Pierre Alferi | Vers la prose

La prose n’est ni un genre ni l’opposé de la poésie. Elle est l’idéal bas de la littérature, autrement dit un horizon, et lui souffle un rythme, une politique.
Quant au rythme, on a coutume de le mesurer au moyen des formes évidentes qu’il prend dans les vers réguliers. Sans doute la prose a-t-elle le sien, mais, disait Cicéron, pas facile à reconnaître. On a coutume aussi de louer dans la poésie, fût-ce pour la cantonner, la "parole des origines" à quoi la prose devrait sa pulsation première, plus ou moins assourdie.
De cette légende s’autorise l’usage laxiste de "prose" pour désigner ce qui n’est pas vers, formellement flou, prose dont on fait sans le savoir. Mais on peut distinguer le rythme, qui n’est pas sans la régularité, de sa mesure, irrégulière en prose ; et revendiquer pour celle-ci la tâche poétique la plus délicate. On peut aussi raconter l’histoire des naissances à rebours, dire que de la prose sortit toute la poésie moderne et qu’elle se retourne vers elle.

Ainsi Charles-Albert Cingria, dans un chapitre de La Civilisation de Saint-Gall qui a pour titre " Renouveau, par la "prose" de toute la poésie occidentale ", narre-t-il l’histoire récente du rythme. L’événement qu’il relate est, vers 880, la découverte par Notker, moine bègue, d’une nouvelle façon de mettre des mots sur un chant. C’était pour ne pas oublier, comme mnémotechnie, qu’il avait dû inventer ces mots. Mais ils ne composent pas des vers reconnaissables. Sachant ce que c’est que la poésie - l’art appelé poésie - ; il n’est pas très sûr, malgré le plaisir qu’il y éprouve, que ces mots, si bien disposés et assonancés qu’il invente en soient. Il croit plutôt que c’est de la prose ; alors on dit les proses, et le genre, parti de Saint-Gall, tout de suite, avec l’impétuosité d’une bourrasque, fait école d’une mer à l’autre. Le rythme, ici donné par la musique, fut donc premier. Mais, passé dans les mots, qu’il informa néanmoins par une vrai prosodie, il adopta d’abord une mesure irrégulière. Voilà la " prose ".

A vrai dire, n’importe quoi, même les bruits d’eau et des rythmes d’engins de bois ou de fer lui paraissaient dignes de faire bien s’accoupler et rimer les mots. Ekkehard raconte que, de son dortoir, Notker entendait certains gémissements et des craquements périodiques d’une roue tournant lentement à cause de très peu d’eau. Aussitôt il fit une prose. Prose en ce sens aussi que tantôt la nature tantôt la technique y passent de plain-pied selon leur cadence.

La primauté du rythme fait un art " dyonisiaque ". Cingria cite Nietzsche et, surtout, Pétrarque. Sauf que la poésie moderne (en langue vulgaire) a puisé dans des rythmes irrégulièrement mesurés. Cette naissance prosaïque orienta son histoire. La complainte de sainte Eulalie qui est le tout premier document de poésie française est une séquence. Dante et Pétrarque ne sont que les derniers des troubadours et les plus grands. Or, le chant des troubadours est le lai, et le lai vient des tropes et des séquences, qui sont la prose ordonnancée au cours du XIIème siècle. On oublie sa naissance. La poésie se referma bientôt, imposa au rythme - et, le cas échéant, à la musique - une forme régulière a priori, une métrique rigide qui supplanta bruits d’eau, gémissements et craquements. Mais l’ère de la nouvelle poésie n’est pas encore close. Elle se ravive à la forme irrégulière primitive. Et Cingria termine en citant Cendrars, Whitman, Une saison en enfer.

