Christiane Schapira ⎜ Flash

Christiane Schapira / Flash

J’avais un chien. FLASH, je l’appelais.

Vous allez me dire : Quel drôle de nom pour un chien. T’es sà»r que c’était pas une lanterne ?

Si vous me posez cette question je vous répondrais que j’en suis sà»r. C’était un chien, un sacré chien même : Un labrador retriewer tout blanc, un chien unique, originaire de Terre Neuve. Un vrai bosseur. Les pêcheurs utilisent les labradors pour récupérer les filets cassés et la morue àla dérive. On peut leur faire confiance. Ils sont calmes, équilibrés. Ce qu’il nous faut, ànous.

Vous pourriez me dire alors : Ouais, on connait la chanson. Tous les proprios trouvent leur clébard unique. Comme si un clebs, ça n’était pas qu’un clebs, avec ses limites, ses réflexes conditionnés Donne la papatte Couché Assis Aux pieds Tranquille Tais-toi Gentil Su-sucre.

Si vous me disiez ça j’insisterais et je vous dirais qu’il était vraiment unique mon chien. Oui, unique. Il captait cinquante mots, FLASH, oui, cinquante, pas un de moins.

Et làje vous entends ricaner : T’es sà»r qu’il était pas polytechnicien, ton clebs ? C’est ce que vous pourriez me dire.

Je vous répondrais alors qu’ il n’était pas polytechnicien. Il était mieux que ça. Il comprenait tout. Il était bien dans sa tête. Mieux que moi dans la mienne... et que vous dans la vôtre, j’en suis sà»r.

FLASH, il m’emmenait partout. Et toujours prévenant : Fais gaffe où tu mets les pieds, Petit ! mets tes pas dans mes pattes. Voilà ! comme ça, c’est bien.

On se comprenait.

Sifflement admiratif. Voix off. Dis-donc ! c’était une nounou, ton clebs. Il te torchait aussi ? (rires)

FLASH, il aboyait pas àla lune. Il savait se tenir.

Je l’emmenais au concert, au théâtre. Il aimait ça, mon chien. Je réservais toujours une place au bord de l’allée et FLASH se couchait là, près de moi. Et pas un gémissement pendant le spectacle. Rien. Il écoutait.

La musique ça devait lui rappeler les aboiements des chiens la nuit dans la campagne, vous savez, quand ils hurlent et qu’ on croit que c’est pour rien, eh bien c’est pas pour rien, c’est pour vérifier qu’ils ne sont pas seuls dans le noir, que les copains sont bien là, et quand les copains répondent ça veut dire qu’on n’est pas seul, et c’est mieux de savoir qu’on n’est pas seul au monde àhurler pour rien. Quand on est sà»r de ça on peut enfin dormir, même au bout de sa laisse, même si t’as pas de niche...

FLASH, c’était mon ami...

Voix off. Ça aussi on connait l’histoire du type qu’a pas d’amis et qui dit que les bêtes c’est mieux que les humains. Hein !? C’est ça aussi que tu penses !?

Ce soir-làpour varier un peu j’avais pris une place pour le concert de Pollini. Ce mec-là, il a un jeu pur et limpide, tu planes, t’es au ciel quand il joue les variations de Brahms. Sifflotement de quelques mesures. Oui tu planes. Mes parents pendant ce temps ils dorment tranquilles. Ils savent que je suis avec FLASH. En sécurité.

On a pris le métro àLaumière.

En bas des escaliers j’ai dit “distributeur†et FLASH direct au distributeur, tranquillement, sans bousculer personne. C’est un des mots que je lui ai appris “distributeur†. Presque tous les autres mots c’est l’école de Vincennes où il est allé qui les lui a appris.

Voix off. Ho ! tu nous prendrais pas pour des cons, petit ? Faut arrêter ton délire ! Hé ! Est-ce qu’il a eu son BAC au moins ton clebs ?

FLASH ne faisait jamais un faux-pas. Toujours la truffe au vent àsentir tout ce qui se passait, ou ce qui pourrait se passer, et que nous, pauvres humains on ne sent pas parce qu’on est limité dans nos sensations. L’odorat des chiens est vingt àcinquante fois supérieur au notre. Ça dépend des races. C’est vrai je l’ai lu.

On a changé àRépublique et on a attendu la correspondance sur le quai, direction Place d’Italie. La rame tardait un peu mais je n’étais pas encore inquiet. J’avais tout calculé : y a quatre stations pour la Bastille plus le couloir. C’était bon.

FLASH, lui, n’aime pas les quais de métro, ce qu’il y a au-delàdu quai pour lui c’est un trou, donc un danger. Et il n’aime pas ça les dangers organisés. Il ne s’avance pas au bord du quai. Jamais. J’entre d’abord dans la rame et il me suit. Par contre il est toujours le premier pour sortir de la rame. Sacré FLASH.

Des types sont arrivés au bout du quai. Ils chahutaient un peu.

On était seuls.

Moi avec FLASH.

Eux ensemble. Trois ou quatre. Je les entendais.

Tout àcoup il y a eu un silence.

Comme s’il n’y avait plus personne sur le quai. Sauf FLASH et moi.

J’avais bien en main la laisse de FLASH. Grâce au harnais je sens les mouvements de sa tête et de ses pattes, et alors j’ai senti qu’il tournait la tête vers la droite, vers l’endroit où les types étaient arrivés. Ça voulait donc dire qu’ils étaient encore là. Et juste àce moment-làil y en a un qui a gueulé.

Voix off. Hé les mecs ! visez un peu ! C’est le monde àl’envers. Un Blanc qu’est le larbin d’un Black. Hé Négro ! quel effet ça te fait d’avoir un larbin àtes pieds ?

Les types se sont approchés.

Ce n’est qu’après que j’ai su que FLASH avait compris avant moi, bien après.

Après...

Un temps.

FLASH s’est un peu avancé vers le bord du quai, donnant un peu de mou àla laisse, juste un peu, comme ça, et je n’ai pas cherché àcomprendre pourquoi il faisait ça. Je n’ai pas serré davantage sa laisse, je pensais maintenant au retard de la rame et au concert que je risquais de rater. Je ne pensais qu’àça.

FLASH, lui, il avait autre chose en tête.

Les types sont venus tout près.

Voix off. Ho le clebs ! Où t’as appris qu’un Blanc y se vautre aux pieds d’un Black connard de clébard !

Il y en a un qui a dit :

Voix off. Hé Max ! t’es un vrai poète ! ha, ha, ha. Ça rime du con, ça rime !

Ils me cherchaient mais je ne savais pas ce qu’ils me voulaient.

Retrouvez ce texte dans le recueil La plus grande pièce du Monde - ed. Des Amandiers.

29 septembre 2002
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