Laurine Rousselet / De l’or havanais

Extrait d’un livre à venir.


Si la vie est en toutes choses, le mal lui fait grincer l’esprit. J’allume au milieu des promesses, de si longues traversées de pleurs que mes nuits adossées à l’obscur en referment leurs doigts. Le roulement affole les coins du corps à se cogner. Tout anguleux, ce dernier ne vise qu’à se jeter sur les images pour les empoigner.

Un terrible orage vient d’éclater. Midi. Ma nature perd trop de sang. Je me blesse. En vieillissant, je cicatrise mal. Des mois lui sont nécessaires lorsque trois jours suffiraient. À me livrer ainsi au rouge, mes chairs à vif ont fini par s’offrir à l’absolu, sans question ; leur feu ne désirant rien recouvrir des croûtes. Mon voyage s’achève donc. Mais d’avoir labouré le tout, quelque chose de l’origine s’est retrouvée. J’ai la bouche plus grande. Le cri des opprimés sur terre n’a nul besoin d’être en dessous. Le son reste bien la forme la plus appropriée pour ne pas guérir du temps. Pour se guider au mieux, c’est bien connu, il est toujours préférable d’avoir un œil à côté. Les minutes pour voir deviennent alors des allumettes. Et éclairer la nuit n’est pas chose facile. Pour la comprendre, il faut parler la langue, la sienne, et une vie ne suffit pas. D’ailleurs, je ne prononce toujours pas un mot d’espagnol, mais voir les colères monter, je les bois toutes.

Se perdre dans sa marche sur fond de bonne santé. Oui, se débattre ne supporte que la vie enfin ramenée à soi. Je ne me résigne pas à faire de mon corps un lieu du souffle. Probablement être en travail épuise l’autre. Mais la force requise pour sentir les énergies, et trop souvent les désoeuvrements et leur brouhaha (nous sommes nombreux dans ces cinquante mètres carrés), opère en moi des démêlés incroyables pour ne pas hurler. Car je ne décide jamais de faire malheur avec l’autre. Me battre donne la mesure d’une heure à se gonfler. Des tourbillons cheminent, tous vivants. J’embrasse, je me détache. Et quand je sors, c’est que je vois la vie qui s’enterre.

Il y a trop de sommeil ici pour chercher la vérité. Je participe à l’aide matérielle, avec mes devises étrangères, mais je fais bien plus, je l’espère. Je viens retrouver derrière eux les pièces manquantes pour aller de l’avant. Je viens traduire, moi qui ne possède que ma langue. Les limites dans la conversation sont nombreuses. Les murs craquent très vite : « no es facil », répètent-ils pour ponctuer.

Ce matin, à l’Ambassade de France, N. a enfin noté les nombreux justificatifs qu’il lui faudra pour courir sa chance. Un mois de salaire (75 CUC) contre une demande, sans parler du prix du passeport (56 CUC), etc. J’ignore si, malgré mes vœux, et notre lettre, elle parviendra à traverser l’Atlantique. Au moins aura-t-elle déjà touché l’image, l’ombre portée lui donne tant le sourire. Sincèrement, pas une minute, je n’ai manqué à rencontrer l’ailleurs. Je repars telle une boule de feu.


Laurine Rousselet est née le 31 décembre 1974. Elle vit à Brest. Elle a notamment publié deux recueils de poèmes (Tambour en 2003 et Séquelles en 2005) aux éditions Dumerchez et un récit, L’été de la trente et unième (préface de Marcel Moreau) à L’Atelier des Brisants en 2007. De l’or havanais, (dont est extrait le fragment ci-dessus), écrit lors d’un séjour à Cuba, paraîtra aux éditions Apogée (collection « Piqué d’étoiles ») au printemps 2010.

18 octobre 2009
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