Friterie-bar Brunetti

Pierre Autin-Grenier - mémoire en éveil - est assis à la table du fond.


La Friterie-bar Brunetti, maison fondée en 1906 et située au 9 de la rue Moncey à Lyon, a depuis longtemps disparu du décor. Démolie, refaite, relookée, devenue banque, pharmacie ou pressing, victime en tout cas d’une mise aux normes stricte et aseptisée, elle ne subsiste (elle et son cortège d’humilité) que dans les mémoires de ceux qui en furent les habitués. Pierre Autin-Grenier [1] était de ceux-là. Il tenait table au fond de l’antre. Pouvait, à sa guise, observer, écouter, griffonner, siroter un verre de Beaujolais ou de Côtes du Rhône et voir s’égailler tout autour de lui une flopée de solitaires en manque de compagnie. C’est leur histoire (mêlée à celle de ce troquet de quartier) qu’il écrit ici. Il la recadre par bribes, clins d’œil, morceaux d’humanité à la fois tristes et légers.

« On ne voyage bien en fait qu’au café, en compagnie d’un panaché, d’une verte, d’un Cinzano ou d’un petit noir arrosé si vous préférez ; un reginglard de charbonnier ferait d’ailleurs tout aussi bien l’affaire. »

Pas (ou peu) de nostalgie chez Autin-Grenier mais plutôt une colère maîtrisée, distillée avec hargne et parcimonie, capable de faire mouche en un éclair avec, en embuscade, des envies de grands soirs.

« Je rêve, voyez-vous, qu’en ce moment même où nous bavardons de tout et de rien, sans souci autre que remettre la tournée, quelque jeune agitateur à joues creuses et tignasse drue, vivotant fort serré de menus expédients et d’amours illicites, le regard perdu dans son petit noir et baignant tout entier dans la lourde atmosphère d’un bistroquet de banlieue ne soit tout bêtement en train de porter la tempête en ses flancs. Possédé jusqu’à l’os par le sentiment sacré de la révolte, je l’imagine méditant devant sa tasse un projet de manifeste susceptible d’enflammer les faubourgs. »

Partant d’un lieu feutré où ont grésillé tant de bassines de frites, où furent donnés aux murs et aux assoiffés l’occasion de capter tant de confidences et de révoltes, c’est en réalité un bel éloge des bistrots qu’il dresse, léguant au livre (publié à L’Arpenteur) le nom de l’ancien bar et prenant à son tour place dans une longue cohorte, celle qui voit, depuis des lustres, se côtoyer avec bonheur littérature et cafés.

La mémoire est également au centre de Là-haut, autre bonne surprise trouvée dans la pochette offerte par Autin-Grenier en ce pré-hiver. Le texte, posé, sans écarts, tout en retenue, tourne autour d’une « énigmatique bicoque perchée tel un lugubre oiseau de proie au sommet de la colline. » La vieille recluse qui y vivait est morte. Place aux gros bras des déménageurs pour vider les lieux. Ils s’y emploient du mieux possible mais à l’heure qu’il est, c’est à dire bien des années plus tard, leur camion, plein à ras bord et quasi rouillé, semble toujours bloqué là-haut... Allez savoir pourquoi... La réponse se trouve évidemment dans ce petit livre, l’un des premiers publiés par les Éditions du Chemin de fer, superbement accompagné par le pinceau de Ronan Barrot.

Jacques Josse

28 novembre 2005
T T+

[1Le Matricule des Anges a consacré sonnuméro 42 à Pierre Autin-Grenier.
Deux recensions sur le site de la revue : L’éternité est inutile et Les radis bleus.