“C’est
quelqu’un qui se tue en parlant. C’est quelque chose qui va
disparaître. C’est parce qu’il croit être du temps,
parler avec son propre temps, être le temps qui s’écoule
en parlant.”
Le Théâtre des oreilles. Valère Novarina.
1.
“C’est quelque chose de complètement insupportable.
Quelque chose de triste et de douloureux à la fois. Une douleur
qui vous traverse tout le corps, comme un électrochoc, peut-être,
mais qui ne vous conduit pas forcément jusqu’à la
mort. C’est une douleur physique, mais surtout cérébrale,
comme un choc que l’on reçoit et dont la trace persiste longtemps
après, une douleur émotionnelle de longue, très longue
durée.”
À ce moment précis, où il articule pour lui-même
ces mots, il lui aurait été possible, peut-être, de
se regarder dans la glace. Ce que, par prudence sans doute, il ne fait
pas. Son regard se pose sur l’angle de la table de laquelle il s’approche
dangereusement et il pose la main pour ne pas se cogner trop violemment.
Le bois lui paraît plein et rassurant, il ferme même un instant
les yeux, pour mieux en ressentir la chaleur. Mais la sensation de bien-être,
comme à chaque fois, ne dure pas longtemps. Elle se mue vite en
un étrange sentiment de désespoir, de désarroi, qu’il
a du mal, comme à chaque fois, à juguler suffisamment pour
qu’elle le laisse un peu tranquille, pas même bien et encore
moins heureux - il n’en demande même pas, même plus,
tant - mais juste un peu tranquille. Pendant un moment, même un
moment seulement, ne pas trop souffrir.
“Il faut peut-être rester dans son coin. Il faut peut-être
ne plus parler pendant un temps. Il faut peut-être accepter de faire
silence. Ne pas se taire, mais faire silence. Pour avancer. Pour espérer
continuer à avancer, à vivre. Pour ne pas se laisser dévorer
par la douleur, la cajoler un peu pour accepter, éventuellement,
de la laisser s’apaiser, au moins un peu. Pour qu’elle accepte
de ne plus bouger, de se tapir. Pas de disparaître, non, pas encore
de disparaître. C’est encore beaucoup trop tôt. C’est
toujours beaucoup trop tôt, de toute façon.”
La seule certitude est qu’il ne faut pas fuir.
Ne pas s’enfuir, ne pas être lâche et fuir la douleur.
C’est d’abord la seule chose qu’il arrive à se
dire. Seulement ensuite, l’envie de se retourner et de l’affronter,
de la regarder en face pour la dompter, la démasquer, mais c’est
justement ce qui est impossible, la regarder en face, se regarder en face.
“Je ne peux me voir que les yeux fermés”,
articule-t-il dans un souffle. “Et comment supporter cette image,
comment supporter encore ce visage, le souvenir de ce visage en soi, ou
le reflet disparu ?” Pourtant il y a en lui cette voix qui
insiste : “Se voir ou disparaître.”
2.
Ailleurs. Là où le désert blanc s’étend
à perte de vue. Là où l’étendue est
véritablement sans limites. Là où la lumière
crue et pâle brûlerait la peau par l’intensité
seule de la couleur, là où les océans de glace se
feraient transparents, brûlant d’innocence, incandescence
veloutée et âpre, rugueuse, mais étrangement douce,
comme dans l’attente
d’une délivrance, une métamorphose,
(souvenir de ce jour où elle a commencé à se livrer
sans crainte, à pouvoir dire, à retrouver les mots, les
aligner, l’un après l’autre, sagement puis presque
frénétiquement, de manière impertinente, violente
même, mais sans brusquerie, dans la sensation seule de l’écoulement
du temps
mais il y a là quelque chose qui ne s’est pas fait, ne s’est
pas joué, comme une scène manquante, ou quelque chose d’oublié
et d’incompréhensible, un espace non seulement sans limites,
mais sans repères, comme si quelque chose n’existait pas,
n’avait peut-être jamais existé, ou s’était
perdu, peut-être en cours de route, on ne sait pas, on ne sait jamais
vraiment avec ces choses-là parce que ça bascule sans cesse,
se retourne sans arrêt, n’en finit jamais, ou bien cela s’arrête
un instant
avant de s’échapper encore une fois, ou à nouveau
la laissant dans le désarroi le plus profond,
il y a quelque chose de bizarre dans le langage même, dans cette
façon qu’il a de se dérober ou de s’opacifier,
de la laisser là, comme sidérée, comme sidérée
de ce qui se dit aussi à son insu, ou de ce qui pourrait se dire,
qu’elle ne connaît pas, dont elle ne fait que soupçonner
l’existence menaçante, au moins pour l’instant, au
moins pour l’instant menaçante, à quoi servent les
mots si ce n’est désigner, mais désigner, désigner
quoi ?)
