Fictions beyrouthines et autres citadines (7)

VII


Shérine croque une orange, le jus coule dans sa gorge et elle rit sur le trottoir àSaïda. Elle attend le bus qui va vers Beyrouth. C’est dimanche soir et sa mère lui tend le sac où elle a déposé des pâtisseries et du taboulé. L’amour qu’il y a entre ces deux-làa traversé l’Afrique, la France jusqu’en leur terre d’ancêtres : le Liban. Les villages plus au sud recueillent les tombes et les fleurs d’orangers. Elles s’embrassent et Shérine fait signe quand le bus démarre.

Sur la route de la mer, le soir clignote. Les voitures s’agglutinent vers la ville. Shérine regarde sans voir le paysage qui disparaît. Elle pense aux larmes lointaines de Lisa dans le palais de Saïda, larmes sitôt séchées quand elle l’a prise dans ses bras. On ne sait pas d’où viennent les chagrins. On pleure alors qu’on n’a pas de raison et on reste sec devant les rues effondrées. Elles se sont assises sur les sofas de la somptueuse demeure, dans les splendeurs du passé retrouvé après la guerre. Chaque pierre semble raconter la même histoire où que l’on soit, celle d’une bataille, d’une embuscade, d’un massacre ou de la vie des réfugiés ici ou là. Dans le bus, les passagers sont silencieux. Pourtant Shérine chantonne un refrain tout bas, celui qui ne la quitte plus depuis des mois, Que c’est beau la vie. Elle se souvient que lorsqu’elles laissèrent le palais, elles se mirent àcourir dans le souk, sautillant pour éprouver tout ce qu’il y avait de vie en elles.

Au carrefour Cola, elle trouve un taxi. L’homme conduit et raconte tout son dimanche. Shérine répond Hé, hé, sans écouter vraiment. Elle rêve et ne tente pas une seconde de mettre de l’ordre dans ses pensées et toutes les images qui se présentent. Elle les prend avec un sourire intérieur que le brouhaha de la rue et l’embouteillage du soir ne ternissent pas.
Elle retrouve la rue Hamra et plus bas sa maison où l’attend une silhouette connue.

Comment se tenir près d’un homme quand on rêve ?

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6 mars 2011
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