteur de cinéma revenant de très
loin. Il nous retrouvait tous au bord dun pré. Nous fanions
sous la chaleur torride tout en écoutant le Tour de France à
la radio, Tour de France qui semblait se dérouler vraiment à
lautre bout du monde. Allongé contre un talus, du haut de
mes dix ans, jentendais les vivats de la foule et les applaudissements
lointains menflammaient le cur. Nous possédions là,
posé dans les herbes, notre tout premier poste qui était
un cadeau de papa. Je me souviens même de sa couleur : un rose pastel
qui luisait remarquablement au-dessus du buffet. Oui, je me souviens de
toutes ces heures si fugitives, de lodeur de lherbe puis de
celle du foin qui nous emplissaient les narines. Du bruit de la moissonneuse-batteuse
qui rentrait le soir au village, tous feux éteints, exténuée.
Il restait quelques jours avec nous puis repartait très loin, là-bas,
on ne savait trop où, en un endroit perdu de lhexagone. Campé
à la sortie du village, je regardais disparaître lautomobile.
Je la voyais sengouffrer dans la poussière dun nuage
puis elle sévanouissait pour de longs mois, des mois interminables.
La voiture, une perle noire dans lor dété. Puis,
plus rien. Plus rien. Le silence à nouveau dans la ferme avant
que ne sachèvent les moissons.
Je nai strictement aucun souvenir de sa présence parmi nous.
Un jour, profitant de son absence, je souhaitai sa mort à haute
voix, sa disparition. Une autre fois, jignore pour quelle autre
sotte vengeance, je faillis mettre le feu au foin dans la grange. Tant
de jours où nous ne sûmes quoi faire de cette absence, cest-à-dire,
y mettre un terme ou nous en débarrasser une bonne fois pour toutes.
Mère ne lévoquait jamais où, en tout cas, je
nen ai conservé aucun souvenir. Sans doute avait-elle pris
son mal en patience. Parfois, elle disait simplement ceci : " Papa
sera là dimanche prochain . " Papa venait très rarement
parmi nous. A quoi employait-il ses jours ? Où vivait-il ? Où
habitait-il ? Quelles étaient ses joies, le fardeau de ses peines
? Nous ne le saurons jamais.
Il avançait toujours vers nous, un sourire sur les lèvres.
Je ne me souviens pas de cadeaux quil nous ait apportés.
Je ne sais même pas si nous avons passé, fût-ce une
nuit de Noël, ensemble. Je ne le crois pas. Mon père, cest
le souvenir dun désert. Tout à la fois immense et
dérisoire, histoire dépourvue danecdotes. Mon père,
cest un peu le néant, labsolu mystère. Oui,
mon père, cest le désert incarné.
Vous imaginez : il vivait dhôtel en hôtel, au gré
des chantiers. Il mangeait, il buvait, sans doute rencontrait-il dautres
femmes. Il rentrait à laube, épuisé, las, les
veines emplies divresse. Oui, livresse on me la racontée.
Mais cela ne me fâche pas. Je la comprends car ce fut un dur labeur
que le sien. Je lui pardonne tout à mon père, tout, même
le désastre causé par ses absences, le désastre incalculable.
Je lui pardonne même limpardonnable. La mort de notre frère
et tout le reste, nos désastreuses trajectoires. Après tout,
il na pas choisi de mourir, de nous abandonner. Il na pas
choisi derrer comme nous tous. Daller ici ou là, comme
en exil perpétuel.
Une fois, je suis allé voir où il avait vécu, où
il nous avait entraînés près de lui. Cétait
à proximité dun passage à niveau, un hôtel
de trois sous niché à deux pas dune voie ferrée.
Un hôtel dans un bourg minuscule au centre de la France. Par miracle,
jai retrouvé lendroit non loin des jardins dont je
me souvenais parfaitement. Le village me parut minuscule. Jai reconnu
lécole où jallais, la rue que jempruntais
pour rejoindre les jardins où nous nous retrouvions mes camarades
et moi. Lhôtel était encore debout, faisant aussi office
de bar-restaurant. Je suis entré. Je me suis installé sur
une banquette défraîchie avec lenvie folle de poser
tout un tas de questions qui me brûlaient les lèvres. Il
y avait là une poignée de vieillards, des propos dune
autre époque, la sempiternelle litanie des conversations. Jai
pris un café puis je suis sorti. Je nai pas eu la force.
Non. Toutes les questions se sont écroulées dun seul
coup. Un ravin sest creusé devant moi. Un ravin de plus de
trente ans.
