Fictions beyrouthines et autres citadines (5)

V


Welid compte les corps. Ceux disparus, pas retrouvés. Ceux qui furent au milieu de la rue longtemps. Ceux qui gisent au fond des chambres pour toujours, amputés. Ceux inhumés enfin mais constamment dans la tête. Ceux qui déambulent dans les rues. Ceux qui dorment en criant et se réveillent dans l’angoisse.
Les corps nous encombrent, dit-il. Il faut s’en occuper.

Comment se tenir dans les bras d’un homme ?

Welid a le sourire d’un homme amoureux. Il compte les corps. Il est heureux dans la maison, sa femme est belle, ses enfants vivants. S’il fronce un peu les sourcils parfois, il garde le sourire. Il raconte et boit son café. Puis sa silhouette descend la rue jusqu’à la mer, la tendresse qui l’emporte est aussi grande que tous les corps qu’il cherche.

Les corps, ceux de l’enfance qui court dans les rues et hume l’air embaumé de fleurs et de miel. Welid veut retrouver la vibration joyeuse des premiers pas dans la ville, l’émerveillement de la lumière, la découverte des chemins, les couleurs des tissus ocre et bleus, l’innocence. Au-delà des corps massacrés, il y aurait l’enfance. Parfois, il ne comprend pas pourquoi il n’en est pas resté là, dans la douceur et le chaud de l’air.

Pourquoi les pères ont-ils mis leurs fils dans un avion pour New-York avec quelques billets dans la poche ? Pour qu’ils reviennent un jour compter les corps.

Comment tenir en son propre corps ?

Welid danserait n’était le trottoir heurté et les passants qui déboulent, aussi ceux qui ont installé leur chaise devant les portes et regardent le tohu-bohu, semblant surveiller que l’on va bien dans tous les sens à l’air libre.

Comment se tenir dans le corps d’une ville, flamme vacillante, mais flamme vivante ?

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20 février 2011
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