Louise Brun / Blessure  

Née en 1963, Louise Brun a pratiqué la danse (en tant qu'interprète et chorégraphe) et se consacre surtout actuellement à peindre (et écrire bien sûr) - autres textes sur Chaoid (4) : Limites du corps couché (texte et peinture), sur Incertainregard : Cernes blancs et sur inventaire/invention : Effet de réel (fiction). avec quatre peintures de l'auteur - contact e-mail


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“C’est quelqu’un qui se tue en parlant. C’est quelque chose qui va disparaître. C’est parce qu’il croit être du temps, parler avec son propre temps, être le temps qui s’écoule en parlant.”
Le Théâtre des oreilles. Valère Novarina.

1.
“C’est quelque chose de complètement insupportable. Quelque chose de triste et de douloureux à la fois. Une douleur qui vous traverse tout le corps, comme un électrochoc, peut-être, mais qui ne vous conduit pas forcément jusqu’à la mort. C’est une douleur physique, mais surtout cérébrale, comme un choc que l’on reçoit et dont la trace persiste longtemps après, une douleur émotionnelle de longue, très longue durée.”
À ce moment précis, où il articule pour lui-même ces mots, il lui aurait été possible, peut-être, de se regarder dans la glace. Ce que, par prudence sans doute, il ne fait pas. Son regard se pose sur l’angle de la table de laquelle il s’approche dangereusement et il pose la main pour ne pas se cogner trop violemment. Le bois lui paraît plein et rassurant, il ferme même un instant les yeux, pour mieux en ressentir la chaleur. Mais la sensation de bien-être, comme à chaque fois, ne dure pas longtemps. Elle se mue vite en un étrange sentiment de désespoir, de désarroi, qu’il a du mal, comme à chaque fois, à juguler suffisamment pour qu’elle le laisse un peu tranquille, pas même bien et encore moins heureux - il n’en demande même pas, même plus, tant - mais juste un peu tranquille. Pendant un moment, même un moment seulement, ne pas trop souffrir.
“Il faut peut-être rester dans son coin. Il faut peut-être ne plus parler pendant un temps. Il faut peut-être accepter de faire silence. Ne pas se taire, mais faire silence. Pour avancer. Pour espérer continuer à avancer, à vivre. Pour ne pas se laisser dévorer par la douleur, la cajoler un peu pour accepter, éventuellement, de la laisser s’apaiser, au moins un peu. Pour qu’elle accepte de ne plus bouger, de se tapir. Pas de disparaître, non, pas encore de disparaître. C’est encore beaucoup trop tôt. C’est toujours beaucoup trop tôt, de toute façon.”

La seule certitude est qu’il ne faut pas fuir. Ne pas s’enfuir, ne pas être lâche et fuir la douleur. C’est d’abord la seule chose qu’il arrive à se dire. Seulement ensuite, l’envie de se retourner et de l’affronter, de la regarder en face pour la dompter, la démasquer, mais c’est justement ce qui est impossible, la regarder en face, se regarder en face. “Je ne peux me voir que les yeux fermés”, articule-t-il dans un souffle. “Et comment supporter cette image, comment supporter encore ce visage, le souvenir de ce visage en soi, ou le reflet disparu ?” Pourtant il y a en lui cette voix qui insiste : “Se voir ou disparaître.”