Il y avait une cabine téléphonique dans le village. Jai
ressenti le besoin dappeler maman. Au bout de quelques secondes,
elle fut au bout du fil. Je lui ai tout raconté. Ou plutôt,
je lui ai avoué que je navais rien à dire, rien à
ajouter. Simplement, javais retrouvé lendroit, ce qui
relevait déjà dune belle prouesse. Elle acquiesça
puis me parla du temps. Jai pleuré dans cette cabine à
lautre bout de la France. Jai pleuré sans raison véritable
et mest venue alors lidée, un jour, décrire
un minuscule récit qui tenterait de raconter cette histoire. Cest
drôle comment naissent les livres et leur naissance est souvent
un miracle. Cest fou combien il ma toujours été
nécessaire de transmuer tel ou tel événement en littérature.
Cela me donne parfois la nausée. Penser un seul instant que jécris
aujourdhui parce que papa est mort, cela me donne la nausée.
Oui, écrire sur la mort de mon père me donne la nausée.
On ne devrait pas écrire sur la mort des siens.
Impossible. Impossible de garder le silence. De garder ses morts dans
le silence, comprenez-vous ? Alors on jette en vrac des cris sur le papier.
Il ne nous racontait jamais rien. Mais cela, peut-être lai-je
déjà évoqué, je me répète, quelle
importance, quelle importance puisque jécris cette nausée
dans une sorte de fièvre. Quelle importance puisque tout a volé
en éclats. Tout.
Il venait près de nous comme un éclair, frôlait à
peine notre vie, demeurait le temps dune pluie puis repartait rejoindre
son silence, loin, très loin de lombre quil déposait
à nos pieds. Ainsi sont les pères vraisemblablement. Des
ombres, des météores, de très vagues silhouettes.
Des abîmes où lon roule, des ronces où lon
se blesse.
Les pères, cest cela, seulement cela ? Cet abîme ?
Parfois, dans la maison, afin daméliorer lordinaire,
il saventurait à de menus travaux dont japerçois
encore les vestiges aujourdhui sur les murs de la maison que nous
avons quittée. Et lorsque je passe devant cette maison, plus particulièrement
lhiver quand les rues sont absolument désertes, une seule
phrase me vient aussitôt à lesprit : que reste-t-il
de toute vie, que reste-t-il au fond de cet éclat qui, un jour,
sest brisé ? Sinon, ces ombres passagères aperçues
parfois dans le ciel quand les nuages se dissipent où à
lombre des murs, lété, quand la lumière
affolante inonde les ruelles. La paille que vomissent, dans cette maison-ci,
les fenêtres. De tout petits détails. Alors, à quoi
bon les narrer ? A quoi bon ?
Il reste, mais ce nest pas sûr, une faille dans les souvenirs.
Dans cette maison, nous vivons à létroit, dans une
sobriété parfaite. Elle nest même pas équipée
du minimum. Les W.C. sont à lécurie du voisin. La
salle de bains est un mirage. La cuisinière séchine
à chauffer quatre pièces. Toutes les intempéries
passent sous les portes. La nuit, on entend bêler les troupeaux
qui dorment au-dessous. La cour des miracles nest pas loin mais
nous vivons dun bon pas, le cur le plus souvent joyeux dans
la nature splendide qui soffre à nous tout autour des maisons.
Les mots, on les apprend par cur le soir au coin du feu. On les
rince, on les lessive deux fois plutôt quune. On les éreinte
aussi un peu quand ils chantent en vrac dans nos bouches. Leurs pattes
noires sébrouent sur nos cahiers où nos doigts laissent
souvent de grosses taches que gomme le maître en déchirant
les pages. Notre appétit est un sommet. On clame du Victor Hugo
à tue-tête en écoutant les châtaignes exploser
dans la gueule du four.
Comment sy est-elle prise, mère, pour nous tirer de là
vaille que vaille ? Quelle douceur a-t-elle invoqué pour rétablir
le gouvernail ? Cest un mystère dont la réponse méchappe.
Peut-être a-t-elle tout simplement fermer une porte dans notre dos
puis nous sommes partis ensemble, tous ensemble, de lautre côté
dune rue, poser le baluchon, à deux pas dici où
vivre couronnerait notre aventure.
Jentre dans la maison vide, abandonnée. Elle mapparaît
minuscule. Je ne peux monter à létage car lescalier
est encombré de bottes de foin. Tout est là, comme autrefois,
sous la poussière. Tout est là, submergé de solitude.
Plomb de solitude. Je revois la table de la cuisine où japprenais
à lire, à écrire, cette même table où
nous vîmes père pour la dernière fois, jouant aux
cartes.