Cette histoire vaut ce que valent les mythes. On peut y objecter, ou rester froid devant le lieu commun qui sacre la musique modèle de tout rythme, préférer la roue lente, les engins de bois et de fer. Au moins le mythe montre-t-il une poésie aux antipodes de cette " parole des origines " deux fois incroyable, une poésie redevable de sa modernité à la prose qui est à son départ et en son cÏur. La généalogie que traçait Cingria se prolonge en effet jusqu’à nous, après l’abandon de l’ancienne métrique : en France, par exemple, de La prose du transsibérien de Cendrars, de Zone d’Apollinaire, du Voleur de talan de Reverdy à Ponge, à Michaux, Novarina, Lucot, Cadiot. Les retours paniques à l’ancien code, d’une part, de l’autre les répudiations spectaculaires d’un genre jugé inacceptable ou obsolète, la pratique opiniâtre de la coupe et de l’enjambement aux dépens de tout autre signe de reconnaissance du vers, tout cela trahit dans la poésie d’aujourd’hui la hantise de la prose.

Aussi bien elle s’affirme : projet non héroïque, à ras de terre. Et elle n’est pas plus étrangère au poème qu’au roman, et pas moins. Penser la prose, ne serait-ce que penser à elle, l’envisager, la rêver, c’est vouloir pour la littérature - toute - la rigueur d’une prosodie irrégulière, d’une poétique mutante, en même temps que l’abandon à l’existence profane et à l’état " vulgaire " (contemporain) du langage. Si la prose désigne cette tension maximale entre une forme qui ne se connaît pas de modèle et un champ réel qui ne laisse pas de point de vue surplombant, alors les romans ne l’atteignent pas plus souvent que les poèmes.

Et cet horizon, cette idée, si libre et large soient-ils, appellent une politique (donc une critique) de la littérature. Sans préjuger de cette politique à venir, parler de la littérature en tant que prose doit permettre - à nouveau, dès maintenant, en attendant - d’évoquer un travail, des programmes d’écriture complexes, précaires, sans pour cela se reposer sur des catégories stylistiques ; et d’évoquer une façon, mille façons qu’ont les livres de se mettre à niveau avec la " prose du monde ", sans pour cela parler de sujets (il n’y a pas de sujets).

Face à la prose réelle, la poésie paraît plutôt se donner pour tâche de prélever : où couper ? Et le roman, plutôt de tout prendre : comme faire consister ? Ni l’un ni l’autre, ni quelqu’une des techniques mixtes du moment ne trouve plus dans la prose ce chemin en ligne droite - prosa oratio - vers le monde, ou quelque nom qu’on veuille donner aux circonstances, à l’élément où l’on se noie. Elle gît dans les méandres de la syntaxe et la violence des coupes, rusée, brute ; tous les coups sont permis excepté ceux déjà joués.

Ces remarques sont banales. Attendre qu’il y ait du nouveau, du travail, c’est la moindre des choses.

Seulement, en cette époque de regrattage, il se trouve beaucoup d’écrivains pour éluder et la difficulté d’écrire et la demande impérieuse, assez peu claire (d’autant moins qu’il est partout excellemment " représenté ") du monde. Cela fait une littérature de complaisance dont beaucoup de critiques, éludant la difficulté de lire, délivrent le certificat. De sorte qu’il faut tamiser des tonnes de récits, de dialogues, de vers pour recueillir une once de prose. Quoi de plus accessible, pourtant, de plus modique ? La prose n’est qu’une rumeur à quoi sait assez répondre une humeur, non pas grave, mais basse comme elle.

Sur la pensée poétique

inédit - texte rédigé pour un numéro abandonné de la revue Lignes

Imaginons un étudiant en philosophie qui aime des poètes. Des didactiques - Empédocle, Lucrèce ? Des sapientiaux - Jabès, Juarroz ? Des mystiques - Jean de la Croix, Silesius ? Des pensants - Hölderlin, Celan ?
Ce serait trop facile. Plutôt de la " musique avant toute chose ", des stilnovistes pervers, des swingueurs au lexique luxuriant, des baroques, des victoriens amphigouriques - Cavalcanti, Hopkins, Gongora, Browning. L’étudiant ne voit pas, d’abord, le rapport entre ce qu’il pratique et ce qu’il lit. Puis il note qu’il jouit dans l’un et l’autre cas d’une pensée pure en ce sens qu’elle s’exerce à perte, mue par la seule nécessité qu’elle s’invente, en ne servant rien ni personne. C’est bien ainsi, croit-il, qu’elle croît et enlaidit magnifiquement, produit ses monstres, un Léviathan (les Cantos), un Béhémoth (L’éthique).