2.
Ailleurs. Là où le désert blanc s’étend à perte de vue. Là où l’étendue est véritablement sans limites. Là où la lumière crue et pâle brûlerait la peau par l’intensité seule de la couleur, là où les océans de glace se feraient transparents, brûlant d’innocence, incandescence veloutée et âpre, rugueuse, mais étrangement douce, comme dans l’attente
d’une délivrance, une métamorphose,
(souvenir de ce jour où elle a commencé à se livrer sans crainte, à pouvoir dire, à retrouver les mots, les aligner, l’un après l’autre, sagement puis presque frénétiquement, de manière impertinente, violente même, mais sans brusquerie, dans la sensation seule de l’écoulement du temps
mais il y a là quelque chose qui ne s’est pas fait, ne s’est pas joué, comme une scène manquante, ou quelque chose d’oublié et d’incompréhensible, un espace non seulement sans limites, mais sans repères, comme si quelque chose n’existait pas, n’avait peut-être jamais existé, ou s’était perdu, peut-être en cours de route, on ne sait pas, on ne sait jamais vraiment avec ces choses-là parce que ça bascule sans cesse, se retourne sans arrêt, n’en finit jamais, ou bien cela s’arrête un instant
avant de s’échapper encore une fois, ou à nouveau
la laissant dans le désarroi le plus profond,
il y a quelque chose de bizarre dans le langage même, dans cette façon qu’il a de se dérober ou de s’opacifier, de la laisser là, comme sidérée, comme sidérée de ce qui se dit aussi à son insu, ou de ce qui pourrait se dire, qu’elle ne connaît pas, dont elle ne fait que soupçonner l’existence menaçante, au moins pour l’instant, au moins pour l’instant menaçante, à quoi servent les mots si ce n’est désigner, mais désigner, désigner quoi ?)
et le silence s’écrase, se répand, répond à l’écho de son souffle apeuré, envahit l’espace, l’envahit, comme une nappe opaque, semble même le soutenir (et elle entend comme en écho la propre voix d’un autre, qu’elle reconnaît, elle reconnaît son soufFle, ce souffle saccadé, éternellement angoissé, ce débit de voix coupé, elle dirait : “en rupture”, mais de quoi, de qui, une voix qui décrit une rupture profonde, que devrait-elle comprendre, elle ne sait pas, mais il faudrait trouver, comprendre, trouver la clé, on ne sait pas ce qui s’est passé, ce qui a provoqué ça cette cassure ainsi,
il y a le froid qui s’étend lui aussi, qui refroidit ses membres, comme l’annonce d’une mort et le
corps qui

3.
En entendant sa voix qui prononçait ces mots : “Se voir ou disparaître”, il fut tenté de partir d’un grand éclat de rire ironique, presque hystérique, devant l’absurdité de la situation. Comment, en effet, avait-il pu en arriver là ? A des extrémités de ce genre ? Lui d’habitude si pudique, si réservé, si doux, même, voilà qu’il apparaissait sous un jour nouveau, qu’il tenait des propos violents, presque cyniques, se montrait volontiers agressif, tranchant, presque blessant à vouloir dire à tout prix la vérité - quelle vérité ? - à cette femme, qui l’avait pourtant tellement aimé, c’est-à-dire qu’il devenait volontiers cruel, et jamais il ne s’était senti si malheureux. Certainement, il ne l’aimait plus. Et il lui faisait encore plus de mal à essayer de l’aimer encore, mais c’était plus fort que lui. Il s’accrochait à elle désespérément, comme à une bouée, presque pour se faire souffrir, lui aussi. Il sentait bien qu’il jouait à un jeu dangereux. D’autant plus dangereux qu’il y avait un enfant en jeu. Un enfant à naître, un enfant qui allait naître, qui n’avait rien demandé, surtout pas qu’on l’agresse ni qu’on agresse sa maman, il y avait un enfant et lui qui crânait, mais n’en menait pas large. Et lui qui avait peur. Et lui
“Et moi, et moi, et moi, toujours moi, je pense toujours à moi d’abord, je ne pense qu’à moi, je suis un égoïste, je devrais arrêter tout ça, je devrais partir, m’en aller avant qu’il ne soit trop tard, arrêter avant que
le massacre. Une image terrible de massacre resurgit devant ses yeux. Une image rouge sang, et des amas de chairs. Et cette question horrible, et si simple, si bête peut-être, pourquoi la vie ?
Il ne fait pas toujours bon aimer”, pensa-t-il. Puis il rouvrit les yeux. Devant lui, la fenêtre semblait découper obstinément le paysage en quatre parties égales et il eut envie de hurler.

