Marc Blanchet / Chacun s'exerce

Marc Blanchet a publié en 2001 deux recueils de poèmes : Le Jardin des morts (La Part des anges) et L’incandescence (La Passe du vent) ; et un essai sur le poète bengali Lokenath Bhattacharya, l’autre rive (Jean-Michel Place). Il a écrit sur les auteurs Franck Venaille, Jacques Dupin, Gérard Macé, Robert Marteau, Antonio Gamoneda, Henry David Thoreau… Il anime des rencontres littéraires et chronique la littérature dans le magazine Le Matricule des anges et la publication du Ministère des Affaires Étrangères Vient de paraître, et la musique dans La Nouvelle Revue Française.
Les poèmes ci-joints sont extraits de La Langue volée au serpent, à paraître aux éditions Le Bois d'Orion.

courrier / e-mail pour Marc Blanchet

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Chacun s'exerce — pose ses pieds
dans l'empreinte des morts.
Un œil embaumé :
premier visage du livre.
L'astre est toujours hors de portée.
Semblable à l'ombre.
Sa corolle d'anneaux défaite
dans l'usure des choses.
Une main. Elle invente le corps.
Déchiffre une énigme
sur un nouveau visage.
Couronne l'union
vouée à disparaître.
Chaque main s'exerce — retire
du feu commun la matière des signes.
Les lèvres s'en couvrent,
murmurent une loi nouvelle.
Le feu bâtit les choses — les disperse.
Le temps accouche de la perte.
Noces achevées
dans la contemplation du sang.
Greffée sur la langue
du dernier vivant : une parole.
Elle descend au fond du jour
— tombeau d'or clair.
Pour seule énigme : un chemin d'orties.

*

Un effroi survient : la langue du renard
enroulée à la nôtre, pétrifiant
les secrets de la chair
— matière de l'attente révélée
à la jouissance du soleil.
Peurs déployées en éventail
sur la paroi du ventre.
Sang dérobé au hasard d'un combat,
l'animal rôdeur redevient un vieux cygne.
Meurt en ailes vives
quand la joie s'élève hors de l'ombre.
La main signe sa mort, regagne
la forêt obscure des visages.
La main fait signe — libérée
de la rousseur nauséabonde de ses mues.

*

Dans la main, l'enfant mort
— fœtus de paille, rêve trop vieux
pour franchir le jour.
L'enfance se brûle vive.
Toute mort a ses prémisses :
bouche tordue,
séparation de l'œuf des familles
— toujours l'invention des autres.
Qu'un corps jette sa parole dans l'abîme
— et qu'elle en ressorte vivante :
pratique perdue des ressuscités,
viol consenti à la mémoire.
Dans la main, l'enfant mort,
sa tête courbée vers le ventre,
boucle de vie achevée — sceau
sur le vide du temps.

*

Le corps creuse la mémoire, loge
son regard dans l'or de ses yeux.
Épouse des mains en écrasant sa bouche
sur un parterre de roses vives.
La voix s'incline devant le soleil décédé,
donne un cadavre à la transparence.
Resplendit.
Ouvre ses cuisses au néant.
Les morts s'étreignent
— en quête d'autres plaies.
Loin des fours, des os blanchis.
En retrait de tout — hors la langue.

 

 

© Marc Blanchet