et le silence s’écrase, se répand, répond à
l’écho de son souffle apeuré, envahit l’espace,
l’envahit, comme une nappe opaque, semble même le soutenir
(et elle entend comme en écho la propre voix d’un autre,
qu’elle reconnaît, elle reconnaît son soufFle, ce souffle
saccadé, éternellement angoissé, ce débit
de voix coupé, elle dirait : “en rupture”,
mais de quoi, de qui, une voix qui décrit une rupture profonde,
que devrait-elle comprendre, elle ne sait pas, mais il faudrait trouver,
comprendre, trouver la clé, on ne sait pas ce qui s’est passé,
ce qui a provoqué ça cette cassure ainsi,
il y a le froid qui s’étend lui aussi, qui refroidit ses
membres, comme l’annonce d’une mort et le
corps qui
3.
En entendant sa voix qui prononçait ces mots : “Se voir
ou disparaître”, il fut tenté de partir d’un
grand éclat de rire ironique, presque hystérique, devant
l’absurdité de la situation. Comment, en effet, avait-il
pu en arriver là ? A des extrémités de ce genre ?
Lui d’habitude si pudique, si réservé, si doux, même,
voilà qu’il apparaissait sous un jour nouveau, qu’il
tenait des propos violents, presque cyniques, se montrait volontiers agressif,
tranchant, presque blessant à vouloir dire à tout prix la
vérité - quelle vérité ? - à cette
femme, qui l’avait pourtant tellement aimé, c’est-à-dire
qu’il devenait volontiers cruel, et jamais il ne s’était
senti si malheureux. Certainement, il ne l’aimait plus. Et il lui
faisait encore plus de mal à essayer de l’aimer encore, mais
c’était plus fort que lui. Il s’accrochait à
elle désespérément, comme à une bouée,
presque pour se faire souffrir, lui aussi. Il sentait bien qu’il
jouait à un jeu dangereux. D’autant plus dangereux qu’il
y avait un enfant en jeu. Un enfant à naître, un enfant qui
allait naître, qui n’avait rien demandé, surtout pas
qu’on l’agresse ni qu’on agresse sa maman, il y avait
un enfant et lui qui crânait, mais n’en menait pas large.
Et lui qui avait peur. Et lui
“Et moi, et moi, et moi, toujours moi, je pense toujours à
moi d’abord, je ne pense qu’à moi, je suis un égoïste,
je devrais arrêter tout ça, je devrais partir, m’en
aller avant qu’il ne soit trop tard, arrêter avant que
le massacre. Une image terrible de massacre resurgit devant ses yeux.
Une image rouge sang, et des amas de chairs. Et cette question horrible,
et si simple, si bête peut-être, pourquoi la vie ?
Il ne fait pas toujours bon aimer”, pensa-t-il. Puis il rouvrit
les yeux. Devant lui, la fenêtre semblait découper obstinément
le paysage en quatre parties égales et il eut envie de hurler.
4.