La table, dans la cuisine : notre dernière image commune. Une sorte
de tableau flou, très flou. Des rires en arrière-fond. Du
silence. Puis plus rien. Plus rien. Une infinie attente. La nuit, pour
toujours. La nuit. Un tonnerre. Une foudre. La rue. La rue, en bas. Où
nous jouions au football, frappions le ballon contre la porte dune
grange. Les touffes dherbes sur les murs, les fleurs médicinales
que nous ramassions. Les odeurs de bouses, de paille, de foin séché.
Je ne me souviens pas du contact de la main de mon père sur la
peau, je ne me souviens pas dêtre parti une seule fois avec
lui en vacances. Je ne me souviens pas davoir eu un père.
Je suis mon propre père. Dailleurs, les uns et les autres,
nous ne sommes jamais partis en vacances. Jamais. Pas notre famille en
vacances. Je nai jamais vu ça. Me baigner avec les miens
dans la vaste mer. Marcher de concert dans la montagne. Jamais vu ça.
Aucun de nos anniversaires respectifs ne fut jamais fêté.
Quelle idiotie que les anniversaires, ai-je toujours pensé ! Idiote
pensée que la mienne !
Un désert, je vous dis. Notre vie, un désert. La vie nue,
réduit à son plus simple alphabet. Pas la moindre chaleur
dans ce désastre. Par exemple, être pris dans les bras, être
embrassé, serré contre un autre corps.
Jadore les baisers de ma petite fille sur la joue, prendre un bain
avec elle, courir sur la plage, marcher dans la montagne, la regarder
sendormir, la surprendre à laube, juste avant le lever,
contempler son beau visage englouti dans le sommeil.
Une seule fois, dans la maison près de la voie ferrée, sur
les genoux de mon père. Une seule fois. Je me souviens. Il y avait
aussi une cabane dans larbre du jardin. Un piano délabré
remisé dans un hangar. Nos incessantes allées et venues.
De rares soirées où jallais seul au cinéma
du village. De la fatigue de ma mère. Comment bien parler de la
fatigue des siens ?
Dune nuit où ils se disputèrent violemment. Je surpris
mon père dans lescalier, un énorme couteau de boucher
à la main. La lune au-dehors, les vitres de la fenêtre, la
lumière de la nuit. Ma mère, couchée. Mon père,
hurlant. Moi, tout petit, dans la nuit de lescalier.
Un autre jour, le sang de menstrues dans les W.C..
Je ne sais plus. Juste une pluie de détails, une légère
bruine sur les choses. Nous naurons fait que passer.
Je marche dans la ville ensoleillée, dans la ville où sa
vie sest arrêtée, fut stoppée net. Je me suis
rendu quelques fois dans cette ville, très peu de fois. Cest
une ville banale, étonnamment ordinaire, flanquée le long
dun fleuve qui roule ses colères en dévalant les montagnes.
Les montagnes, on les distingue au loin : magnifiques, recouvertes de
forêts, de minuscules villages qui se penchent au-dessus des vallées.
Ils font comme des taches dans la verdure.
Ici, cest la ville de sa mort. Je marche ce jour-là, le long
dune voie ferrée où règne un grand silence.
A quel endroit, dans quelle rue ? Jai recherché dans les
journaux de lépoque, dans les journaux dil y a plus
de trente ans. Rien. Pas le moindre entrefilet. Le vide. Le désert.
Encore un jeté dans la fosse commune de loubli.
Le soleil est puissant ce jour-là. Un soleil terrible. Comme un
feu sur lenclume. Jaime ces endroits désolés
des grandes villes, situés à la périphérie,
juste au bord des champs où fleurissent les coquelicots. Il y a
de belles villas avec leurs palmiers contre les fenêtres. Des maisons
qui eurent leurs heures de gloire, aujourdhui closes. Des planches
en barricadent les fenêtres. Des cadenas maintiennent des chaînes
sur la rouille des portails. Les jardins débordent. Les broussailles
me troublent les yeux. Le regard se pose sur la poussière du temps.
De vieux outils sont remisés dans les jardins à labandon.
Jaimerais tellement surprendre un visage derrière ces persiennes,
voir lune dentre elles sentrouvrir sur le jour, sur
les quais, les entrepôts de la gare ferroviaire. Mais tout est silencieux
car nous sommes au bord de lété et les rues sont désertes.
Seul le passage dun train abîme le silence. On entendrait
presque le ronronnement des chats sur les balcons vides. On entendrait
presque les faibles ruissellements dans la fraîcheur des caves.
Sur le trottoir, le jouet brisé dun enfant, une peluche éventrée.
De lautre côté dune baie vitrée, langle
dune bibliothèque. Une lampe. Un visage vieilli. Un journal
entre des mains.
Oui, jentends le bruit des sources lointaines. Je vois cette fatigue
du monde invisible.
