Actualité de Jacques Ancet

Soit Jacques Ancet présenté par James Sacré :

Il y a sans doute quelque chose autour de quoi se font, s’épuisent peut-être, ou s’avivent les poèmes de Jacques Ancet. Les titres, d’emblée, semblent le suggérer : Le songe et la blessure ; Silence, corps, chemin, l’autre pays ; Avant l’absence ; Sous la montagne ; L’imperceptible ; On cherche quelqu’un... Mais cette chose éloignée est rssentie (sans être dite : « les mots se taisent ») comme étant là (« quelque chose est là »). D’ailleurs il arrive que les titres se font plus affirmatifs : De l’obstinée possibilité de la lumière ; Le bruit du monde. Je n’ai pas lu tous les livres de Jacques Ancet, mais le sentiment me vient cependant très fort que ce qui est là (c’est là, partout ça s’en va [...] ça ne va plus être là) c’est finalement le poème et ce moment d’être avec les mots durant la lecture que j’en fais.
Le poème comme un ressassement (ses motifs, la chambre, des pronoms personnels erratiques, des formes métriques, une mouche qui insiste), avec, ou peut-être dans, ce qui fait que par ce seul matériau fondamental (ces mots qui ne disent rien, dont le sens n’est pas là) l’avancée, le volume, le silence et les bruits de l’écriture sont entendus et montrés. Le poème en effet est bien là (nous quittant tout aussitôt) [...]

Soit l’approche de Bernard Noël :

Jacques Ancet invente une facilité qui n’est pas facile et qui prend le risque de le paraître en dissimulant un travail de composition sous-jacent. Ce travail est la raison du bruissement déjà noté, de la rumeur indécise qui paraît sourdre en deça du sens, et dont on ne sait si elle l’accompagne ou bien le porte.
[...]
partout, chez Jacques Ancet, cette attraction opère tendrement sans doute parce qu’elle n’est pas habitée par la révolte mais par une douce obstination – par la certitude que l’attente « n’attend rien » pour la raison que « chaque chose recule sans fin ». On ne sait jamais si ce qui tremble autour des choses est dans ou hors des yeux. On ne sait pas davantage jusqu’où déborde l’intériorité ni pourquoi il lui arrive d’égarer sa propre bouche. Tout cela ne peut s’exprimer que par suggestion ou, mieux encore, que par ce bruissement qu’est la sonorité des syllabes à l’arrière des mots ; tout cela est la matière que travaillent les poèmes de Jacques pour en moduler, à mesure que mis en forme, le flux verbal de manière à nous donner à penser au moyen de l’émotion.

Soit Jacques Ancet dans l’exercice du poème :

Dire le corps c’est encore ne rien dire
c’est poser un mot de plus sur de l’obscur
comme nuit nature amour esprit ou dieu
ce n’est que refuser ces quelques images
rassurantes sous lesquelles tu t’abrites
et que te reste-t-il pour te protéger
quel miroir pour la face de la gorgone
si tu tires un fil du tissu de langage
l’éclat est trop violent aussitôt tu couvres
la déchirure d’un voile de paroles
tu dis oh c’est terrible c’est magnifique
tu dis regarde tu montres la montagne
tu crois qu’il suffit de prononcer son nom
pour savoir mais si tu t’approches c’est là
sur toi comme quelque chose d’arrêté
de vivant une paroi ou un bloc d’air
que seul ton souffle peut comprendre une sorte
de visage sans visage qui se penche
un désordre de mots ombre cris silence
la fraîcheur le bleu et le corps pas à pas
s’égare sueur et terre et ciel et peau
sont si proches qu’ils ne sont qu’un même geste
oeul-étincelle feuille-main jambe-tranche
qui bouge t’emporte vers l’inconnu
à chaque fois chaque instant ce qui commence
n’en finit pas de commencer cette braise
suspendue où le regard vole en éclats
c’est l’obscur de la neige l’éclair du vide
tu entres tu n’y vois plus l’espace s’ouvre
tu deviens l’immobile l’interminable
tu marches tu es dans la phrase sans mots
celle qui t’articule tu ne dis plus
paroi plateau tu ne dis plus solitude
silence tu es le proche le lointain
tu n’est que le souffle en avant de tes lèvres
le désir du rien un voyage d’oubli
comme lorsque ton corps traverse le mien
je dis tu me brûles mais je pourrais dire
tu es une montagne de déchirure
tu bondis tu cours au-dessus des collines
et ton visage est beau à voir laisse-moi
prononcer les mots qui ne sont pas les mots
qui ne sont pas les choses je dis la source
et tu n’es pas la source je dis le feu
les ailes je fais le bruit de ce qui vient
sans jamais venir mais c’est ce qui nous porte
à la rencontre je ne sais pas pourquoi
c’est nous encore dans le jour sans espoir
chacun de nos gestes nous fait nous défait
(je touche ta main je touche un souvenir)
je ne sais pas ce que veut dire le corps
c’est une force parfois qui nous soulève
comme elle est sans nom je dis c’est le désir

Les deux citations de James Sacré et Bernard Noël sont extraites de la revue Nu(e) n° 37, consacrée à Jacques Ancet, avec de nombreuses autres contributions et des inédits.

Le poème de Jacques Ancet est extrait de Entre corps et pensée, anthologie composée par Yves Charnet et publiée au Dé Bleu.

Mais il y a un autre Jacques Ancet : dans mon ordinateur, L’obéissance au vent, titre global pour ces textes parus en volumes depuis la fin des années 70, dont L’Incessant, Le silence des chiens et qu’il serait temps d’éditer dans leur ensemble.

Il y a aussi Jacques Ancet traducteur : les poèmes de Jean de la Croix, (Nuit obscure, Cantique spirituel) en Poésie Gallimard, et c’est principalement par Jacques Ancet et ses traductions que nous avons appris à connaîtreJose Angel Valente.

Et ne pas répéter que Jacques Ancet travaille actuellement à une retraduction des poèmes de Borges : j’en ai lu, pas le droit d’en faire part. Est-ce que ce serait lié à l’interdiction actuelle de la légataire de Borges de permettre que soient réimprimés les 2 tomes Pléiade des Oeuvres Complètes ? Alors que ces 2 tomes sont une mine pour ceux qui ont la chance de les posséder... Question ouverte. On espère.

Jacques Ancet a depuis très longtemps un site, au titre précis de Le site web de Jacques Ancet. C’est aussi le moyen d’entrer dans l’oeuvre immergée.

On trouvera sur tiers livre un autre hommage : La voix et le passage, en accompagnement de la mise à disposition en version numérique de La voix de la mer, ensemble d’essais sur l’écriture.

Et que paraît chez Gallimard Sur une confidence de la mer grecque, d’Andres Sanchez Robayna, accompagnée d’un travail d’empreintes de main d’Antoni Tapies (voir Ronald Klapka sur poezibao et illustration ci-dessus).

29 février 2008
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