La symétrie est quelque chose qu’elle n’avait jamais
bien supporté. Plus jeune, elle avait été une jeune
fille très désordonnée, et qui revendiquait la dysharmonie
et le désordre comme source d’équilibre. Le droit
au désordre, comme le droit à la différence, pour
ainsi dire. Le droit à être autre, autrement, autrement que
ce que l’on voulait qu’elle soit. Le droit à être
soi, presque religieusement, presque sagement d’ailleurs parce que
sans déborder, finalement, des contours qu’elle s’était
elle-même dessinés, un drôle d’enfermement finalement
que de se construire ainsi sa propre prison, son propre lieu de vie
mais presque hermétiquement fermé
très isolé, en-dehors de tout, de tous, et de prétendre
dans le même temps à l’amour, au dialogue,
et pendant tout ce temps ces deux solitudes qui se sont croisées,
ne pouvant jamais se rejoindre, étant dans l’impossibilité
même de se rejoindre, cherchant à s’attraper, à
fusionner, mais ne réussissant qu’à se laisser, laissant
tomber l’autre encore plus profondément en lui-même,
comme une chute longue, avec des heurts d’amour, des chocs d’amour
maladroits qui finissaient par se détruire, par courir à
la destruction, de l’un, de l’autre, la destruction de l’un
à l’autre, comme un jeu pervers et immaîtrisé,
dangereux, sincère, mais dangereux.. Deux solitudes, disai-je,
qui ne faisaient que
chercher à se perdre, mais sans jamais se perdre l’une dans
l’autre, faisant ressentir encore plus fortement,
la solitude, de l’un, de l’autre, de l’être, de
l’être en soi, la solitude dans l’amour comme une expérience
tragique et
l’ouverture d’un abîme, le contraire de l’amour,
aussi, la haine toute proche.
S’enfuir de là, elle n’avait plus eu que cette idée
en tête. Pour aller où ? Aller vers quoi ? Sans savoir, ce
sont les mots qui l’avaient guidée, tout d’abord sur
le fil, de l’extrême bord de l’abîme d’où
il avait fallu
déciller les yeux, arracher le regard, se défaire de la
fascination,
puis accepter de laisser lentement cicatriser, accepter les
moments de vide, moments d’ennui, de voir resurgir ce qui à
cette occasion remontait de monstrueux, d’inacceptable et de violent,
en soi, à l’intérieur de soi,
et puis lentement, se remettre à marcher. Pour ce qui est de l’assurance,
enfin, elle n’a jamais vraiment su, toujours eu peur, toujours craint
ce qui allait arriver, se sachant, se pensant,
5.
Tellement vide en cet instant, anéanti. Puis, il commença
à sortir de la torpeur qui l’avait envahi jusqu’à
la nausée, se regarda dans la glace comme si c’était
la première fois et ne ressentit rien, mais vraiment rien. Il se
regarda encore, écarquilla les yeux, mais, lui-même surpris,
se fit la remarque qu’il ne voyait rien. C’est-à-dire,
rien qu’un homme ordinaire, avec un visage assez banal, ni beau
ni laid, ni même particulièrement expressif, avec vraiment
rien dans le visage qui dénotait,
la moindre angoisse, le moindre mystère, même, avait-il envie
de dire, tellement il sentait son visage lisse, fermé ? non, lisse,
comme si tout avait fini par glisser, laissant la peau lisse, les yeux
à peine agrandis par le souvenir, peut-être quelques rides
supplémentaires et les cernes, encore marqués, sous les
yeux, mais rien de plus, non, rien de plus,
rien de plus que l’expression du temps qui passe, ce que précisément,
il ne supportait pas. (Non pas qu’il eût voulu arrêter
le temps, ni rien d’aussi ambitieux, d’aussi prétentieux
aurait-il sûrement dit, ce qu’il ne supportait pas à
ce moment-là était seulement l’effacement qu’opérait
le temps, l’effacement dans la mémoire comme une trace blanche
là où
comme si la douleur avait été vaine,
comme une trace blanche là
où le temps était passé, continuait à passer,
alors oui, dans un élan d’orgueil terrible, la volonté,
le désir d’arrêter le temps pour ne pas avoir à
s’y soumettre, non pas mourir, non, seulement ne pas se soumettre
au temps qui passe, passe et efface, ne laissant que ruines d’amour
et pillages du cœur, quelque chose d’inexistant somme toute,
pourquoi la réalité pour être comprise devrait-elle
être palpable,
le temps recouvre la réalité qui n’a pas laissé
de traces, matérielles, visibles, lisibles
mais sans le désir des mots ce jour-là, plutôt l’envie
de se taire, de ne rien dire, de ne rien en dire, comme si en dire était
encore laisser un peu plus échapper le temps, comme si se taire
était le seul pouvoir qu’il avait sur ce temps qui n’en
finissait plus de s’effriter, à l’infini devant, fermer
les yeux, regarder en arrière, mais regarder en arrière
faire aussi mal,
“je ne sais pas comment continuer à vivre.”