Je marche. Je lis des noms sur les portes, les boîtes aux lettres
et je regarde le ciel, inchangé. La ville, bien sûr, na
rien retenu de ce drame et la ville na strictement rien à
transmettre à ce sujet. Chacun est seul avec sa propre histoire.
Le lendemain de sa mort, jirai habiter quelques jours chez des voisins.
Je me rappelle le premier repas pris chez eux, tous les éléments
du menu, létroite cuisine où nous mangeâmes,
les mots pour masquer la vérité, les dérobades, les
paroles inutiles. Dévidence, en pareil cas, on ne peut rien
dire à personne, rien et non plus accueillir, fût-ce la douceur
de certaines paroles. Même les paroles les meilleures seffondrent.
La mort nous cloue le bec. La mort fait de nous des sourds-muets.
Le soir dans la chapelle funèbre. Des bancs, des cierges, un silence
noir. Des gens. La beauté du recueillement. Le mort, là-bas
près de lautel, les yeux clos dans la solitude. Le mort que
nous ne verrons plus, dont on nous a volontairement caché le visage.
Ce visage dont les traits bruissent sous la peau de ma petite fille, dans
ce léger clignement des yeux, dans son sourire, dans sa façon
même daller, bras ouverts, vers les autres. Ma petite fille
qui nétait pas là, parmi nous, la nuit de lultime
prière. Ma petite fille, létoile qui lui survit, celle
quil ne connaîtra jamais et lui, ce lointain, ce très
lointain phare perdu dans les brumes. Pour toujours, labsent dans
le regard de ma petite fille. Labsent pour nous tous. Absent pour
lui-même.
Le rouge-gorge, sur le mur, chante cela ce matin : la petite chanson de
labsence qui court dans les feuillages, sur les rivières.
Obscurité de la petite chapelle. Les lueurs des bougies. Lombre
des visages puis, dans la nuit, des churs de larmes. Infinies. On
les reconnaît toutes. Chacun glisse une pièce. Chacun allume
sa flamme puis sen retourne poser les genoux sur le bois. Usure
des bancs. Beauté des bancs.
Un jour, marchant dans les herbes hautes, la main dans celle de papa.
Une seule fois, ce jour. Une seule fois, dans la chaleur dété,
juste avant les fenaisons, quand les herbes vous grimpent jusquaux
genoux. Ce nétait pas un dimanche mais un jour où,
au lieu daller à lécole, il mavait entraîné
à sa suite à travers la campagne. Le soleil magnifiait jusquà
,notre présence dans autant de verdure. Le monde brillait, pur,
éclatant, superbe. La lumière étincelait sur les
lames des faux. Nétions-nous pas au printemps du monde quand
les choses, toutes les choses de la terre et du ciel, sont en pleine ascension
? Nous étions comme au bout de la terre mais nous étions
ensemble, ensemble comme cela ne se reproduirait jamais.
Jai grandi mais je suis toujours lécolier dantan,
celui qui rêvassait tout à côté dun poêle.
Jai lu beaucoup de livres. Beaucoup trop. Je marche dans une sorte
de brume, sur les crêtes des montagnes. Les villages dorment encore
dans la vallée. Je respire lodeur des bois, des herbes, des
feux que lon allume dans les jardins. Linquiétude bat
toujours dans mon sang. Je suis lenfant dune seule journée
où de fortes marées ont fracassé mes murs.
Il règne une atmosphère paisible dans la classe. Mes rêveries
sont une histoire ancienne, ce qui nempêche nullement le maître
de tester quelquefois ma surprenante concentration. On frappe à
la porte. On ouvre, cest ma mère, en pleurs. Elle mapporte
mon père mort dans ses yeux, dans ses larmes. Elle mapporte
son cadavre, son corps à tout jamais au repos. Dans le couloir,
pour la première fois, elle me prend dans ses bras mais elle ne
me dit pas vraiment la mort de notre père, par vraiment, elle invente
des issues, elle se noie dans ses larmes. Elle ment pour me protéger.
Elle raconte nimporte quoi.
Ma mère. Seule. Terriblement seule sur le seuil de lécole.
Par la fenêtre, je la vois sen aller sous la neige. Sen
aller dans le jour où notre vie bascule. Je vois notre mère
partir habiter la maison du silence.
Je vis toujours dans ces heures sans nom mais jaime entendre les
rires dans le jardin, jaime contempler les roses grimper le long
des murs, entrer en franche conversation avec larbre immense devant
mes fenêtres. Car aucun désastre neffacera sa lumière.
Non, aucun désastre ne nous empêchera plus jamais de chanter,
le cur dune petite fille contre le nôtre.
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