4.
La symétrie est quelque chose qu’elle n’avait jamais bien supporté. Plus jeune, elle avait été une jeune fille très désordonnée, et qui revendiquait la dysharmonie et le désordre comme source d’équilibre. Le droit au désordre, comme le droit à la différence, pour ainsi dire. Le droit à être autre, autrement, autrement que ce que l’on voulait qu’elle soit. Le droit à être soi, presque religieusement, presque sagement d’ailleurs parce que sans déborder, finalement, des contours qu’elle s’était elle-même dessinés, un drôle d’enfermement finalement que de se construire ainsi sa propre prison, son propre lieu de vie
mais presque hermétiquement fermé
très isolé, en-dehors de tout, de tous, et de prétendre dans le même temps à l’amour, au dialogue,
et pendant tout ce temps ces deux solitudes qui se sont croisées, ne pouvant jamais se rejoindre, étant dans l’impossibilité même de se rejoindre, cherchant à s’attraper, à fusionner, mais ne réussissant qu’à se laisser, laissant tomber l’autre encore plus profondément en lui-même, comme une chute longue, avec des heurts d’amour, des chocs d’amour maladroits qui finissaient par se détruire, par courir à la destruction, de l’un, de l’autre, la destruction de l’un à l’autre, comme un jeu pervers et immaîtrisé, dangereux, sincère, mais dangereux.. Deux solitudes, disai-je, qui ne faisaient que
chercher à se perdre, mais sans jamais se perdre l’une dans l’autre, faisant ressentir encore plus fortement,
la solitude, de l’un, de l’autre, de l’être, de l’être en soi, la solitude dans l’amour comme une expérience tragique et
l’ouverture d’un abîme, le contraire de l’amour, aussi, la haine toute proche.
S’enfuir de là, elle n’avait plus eu que cette idée en tête. Pour aller où ? Aller vers quoi ? Sans savoir, ce sont les mots qui l’avaient guidée, tout d’abord sur le fil, de l’extrême bord de l’abîme d’où il avait fallu
déciller les yeux, arracher le regard, se défaire de la fascination,
puis accepter de laisser lentement cicatriser, accepter les
moments de vide, moments d’ennui, de voir resurgir ce qui à cette occasion remontait de monstrueux, d’inacceptable et de violent, en soi, à l’intérieur de soi,
et puis lentement, se remettre à marcher. Pour ce qui est de l’assurance, enfin, elle n’a jamais vraiment su, toujours eu peur, toujours craint ce qui allait arriver, se sachant, se pensant,

 

5.
Tellement vide en cet instant, anéanti. Puis, il commença à sortir de la torpeur qui l’avait envahi jusqu’à la nausée, se regarda dans la glace comme si c’était la première fois et ne ressentit rien, mais vraiment rien. Il se regarda encore, écarquilla les yeux, mais, lui-même surpris, se fit la remarque qu’il ne voyait rien. C’est-à-dire, rien qu’un homme ordinaire, avec un visage assez banal, ni beau ni laid, ni même particulièrement expressif, avec vraiment rien dans le visage qui dénotait,
la moindre angoisse, le moindre mystère, même, avait-il envie de dire, tellement il sentait son visage lisse, fermé ? non, lisse, comme si tout avait fini par glisser, laissant la peau lisse, les yeux à peine agrandis par le souvenir, peut-être quelques rides supplémentaires et les cernes, encore marqués, sous les yeux, mais rien de plus, non, rien de plus,
rien de plus que l’expression du temps qui passe, ce que précisément, il ne supportait pas. (Non pas qu’il eût voulu arrêter le temps, ni rien d’aussi ambitieux, d’aussi prétentieux aurait-il sûrement dit, ce qu’il ne supportait pas à ce moment-là était seulement l’effacement qu’opérait le temps, l’effacement dans la mémoire comme une trace blanche là où
comme si la douleur avait été vaine,
comme une trace blanche là
où le temps était passé, continuait à passer, alors oui, dans un élan d’orgueil terrible, la volonté, le désir d’arrêter le temps pour ne pas avoir à s’y soumettre, non pas mourir, non, seulement ne pas se soumettre au temps qui passe, passe et efface, ne laissant que ruines d’amour et pillages du cœur, quelque chose d’inexistant somme toute, pourquoi la réalité pour être comprise devrait-elle être palpable,
le temps recouvre la réalité qui n’a pas laissé de traces, matérielles, visibles, lisibles
mais sans le désir des mots ce jour-là, plutôt l’envie de se taire, de ne rien dire, de ne rien en dire, comme si en dire était encore laisser un peu plus échapper le temps, comme si se taire était le seul pouvoir qu’il avait sur ce temps qui n’en finissait plus de s’effriter, à l’infini devant, fermer les yeux, regarder en arrière, mais regarder en arrière faire aussi mal,
“je ne sais pas comment continuer à vivre.”

