Christophe Fourvel / Montevideo, Henri Calet et moi

Christophe Fourvel s’est rendu làoù vécut jadis Henri Calet, en cavale àMontevideo.


Le 23 aoà»t 1930, aux environs de midi, Henri Calet décida de jeter sa première vie aux orties. Ce jour-là, veille d’un départ en vacances, celui qui s’appelait encore Raymond Barthelmess vida le coffre de la société pour laquelle il travaillait (au service comptabilité), s’empara au passage de 250 000 F. et fit, on s’en doute, illico ses valises.
Quelques semaines plus tard, il se retrouve, muni d’un passeport de citoyen nicaraguayen, en voyage d’affaires au volant d’une Chrysler haut de gamme dans les rues encombrées de Montevideo.
C’est cet épisode peu connu de la vie de Calet - devenu ensuite l’écrivain que l’on sait, épris « des petits matins gris, des vies indécises et râpées, des mauvais comptes de l’âme » - que Christophe Fourvel a décidé de sonder.

« Je suis allé en Uruguay tenter d’apercevoir l’ombre improbable de l’écrivain. Voir si possible ce que ses yeux avaient vu et chercher les traces éventuelles laissées par ceux qui servirent de modèles pour son roman Un grand voyage. »

Sur place, soixante-dix ans après, seule Perlita est encore de ce monde. Elle habite près de la plage de Positos, làmême où elle fut un jour prise en photo en compagnie de son père, d’une amie et d’Henri Calet. De lui, elle garde un souvenir vague et mitigé. Son aide s’avère néanmoins précieuse. Elle fut en effet très proche de Luis Eduardo Pombo et celui-ci, qui était àla fois critique d’art et modèle, de plus fervent francophile, compta beaucoup dans la vie de l’homme en cavale en Uruguay. Christophe Fourvel ne s’y trompe pas. Il la rencontre. L’écoute. Sa voix devient de plus en plus faible. Pour lui, elle défait la liasse des lettres que Pombo lui a naguère adressées. Elle dit leur colère àtous deux en découvrant comment Calet avait décrit Montevideo et les gens qui l’avaient protégé, feignant d’oublier qu’Un grand voyage, même largement autobiographique, n’en reste pas moins roman.

« Perlita se souvient d’avoir eu le livre entre les mains et de l’avoir jeté après avoir lu les scènes où l’homme qui ressemblait àson père frétillait entre les jambes de Léone et de Mado, les deux prostituées françaises de la calle Brecha. »

Circulant de l’Avenida 18 de Julio àla gare centrale ou de la Plazza Libertad àla calle San José, faisant halte au café El Cuididadano ou repartant en direction des plages (Pocitos, Malvin, Carrasco), Fourvel dont on connait, depuis Le Journal de la première année (La Dragonne, 2001) et Des hommes (La Fosse aux ours, 2003), la précision du regard et l’attrait pour les déambulations, donne un texte enrichi de notes rapides et télescopées, entrecoupé de fragments poétiques et urbains. Son livre flirte tour àtour avec le récit et le documentaire (cette écriture vive, en plans serrés et en extérieur, y est pour quelque chose), sans jamais dévier vers la biographie. Le parcours de Calet (1904 - 1956) dans cette ville - où vécurent aussi Lautréamont, Supervielle et Laforgue - recèle trop de secrets pour se risquer sur un tel versant. Ce qui est sà»r, c’est qu’il y a dépensé sa fortune en quelques mois, y a goà»té àla cocaïne et trouvé là-bas un ami intime (Pombo) àqui il écrira jusqu’àsa mort. Le dernier mot de la dernière lettre (il lui reste trente-trois jours àvivre) évoque d’ailleurs Perlita :

« Nous en avons fini avec les plus intéressants chapitres. C’est autre chose qui commence : une histoire précaire, incertaine, un peu triste. On n’apprend pas àdevenir vieux (...). Je pense souvent ànos adieux furtifs, un certain soir d’hiver, près d’une palissade, àl’insu de Perlita. »

Les lettres àLuis Eduardo Pombo, 1931 - 1956, réunies par Jean-Pierre Baril, sont annoncées, également aux éditions La Dragonne. En attendant, en parallèle àce livre-ci, il est bon de reprendre Un grand voyage (éd. Le Dilettante) et de retrouver Calet dans le très documenté n° que la revue Europe lui a consacré en 2002.

4 septembre 2006
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