L’Envers de tous les endroits

"On est toujours l’insecte de quelqu’un", Lambert Schlechter.


Ce n’est pas parce que l’on sait, dit et redit que l’inévitable fin de partie traîne en embuscade et se rapproche, portant avec elle « le néant qui est l’envers de tous les endroits  », qu’il faut mollir et s’empêcher de vivre. Cette évidence n’a jamais perturbé Lambert Schlechter. Elle l’accompagne depuis de longues années. Elle le conforte dans sa discrétion et l’aide àposer sa fragilité d’être en sursis sur le papier. Pour ce faire, il lui faut souvent s’en remettre àd’autres, explorer de nouveaux paysages, revenir cinq, six siècles en arrière, demander conseils àquelques sages, écouter surtout ceux qui savent percevoir Le Murmure du monde.

« Tang Yin (1470 – 1523) avait l’oreille très fine
étudiant le monde sonore
il comparait le bruit que fait la neige fondue
tombant sur les bambous
àcelui que font les vers àsoie
quand ils dévorent des feuilles
ou àcelui des crabes qui àmarée descendante
marchent sur le sable
Su Tung Po, lui, entendait la pousse du roseau
percer la surface de l’étang  »

Il aime retrouver et côtoyer ces êtres secrets, surprendre « au détour d’un chemin Gilgamesh puis Qohélet puis Omar Khayyâm  », les lire et réfléchir àtout ce que leurs écrits évoquent ou suggèrent. Peser àleur contact le côté àla fois éphémère et immuable de tout passage sur terre.

« aboi de chien au loin
dans la confusion des siècles

du temps ou je n’étais pas
mais dont je connais les abois

Wang Wei habite sur l’autre colline
nous partageons les mêmes nuages  »

Si l’accord initié par tel texte, chant ou musique reste de mise chez Schlechter, il n’en oublie pas le désir de plénitude du corps. Si celui-ci ne vibre pas, la pensée n’aura pas l’ampleur espérée. Le plaisir physique, fringant, assumé, présent dans la dernière partie du livre, l’est aussi dans un très beau texte, La Robe de nudité (Editions des Vanneaux, 2009) où il dit combien il lui paraît important que deux corps décident, dès que l’envie les traverse, de descendre ensemble « vers la nuit  » en échangeant ce qu’ils ont en eux de chaleur, de soleil tandis « que tapie alentour l’horrible froidure ne cesse de guetter  ».


Lambert Schlechter : L’Envers de tous les endroits, éditions Phi (Villa Hadir, 51 rue Emile Mark – L. 4620 Differdange, Luxembourg).


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5 août 2010
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