Creusant un peu, il s’aperçoit que ce qu’il aime avant toute chose, même chez les plus légers des rimailleurs sensuels, même chez un aussi piètre dialecticien que Verlaine, ce n’est pas une vague musique ; c’est l’implacable syntaxe et, à travers elle, la logique. Le raisonnement, oui, dans son ellipse ou sa bizarrerie même, qui peuvent ici aller loin. Les glissements, sauts, renvois, analogies qui font passer d’un énoncé à l’autre, et du premier au dernier mot de chaque poème. Il y a une pensée poétique, décide-t-il, qui est une espèce de ratiocination, ni plus ni moins.

Elle peut donc s’étudier ? Très certainement elle a sa spécificité dans le langage, ses tours, procédures récurrents, comme ont dans leur médium la pensée musicale, la pensée picturale. Où la repérer ? Sûrement pas dans le " style " dont s’orne une argumentation. Dans les poèmes eux-mêmes et dans leur voisinage, dans la rhétorique brimbalante de Lucrèce, la dislocation des fins de sonnets, la théologie cratylienne de Hopkins, etc.
Mais avant d’emprunter ce sentier peu battu, il faut s’assurer qu’il n’est pas sous un autre nom (" rhétorique ", " théorie littéraire ", " poétique " ?) une bretelle d’autoroute. Et qu’il ne se réduit pas non plus à l’étude thématique des oeuvres, qui semble impropre à dégager une pensée digne de ce nom. Qu’est-ce qui prouve, par ailleurs, que la poésie pense autrement que la philosophie ? En quoi, par exemple, la pensée de Hopkins se distingue-t-elle de celle de son maître Duns Scot, celle de Lucrèce ou de Ponge de celle de leur maître Épicure ?

L’étudiant se met au travail, se résout d’attaquer le problème par la face Pétrarque — celui-dont-l’esthétique-a-infléchi-toute-la-poésie-occidentale-moderne. Il tâche de mettre le doigt sur ce qui distingue d’un concept au sens philosophique le concetto pétrarquiste, cette arabesque où se déploient les significations de quelques mots pour ramener par un détour à l’énoncé qu’ils forment. Il trouve commode d’opposer la fondation, geste caractéristique de la pensée philosophique (que n’a-t-elle servi à fonder ? les sciences, la morale, la religion, le droit) et l’instauration poétique, qui peut être tout sauf inébranlable. Il croit enfin reconnaître, derrière les raisonnements plus ou moins explicites des poètes qu’il scrute, trois ou quatre formes logiques, des formes de rétrospection paradoxales bien connues des sceptiques : la régression à l’infini, la pétition de principe, le cercle vicieux.

La poésie (et la littérature, si la poésie en est le moteur) penserait donc par apories. Ce ne serait pas tant qu’elle en rencontre, comme tout le monde ; elle travaillerait essentiellement à les produire comme autant de vérités vitales, et c’est pourquoi elle irait chercher les objets (déliaison amoureuse, sensation insensible, présence des absents), les constructions (funambulesques, incomplètes, enjambées), les mots (archéo et néologiques) de l’aporie. Tout poème serait un syllogisme, mais du genre faux fait exprès. D’où les incipit abrupts (qui parle donc et de quoi ?) ; d’où les pointes (un ultime énoncé pour nouer les précédents et les rendre insolubles).

Do I contradict myself ? Very well, then I contradict myself.

Dans quelles apories spécifiques s’engage la poésie d’ici et de maintenant ? Une seule chose est très claire, pour l’étudiant : c’est le long de la ligne serpentine reliant les éléments d’un poème que de la pensée se produit, non dans quelque puits sémantique (" par cette image d’une rare profondeur, René Char nous dit...") ou aparté philosophique (" qu’a dit Celan à Heidegger ?").
Anecdotiques à cet égard sont l’amour, la haine momentanée des poètes pour les philosophes et réciproquement, les emprunts des uns aux autres, et même le cas que les poèmes font d’une pensée théorique qui n’est pas la leur.