6.
comme déchirée, coupée en deux, comme une silhouette à moitié effacée sur une carte à jouer, comme s’il manquait
une moitié d’elle-même. Qui la paralysait, l’empêchait de bouger, de se mouvoir comme elle aurait voulu, une absence d’elle-même, ou à elle-même, complètement entêtante, voire enivrante, vertigineuse,
(chercher ce qui se joue dans la perte, ce qui se
perd, s’est perdu, comme une lente renaissance à soi-même,
tenter d’ouvrir la porte, ces clés qu’elle perd toujours, toujours quelque chose à perdre dans le désir qu’elle a, toujours quelque chose qu’elle perd,
tenter d’ouvrir la porte, de l’entrouvrir et de ne pas la laisser se refermer
tenter de
donner la vie, continuer à, dire, parler à, continuer à parler à, ne pas laisser les mots se refermer sur eux-mêmes, ne pas laisser les mâchoires se refermer sur le secret qu’elle ne connaît pas encore, sur ce qu’elle ne
quelque chose d’à peine imaginable, où puiser la force, où puiser l’énergie de continuer à articuler, prononcer, pendant un instant juste le souffle tendu)
Il y a quelque chose en elle qui se réconcilie, doucement, un peu subrepticement, dès que

 

7.
On ne sait pas d’où vient le vent. On ne sait pas d’où il souffle, ni vers quoi, mais il y a en lui cette sensation étrange de se laisser toujours porter par les événements, de n’avancer que flottant au gré ce qui arrive, ce n’est pas faute d’essayer, pourtant, d’avoir prise sur le monde, même une toute petite partie du monde, mais on dirait que ça échappe, que ça ne marche pas, comme si toute une partie de lui était vouée à l’échec, fatalement à l’échec, une sensation désagréable, d’où peut même naître une certaine irritation, aussi désagréable,
et dans le meilleur des cas une colère, parce que c’est au moins quelque chose qui sort, mais aussi parfois, rien ne sort, et c’est alors à se cogner la tête contre les murs,
attendre encore, ne pas bouger, se concilier le temps pour que cela s’arrête un peu,
attendre encore, comme si le temps n’allait plus jamais s’écouler, parce qu’il est impossible d’avancer, c’est inimaginable, impossible, trop dur, trop violent, et pourquoi s’infliger une telle violence
attendre, en espérant que le temps s’arrête un peu, en profite pour souffler, mais évidemment rien, respirer lentement, pour que tout s’apaise, laisser le monde se reposer autour de soi, laisser les objets reprendre leur place, doucement, et regarder à travers la fenêtre, une nouvelle fois, envisager de sortir, d’aller dehors, de prendre l’air,

8.
Sortir de cet espace confiné. Chercher une nouvelle fois le regard des autres. Se dire
(Mais il arrive aussi souvent que la violence vienne du dehors, comme uniquement du dehors. Il arrive qu’au détour d’une rue se perdent la tendresse et la confiance, le peu de confiance si chèrement acquise, il arrive encore que le monde ne soit ressenti comme un danger
et comment pourrait-il en être autrement dans ce monde où la guerre et la violence font rage, où les
mais ce n’est pas partout, pourtant. Il existe encore des zones tendres, encore des zones entières où sévit seule la révolution de l’amour
mais qu’est-ce que l’amour, quand on perçoit ressent l’amour comme une
dévastation ? Y croire encore, cependant, y croire encore et tout recommencer, y croire même si on n’y croit pas, même si à l’intérieur la blessure trop profonde continue à
blesser.
Se dire qu’on aime, se dire qu’on veut
Mais qu’est-ce que la volonté a à voir avec l’amour ? Est-ce qu’on doit vouloir aimer pour aimer ? N’est-ce pas, une hypocrisie, un aveuglement ?
L’amour comme aveuglement, l’amour comme aveuglement du réel, non, au contraire, plonger dans le réel, aller encore un peu plus avant dans le réel pour éprouver, ressentir encore,
et pourtant c’est déjà l’amour qui surprend et qui entraîne, même si le mot est encore difficile à prononcer, la chose difficile à admettre, on ne veut pas tromper, on ne veut pas entraîner l’autre sur un terrain sensible, l’embarrasser, le
Elle ressent encore l’amour comme un piège. L’amour comme le brouillage des signes. L’amour comme confusion des sentiments. Elle a envie de fuir, de ne pas fuir.