6.
comme déchirée, coupée en deux, comme une silhouette
à moitié effacée sur une carte à jouer, comme
s’il manquait
une moitié d’elle-même. Qui la paralysait, l’empêchait
de bouger, de se mouvoir comme elle aurait voulu, une absence d’elle-même,
ou à elle-même, complètement entêtante, voire
enivrante, vertigineuse,
(chercher ce qui se joue dans la perte, ce qui se
perd, s’est perdu, comme une lente renaissance à soi-même,
tenter d’ouvrir la porte, ces clés qu’elle perd toujours,
toujours quelque chose à perdre dans le désir qu’elle
a, toujours quelque chose qu’elle perd,
tenter d’ouvrir la porte, de l’entrouvrir et de ne pas la
laisser se refermer
tenter de
donner la vie, continuer à, dire, parler à, continuer à
parler à, ne pas laisser les mots se refermer sur eux-mêmes,
ne pas laisser les mâchoires se refermer sur le secret qu’elle
ne connaît pas encore, sur ce qu’elle ne
quelque chose d’à peine imaginable, où puiser la force,
où puiser l’énergie de continuer à articuler,
prononcer, pendant un instant juste le souffle tendu)
Il y a quelque chose en elle qui se réconcilie, doucement, un peu
subrepticement, dès que
7.
On ne sait pas d’où vient le vent. On ne sait pas d’où
il souffle, ni vers quoi, mais il y a en lui cette sensation étrange
de se laisser toujours porter par les événements, de n’avancer
que flottant au gré ce qui arrive, ce n’est pas faute d’essayer,
pourtant, d’avoir prise sur le monde, même une toute petite
partie du monde, mais on dirait que ça échappe, que ça
ne marche pas, comme si toute une partie de lui était vouée
à l’échec, fatalement à l’échec,
une sensation désagréable, d’où peut même
naître une certaine irritation, aussi désagréable,
et dans le meilleur des cas une colère, parce que c’est au
moins quelque chose qui sort, mais aussi parfois, rien ne sort, et c’est
alors à se cogner la tête contre les murs,
attendre encore, ne pas bouger, se concilier le temps pour que cela s’arrête
un peu,
attendre encore, comme si le temps n’allait plus jamais s’écouler,
parce qu’il est impossible d’avancer, c’est inimaginable,
impossible, trop dur, trop violent, et pourquoi s’infliger une telle
violence
attendre, en espérant que le temps s’arrête un peu,
en profite pour souffler, mais évidemment rien, respirer lentement,
pour que tout s’apaise, laisser le monde se reposer autour de soi,
laisser les objets reprendre leur place, doucement, et regarder à
travers la fenêtre, une nouvelle fois, envisager de sortir, d’aller
dehors, de prendre l’air,
8.
Sortir de cet espace confiné. Chercher une nouvelle fois le regard
des autres. Se dire
(Mais il arrive aussi souvent que la violence vienne du dehors, comme
uniquement du dehors. Il arrive qu’au détour d’une
rue se perdent la tendresse et la confiance, le peu de confiance si chèrement
acquise, il arrive encore que le monde ne soit ressenti comme un danger
et comment pourrait-il en être autrement dans ce monde où
la guerre et la violence font rage, où les
mais ce n’est pas partout, pourtant. Il existe encore des zones
tendres, encore des zones entières où sévit seule
la révolution de l’amour
mais qu’est-ce que l’amour, quand on perçoit ressent
l’amour comme une
dévastation ? Y croire encore, cependant, y croire encore et tout
recommencer, y croire même si on n’y croit pas, même
si à l’intérieur la blessure trop profonde continue
à
blesser.