Il n’y a là aucun indice fiable de ce que la poésie pense - du fait qu’elle pense ni de ce qui meut cette pensée. En revanche, la lecture patiente - aussi patiente que celle à laquelle auraient droit des recherches logiques - pourrait mettre à jour, en radiographiant la colonne scoliotique de tel poème contemporain, un peu de pensée pure. Comme cette ligne ondule en prosodie, la poésie pense avant tout avec ses pieds, et penser avec elle, ce serait danser avec elle.
N’est-ce pas cela qu’il faudrait faire pour dissiper les malentendus - et dépasser le faux clivage - entre une " poésie pensante " et une autre qui aurait la " haine de la pensée " ?

Seulement, dans un univers culturel où ne comptent plus que les " sujets ", accorder à la poésie ne serait-ce qu’un regard distrait relève déjà d’une excentricité. Qu’elle demande davantage - que l’on pense avec elle -, cela paraît plutôt culotté de sa part. Avouons qu’il manque des volontaires. L’étudiant en philosophie essaierait peut-être, mais les concours approchent. On en restera donc aux généralités.

Politique
inédit - texte rédigé pour le deuxième numéro de la revue "Politique", qui n’en eut qu’un

Il ne s’agit plus de faire du style avec la langue. Le style c’est l’homme - hélas ! L’ambition de s’approprier le langage, de le signer, s’est largement épuisée dans le modernisme, par exemple dans les versions qu’en donnèrent Artaud et Joyce : soit dans l’idiome opaque, tiré des profondeurs intimes, soit dans l’écriture comme scène où l’auteur se donne en spectacle en tant qu’expérimentateur virtuose. Ambition stylistique, encore, héroïque-subjective. Pour l’afficher, aujourd’hui, il faudrait faire semblant : d’être le fou qui parle en langue, ou bien l’expert testant ses formes.

Mais on peut se servir de styles, écrire vraiment (donc à la main) à plusieurs mains. Affirmer à la fois l’impossibilité, désormais, d’une incarnation (d’un monde, de soi) dans un style - d’une " parousie " littéraire - et la pertinence intacte du travail sur le langage.

Les styles au lieu du style, ça voudrait dire : primo, attirer l’attention sur l’artifice, sur les formes en tant que telles, mais par le simple passage de l’une à l’autre, sans faire d’elles la fin même (du formel, sans le formalisme). Comme des protocoles fictifs d’expériences réelles. Secundo, épouser la littérature transversalement, pour avoir avec la tradition une relation plus déliée, ni révolutionnaire (table rase qu’on remet à chaque tour) ni captive. Comme des cambrioleurs seuls dans la salle des coffres, calmes, qui ont toute la nuit. Tertio, surtout, obéir à la nécessité (vitale) de l’écriture proprement dite - de la torsion stylistique -, l’affirmer hautement contre les porteurs de messages humanistes et les raconteurs d’histoires captivantes qui occupent le terrain, mais sans prendre la vieille pose, pas même celle de l’avant-gardiste prométhéen. Juste des formes de phrases comme des formes de vie.

La passagèreté des styles, ce serait une certaine façon - il y en a évidemment d’autres - de négocier (comme un virage) la frustration. On ne réussit jamais vraiment à faire s’incarner l’expérience dans telle tournure, telle " guise " du langage ; et on le sait. Alors, plusieurs écritures sous un nom, plusieurs écritures dans un livre, cela donne une résonance bizarre à la fin, une énigme qui n’est pas contenue comme une bulle par le texte - qui n’est que celle de son chemin ou son réseau total, donc de son sens. Cette frustration, cette ruse et cependant ce sérieux de l’intention à chaque fois, cette ingénuité (que je crois reconnaître) disent peut-être un aspect de nos liens présents avec la littérature : ceux de tout le monde, écrivant ou non, lisant ou non.

