Philippe Fusaro / autour du Colosse d'argile

 

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Philippe Fusaro

on a énormément aimé le Colosse d'Argile (La Fosse aux Ours, sept 2004), plongée dans l'Italie mussolinienne et ses symboles, mais réflexion sur le corps, le destin, avec une approche faulknerienne des personnages par narrateurs et narrations démultipliées - d'où l'idée de demander à Philippe Fusaro un complément au livre, un prolongement de son livre, et il nous a envoyé cet extrait de ses Carnets, voyage à Rome préliminaire à l'écriture du Colosse...

on a eu ce souhait en même temps que les amis du Matricule des Anges, et en Une du site Matricule des Anges on trouvera un portrait de Philippe Fusaro

enfin Philippe Fusaro, libraire à Quai des Brumes (Strasbourg) a coordonné pour les librairies Initiales un dossier Carver, et prépare un dossier Séréna: hasard?

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L’Argile du colosse, quelques pages d’un carnet romain
nov.2001-mai 2002

Rome sous la pluie. Avant mon séjour, je n’imaginais pas que ça puisse arriver…Une chambre d’écrivain, c’est quoi ?
Dix mètres carrés à tout casser.
Un lit, une armoire avec les chemises d’un inconnu, un fauteuil en bambou sous la fenêtre.
Une madone de Munch.
Mes slips et mes chaussettes qui sèchent sur des masques africains et sur la clenche de la porte de la salle de bain – il serait plus juste de dire « l’angle de bain ».
Mes livres s’empilent au fur et à mesure qu’ils sont lus à côté d’un tas d’autres qui ne m’appartiennent pas – des manuels de biologie moléculaire, Il Conte di Montecristo, un roman de Norman Mailer en anglais, un livre sur Charles Aznavour, un catalogue d’exposition du photographe W. VanGloeden, le bodybuilding pour professionnels.
Des photos de la famille qui m’héberge.
Il n’y a pas de place pour mettre un bureau. J’écris sur le lit ou sur les genoux. On est loin de la chambre de Virginia Woolf… Trouvé à la librairie Locus Solus une photo de Joe Louis par Irving Penn. Mi-noir, mi-Cherokee.Hier soir, regardé un documentaire sur l’émigration des italiens en Australie. Vu Primo Carnera, en costard sur le ring, se battre contre un kangourou. C’est de pleurer que j’avais envie…
Un dimanche de novembre, je m’étais rendu sur la Piazza di Siena.
Je voulais voir cette place pour mieux imaginer le combat de Carnera contre Paolino Uzcudun en 1933. Une place sur laquelle, il y a encore peu de temps, on organisait des courses hippiques.
Aujourd’hui, ce sont les joggers qui en font le tour. Des adolescents se roulent des galoches sur les gradins d’un côté du stade et un peu partout, sur les bancs autour de la place, les gens déjeunent.
J’ai interrogé quelques passants, je voulais savoir s’ils savaient que Carnera s’était battu à cet endroit, le 20 octobre 1933, pour conserver son titre de champion du monde de boxe en présence de soixante mille spectateurs.
Personne ne s’en souvenait mais tous connaissaient le nom de Primo Carnera.
Un certain Carlo m’a même appris qu’une rue du quartier de l’Eur portait son nom.
Enfin, j’ai rencontré Rafaello, 77 ans.
J’ai croisé Primo Carnera une fois à Rome. A Porta Pia. Je vous dis ça mais c’était il y a très longtemps. Il était originaire du Frioul. Je m’en souviens bien parce que ma femme venait aussi de cette région. Un jour, elle l’a rencontré à Trieste. Il était sur une bicyclette et au moment où il passe devant ma femme, il lui crie : « Regardez, mademoiselle, ça ne marche pas, j’ai les jambes trop longues ! »
Rafello rit puis il s’excuse de devoir me quitter si vite mais sa fille l’attend à Piazza Flaminio.
Je vois son imperméable gris se battre avec le vent jusqu’à ce que les portes du minibus se referment derrière lui.Je ne me suis jamais autant senti écrivain qu’à Rome.Au Caffè Palombini dans le quartier de l’Eur, fameux à l’époque de la Dolce Vita, mon ami Fabrizio me dit :
« Siamo dei radical chic del cazzo ! ».Fabrizio voudrait qu’on démarre un nouveau projet de livre ensemble à l’Eur. Il me demande de lire les Villes invisibles de Italo Calvino. Que le livre soit notre point de départ.Il est difficile de voir les films avec Primo Carnera acteur. Ils sont si mauvais que personne n’a pensé à les conserver. Et je dois être le seul au monde à vouloir les regarder.Jamais autant fumé de cigarettes qu’à Rome. Souvent, les gens fument pour combattre le stress. Moi, c’est parce que je vais bien, que j’aime descendre la rue le soir jusqu’au Colysée, tourner tout autour et recracher des bouffées de MS light.


Je commence à aimer le foot et à brailler quand l’AS Roma marque un but. A Rome avec nos amis Véro et Séba qui ont fait le déplacement depuis Strasbourg. Nous mangeons ensemble dans une Tavola Calda du Trastevere. De les voir dans cette ville et vivre ces instants comme s’il était normal de nous retrouver à Rome, ça me fait l’effet d’avoir pris des drogues…Ecrit les _ du roman sur Primo Carnera et je peine à lui trouver un titre.
Je ne voudrais pas qu’y apparaisse le terme de « boxeur », je voudrais un titre qui rappelle le caractère mélancolique de Primo ou qui révèle son immense popularité pendant les années 30.

Philippe Fusaro, 2004.