Se dire qu’on aime, se dire qu’on veut
Mais qu’est-ce que la volonté a à voir avec l’amour
? Est-ce qu’on doit vouloir aimer pour aimer ? N’est-ce pas,
une hypocrisie, un aveuglement ?
L’amour comme aveuglement, l’amour comme aveuglement du réel,
non, au contraire, plonger dans le réel, aller encore un peu plus
avant dans le réel pour éprouver, ressentir encore,
et pourtant c’est déjà l’amour qui surprend
et qui entraîne, même si le mot est encore difficile à
prononcer, la chose difficile à admettre, on ne veut pas tromper,
on ne veut pas entraîner l’autre sur un terrain sensible,
l’embarrasser, le
Elle ressent encore l’amour comme un piège. L’amour
comme le brouillage des signes. L’amour comme confusion des sentiments.
Elle a envie de fuir, de ne pas fuir.
9.
Il se demande sans cesse où il est, tant l’espace est infini.
Il se demande si quelque chose n’est pas en train de s’ouvrir.
La sensation est nouvelle, ou bien, il ne l’a pas éprouvée
depuis longtemps. Mais pour une fois ce qui s’échappe n’est
pas une perte. Il y a même quelque chose d’agréable
et de doux dans l’émotion éprouvée, comme quelque
chose qui le quitte, un poids qui s’en va, très légèrement,
pourtant la sensation est presque palpable. C’est peut-être
une coïncidence. Peut-être quelque chose qui confond l’espace
et les lieux. Peut-être quelque chose de sidérant aussi,
voire de complètement incongru, en tout cas quelque chose d’inattendu,
de totalement inespéré
on se demande toujours où va l’amour, où
et qui il est capable de reconnaître, en qui il plonge, alors il
y a encore de l’inquiétude, la peur qui se transforme en
inquiétude, un sentiment beaucoup plus doux, et cette lenteur obstinée,
à la fois grisante et obsédante, malgré lui, qui
semble s’attacher à tout ce qu’il fait, à tout
ce qu’il touche, à tout ce qu’il pense,
une lenteur lumineuse, dont les rayons traversent la densité sombre
et encore inusitée, non traversée, cet espace vierge qui
s’ouvre devant lui, ou en lui, il ne sait pas, et plus très
bien ce qui est de lui ou de l’autre, ce qui est de l’intérieur
ou de l’extérieur
ne sait plus ce qui est vraiment réel ou ce qu’il imagine,
la peur de l’illusion, la peur encore, de lâcher le bois tendre
et rassurant du meuble
pour aller où ? Vers quoi ? Le sentiment, un peu, de lâcher
la proie pour l’ombre. Et la nécessité impérieuse
de le faire. D’aller plus loin. Quitte à affronter le vide,
ou la tiédeur, quitte à s’éloigner pour un
temps du désir intransigeant de vivre à bout, jusqu’à
bout de forces systématiquement, à s’éloigner
un peu de soi, de ce qu’il pense être lui-même, 10.
Quitte à laisser les émotions la submerger, la bouleverser,
sans savoir jusqu’où ?
Parfois sous le signe de la perte, encore, ou du renoncement. Sans savoir
ce qu’elle condamne, cherchant uniquement le puits de lumière
qu’elle ressent confusément, cherchant, allant vers, patiemment
ou avec énervement, pas à pas, cherchant les gestes,
Et c’est dans le silence qu’elle reprend un à un les
mots, les articule, d’abord sans voix, puis à haute voix
les porte, les dit. Puis elle les pose un par un sur le papier jusqu’à
ce que le miroir
opaque, s’éclaircisse. Elle oublie
ce qui est arrivé. Et elle lui dit, tout ce qu’elle ne sait
pas.
…
Il n’y a aucun abîme. Juste quelques mots qui se cherchent.
Quelques traces empreintes des corps
et des images qui s’effacent, créant une zone de protection
assez étanche entre eux et le monde, mais dans le monde, à
l’intérieur cette fois, avec cette vue, ces paysages à
l’infini à travers la fenêtre. Il y a quelque chose
qui s’arrête, le rire, peut-être, hurlant, dont il ne
reste que l’élan, et il y a quelque chose
qui continue, dans le même temps.
L.B. 01
|