Il se s’agit plus, non plus, de cultiver la diversité, la discontinuité pour elles-mêmes. Le rêve, ce serait au contraire de retrouver le continu, l’insistant - le forage - au-delà. De faire en sorte que des " manières " provisoires forment un nouveau genre d’unité, une sorte de pâte feuilletée. Et que chacune fonctionne immédiatement, naïvement si l’on veut, dans une clarté locale, de prime abord, qui n’exclut pas la complexité à une autre échelle, mais se dissolve dans son effet, comme un piège à sensations.
Si l’on admet qu’il peut y avoir une cohérence ou une voie transstylistique, on admet d’autant plus facilement qu’elle puisse être transgénérique. Ça va de soi, du coup, de parler de "la littérature " - même si l’on n’a plus rien à hypostasier sous ce nom, aucun dépassement sublime, aucun Livre, seulement un tracé exploratoire - contre ceux qu’inquiète l’autonomie de la poésie, par exemple. On parle alors, non d’un corpus, mais d’un champ de pratiques virtuelles, toutes de niveau, reliées par des lignes serpentines.

Les écritures possibles, je ne les vois donc pas du tout comme parodiques, et le jeu (l’espace) entre elles serait tout sauf " ludique " .
Le but serait de justifier pleinement - autrement que par l’héroïsme subjectif dont on parlait - ce qu’il y a de plus artisanal dans l’écriture, de plus raffiné, de plus petit, de plus vieux, de plus subtil, de plus maniéré même, sans revenir à rien de ce que la modernité a sapé. Tout au premier degré, résolument, humblement. [.../...]

La difficulté, c’est qu’aujourd’hui, en France, il y a d’un côté ceux qui méprisent légèrement l’écriture - " art du passé ", un peu comme on l’a dit de la peinture - , ou la pratiquent de façon ironique, sans trop y toucher (découpage, citations) ; et de l’autre, comme pour leur donner raison, ceux qui confisquent l’idée du " grand genre " au profit d’une littérature biologique, pleine du pathos de l’authenticité, d’images sulpiciennes, d’hymnes au père et aux aïeux héros sans grade, de bien-écrire, de philosophie à l’usage des classes terminales, de terroir (Maréchal, nous voilà !).

Entre le renoncement désinvolte des " branchés " et le passéisme oiseux des " stylistes " , il y a tout de même assez de place pour travailler.

Dans cette situation, " la conscience de l’Histoire " , s’il ne s’agit que de glaner des informations pour se faire une idée du contexte, c’est vraiment la moindre des choses. Mais c’est aussi, et avant tout, une affaire intuitive, une donnée de base, motrice : le sentiment d’exister assez différemment d’hier, et la dette à l’égard de cette remise à jour.

[.../...]

Quant à l’" échange " , l’accent mis sur la liberté de la " réception " , l’" ouverture " sur le dehors, l’indétermination de la lecture, la multiplicité des interprétations, l’" interaction " , qui seraient l’exigence contemporaine (politique) par excellence, ça ne sert à rien de vouloir aller dans ce sens. En se hâtant vers le dehors, en révisant à la baisse les enjeux proprement littéraires, en écrivant moins et en parlant plus les textes, en réduisant les contraintes imposées à la lecture, et cetera, on risque tout simplement d’appauvrir l’expérience que l’on prétend offrir plus directement, et donc, en fait, d’anticiper l’écho davantage.

Au contraire, surdéterminer la lecture, préciser jusqu’à l’indiscernable, multiplier les repères, écrire à la limite supérieure du " vouloir-dire " sans rien laisser délibérément ouvert ou indéterminé, voilà le plus sûr moyen d’être débordé de toutes parts, de faire surgir des questions véritables - précisément motivées et sans réponse prévue -, de laisser s’exercer une liberté concrète de lecture - qui trouve sur place, longtemps, à s’employer. Un livre - imaginons - qui serait " trop " écrit, surchargé de sens et de styles, passant d’un genre à l’autre, explicite jusqu’à l’obsession, vous laisserait au bout du compte le soin de faire sonner ensemble ses notes supposées fondamentales.

Et, si cette tâche se révélait impossible, si tout cela faisait plus ou moins qu’un accord, il aurait été en un sens fidèle à la " forme " contemporaine de " l’expérience " .

Pas assez politique ?

20 juillet 2006
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