Louise Warren / September song | |
Soleil
comme un oracle est le dernier livre publié de Louise Warren à l'Hexagone.
Louise Warren y avait publié récemment un essai,
Bleu de Delft, ainsi qu'un recueil : La
pratique du bleu . L'Anthologie La poésie
mémoire de l'art est disponible aux éditions Art
Le Sabord. sur Hexagone, un entretien avec Louise
Warren sur remue.net (avil 2004) : Bleu inédit e-mail / courrier via le site |
à découvrir : "L'île", site de référence des auteurs québecois |
Née à Montréal
(Québec) en 1956, Louise Warren
vit et travaille dans la région de Lanaudière. Depuis 1984,
elle a publié plus d’une dizaine de recueils de poésie
dont, aux éditions de l’Hexagone, La lumière,
l’arbre,
le trait et La pratique du bleu. Essayiste, elle a consacré un
ouvrage d’histoire littéraire à la première
femme à publier
un recueil de poésie au Québec, Léonise Valois,
femme de lettres. Un portrait (L’Hexagone, 1993).
Plus récemment,
elle faisait paraître deux essais portant sur l’expérience
de la création et de l’œuvre d’art, Interroger
l’intensité (Trois, 1999) et Bleu de Delft.
Archives de solitude (Trait d’union, collection «Spirale»,
2001)., ainsi qu’une anthologie de poésie québécoise
dédiée
aux arts visuels, La poésie mémoire de l’art. L’œuvre
de Louise Warren a été soutenue par de nombreuses subventions
de création et de voyage, ainsi que par des prix littéraires. |
Louise Warren / September Song
Comme si le 12 septembre n’arrivait pas, que le deuil, la peine
prenaient toute la place. J’ai ouvert ce livre, les Lettres de
Gertrud Kolmar, pour la voix humaine, la douce intimité des correspondances.
Ces temps-ci encore plus qu’à l’ordinaire, j’ai
besoin de retrouver cette humanité, de me sentir autant de fois
qu’il m’est possible en son contact. Cela circule dans les
voix amies, les gestes amoureux ou maternels que je pose, les gestes
quotidiens qui marquent ma journée de pensées pour ceux
qui partagent ma vie. Carte d’anniversaire écrite, col de
veste refermé, peluche rapiécée, manuels scolaires
recouverts, table mise, soupe fumante, autant de noyaux d’amour
qui me ramènent à moi. Car dans la peine, dans cet imaginaire
frappé si fortement, on ressent davantage le chaos, on se sent égaré à l’intérieur
de lui, tant notre impuissance est innommable. * Océan de briques et de verre, vagues de métal et de cendre, j’ai un mal fou à me concentrer, à bien dormir, j’ai peu lu, peu écrit. Une seule lettre de Gertrud Kolmar me permet non seulement de revenir à l’intérieur, mais elle participe aussi à éclairer cet intérieur. En un mot, elle me donne la paix dont j’ai besoin. * Le plein silence, vide de toute merveille. Un temps en dehors du temps. Le jour au-dessus des ténèbres à veiller les morts, à suivre sur nos chemins de campagne, les lambeaux de fumée qui apparaissent au-dessus des maisons. Fumée toute pâle, toute frêle comme si d’elle allait venir et se répandre une douceur infinie. Bâtonnet d’encens s’orientant à travers les siècles, couvrant la mort d’une fine poussière blanche, faisant de ce début de trait une marque sacrée, un balbutiement porté par un jour neuf. * Chaque matin, tu viens au monde. * Comme la pluie dans la pluie, je ne finis jamais de dépouiller les images de leur contenu de solitude et d’abandon. Je me promène dans le monde avec un pendule de mélancolie afin que sans cesse j’apprenne de la faiblesse, de ces ruptures. * J’essaie de lire et c’est comme si je regardais passer l’eau. Je tire des livres une sensation purement physique. La concentration m’a quittée. Je ne peux m’imaginer plus nue. Tous les livres sont des lacs que je regarde passer. * Mon temps est celui de la patience. Mon horloge n’a pas d’aiguilles. Ma pensée trace des cercles sur des chiffres tombés au fond d’un aquarium ou d’un océan. * Si je me fie à l’orthographe du titre de ce disque de Anthony Holborne, The Teares of the Muses, à l’époque élisabéthaine, teare prenait un e à la fin du mot. Beaucoup plus juste ainsi, le e étant lui-même une larme. * Ce matin, cela dépasse la solitude, cela entre ailleurs. Si je pouvais comprendre ce que se racontent les corbeaux, il me semble que cela me ramènerait à un sentiment moins violent. Car il existe, oui, une grande violence à se sentir saisie de la sorte : c’est sans appui. Il n’y a pas de Dieu dans cette avancée, c’est moi dans toute mon existence. Cette même conscience aiguë, je l’avais déjà, enfant. Faire de cette solitude un état réceptif pour m’intégrer à cette matière. Je voudrais entrer dans une maison, aller chez quelqu’un. J’aimerais qu’on m’invite, qu’on me prépare un repas, qu’on me montre des livres que je ne connais pas. * Il me faudrait reprendre ma vie d’arbre, m’enraciner dans
la pensée, bien m’y positionner. Septembre m’a éparpillée
dans tous les sens, dans une effroyable douleur collective où l’imaginaire
a été percuté, puis troué. De toutes parts,
je sens l’ébranlement comme une puissance sismique secouant
toute la terre. Je voudrais tant glisser dans l’écriture
en permanence, comme si on pouvait s’attendre à ce que la
lune disparaisse sous nos yeux dans une nuit d’obus. * Me faudra-t-il marcher dehors en me fermant les yeux et faire de cette marche un labyrinthe pétrifié d’inachèvement, un acte créateur ? * Il arrive que ma main brusquement s’engage dans la vitesse et alors, j’ai vraiment la sensation de quitter la matière de l’ombre, de glisser au cœur d’un mouvement d’amplitude, de penser librement. * Être poète me permet de me situer dans l’intimité du monde. Dès lors, je peux parler d’un acte d’écoute et de consolation. La lumière qui parfois s’en dégage est ressentie comme une grâce, tant certains mots sont légers, fluides. Le poète se fait le récepteur et l’émetteur de tous les battements du monde, de toutes ses forces et de tous ses effacements. C’est un être proche, qui ne craint pas de tendre l’oreille vers la cendre et en ramène des présences, des intensités, des sensibilités. Dans cet esprit de recueillement, j’œuvre à une pensée dont la forme, même dans les noirs les plus prononcés ou les plus lointains, serait gardienne de cette lumière, car il nous faut un monde où l’on puisse allumer des fruits.
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