 

9.
Il se demande sans cesse où il est, tant l’espace est infini. Il se demande si quelque chose n’est pas en train de s’ouvrir. La sensation est nouvelle, ou bien, il ne l’a pas éprouvée depuis longtemps. Mais pour une fois ce qui s’échappe n’est pas une perte. Il y a même quelque chose d’agréable et de doux dans l’émotion éprouvée, comme quelque chose qui le quitte, un poids qui s’en va, très légèrement, pourtant la sensation est presque palpable. C’est peut-être une coïncidence. Peut-être quelque chose qui confond l’espace et les lieux. Peut-être quelque chose de sidérant aussi, voire de complètement incongru, en tout cas quelque chose d’inattendu, de totalement inespéré
on se demande toujours où va l’amour, où
et qui il est capable de reconnaître, en qui il plonge, alors il y a encore de l’inquiétude, la peur qui se transforme en inquiétude, un sentiment beaucoup plus doux, et cette lenteur obstinée, à la fois grisante et obsédante, malgré lui, qui semble s’attacher à tout ce qu’il fait, à tout ce qu’il touche, à tout ce qu’il pense,
une lenteur lumineuse, dont les rayons traversent la densité sombre et encore inusitée, non traversée, cet espace vierge qui s’ouvre devant lui, ou en lui, il ne sait pas, et plus très bien ce qui est de lui ou de l’autre, ce qui est de l’intérieur ou de l’extérieur
ne sait plus ce qui est vraiment réel ou ce qu’il imagine, la peur de l’illusion, la peur encore, de lâcher le bois tendre et rassurant du meuble
pour aller où ? Vers quoi ? Le sentiment, un peu, de lâcher la proie pour l’ombre. Et la nécessité impérieuse de le faire. D’aller plus loin. Quitte à affronter le vide, ou la tiédeur, quitte à s’éloigner pour un temps du désir intransigeant de vivre à bout, jusqu’à bout de forces systématiquement, à s’éloigner un peu de soi, de ce qu’il pense être lui-même, 10.
Quitte à laisser les émotions la submerger, la bouleverser, sans savoir jusqu’où ?
Parfois sous le signe de la perte, encore, ou du renoncement. Sans savoir ce qu’elle condamne, cherchant uniquement le puits de lumière qu’elle ressent confusément, cherchant, allant vers, patiemment ou avec énervement, pas à pas, cherchant les gestes,
Et c’est dans le silence qu’elle reprend un à un les mots, les articule, d’abord sans voix, puis à haute voix les porte, les dit. Puis elle les pose un par un sur le papier jusqu’à ce que le miroir
opaque, s’éclaircisse. Elle oublie
ce qui est arrivé. Et elle lui dit, tout ce qu’elle ne sait pas.

Il n’y a aucun abîme. Juste quelques mots qui se cherchent. Quelques traces empreintes des corps
et des images qui s’effacent, créant une zone de protection assez étanche entre eux et le monde, mais dans le monde, à l’intérieur cette fois, avec cette vue, ces paysages à l’infini à travers la fenêtre. Il y a quelque chose qui s’arrête, le rire, peut-être, hurlant, dont il ne reste que l’élan, et il y a quelque chose
qui continue, dans le même temps.


L.B. 01