Traque traces | un site de Cécile Portier

D’abord dire, avec Cécile Portier, qui le rappelle souvent, que le site dont il est ici question n’existerait pas sans Joachim Séné, auteur et développeur web, à qui on doit aussi refonte récente de remue.net ; Cécile Portier le redit souvent et ce n’est pas qu’évidentes, nécessaires, politesse et attention à ceux qui travaillent, ceux avec qui, ceux sans qui…
C’est aussi dire qu’un projet tel que traque traces découle de / et se développe par, la séparation impossible des questions de fond et de forme – question qui ne date pas d’Internet, mais qui se trouvent relancée par la publication en ligne et les questions d’accès à la technique qu’elle pose.
Traque traces, donc ? « C’est une fiction. Mais c’est votre vie (ou presque) ». Citons plus amplement :

« (…) fiction née d’un pari un peu fou : refaire une ville fictive sous la vraie ville. Faire vivre et évoluer tout un peuple, écrit à partir des données qui nous écrivent, nous aussi, êtres de chair. Car chaque jour nous sommes, nous, êtres de chair, mis en données. Chaque jour nous produisons, en nous déplaçant, en communicant entre nous, un nombre incalculable de traces qui sont stockées, analysées, réutilisées. Chaque jour nos faits et gestes sont traduits en données, dont l’agrégation et le sens final nous échappe. Nous sommes identifiés, catégorisés, sondés, profilés, pilotés. Notre vie s’écrit ainsi toute seule, comme de l’extérieur.
C’est un constat. Il serait angoissant, désespérant, si nous n’avions pas toujours nous aussi la possibilité d’écrire notre vie. De reprendre la main sur les catégories. D’en jouer. Cette fiction a ce but. Jouer avec les données au petit jeu de l’arroseur arrosé. Écrire les données qui nous écrivent. Refaire pour de faux leur grand travail sérieux d’analyse et d’objectivation. Et ainsi, apprendre à lire cette nouvelle écriture dominante qu’est l’écriture par les données. Car toute écriture est un pouvoir qu’il faut savoir comprendre, qu’il faut vouloir prendre.
Nous avons donc écrit un peuple. Un tout petit peuple, qui habite où nous habitons : Aubervilliers, Nord Paris. Chaque personne constituant ce peuple a laissé en vivant des traces que cette fiction trace et retrace pour vous.
 »

Elle en a parlé lors de la soirée que remue.net à consacrée aux résidences en Ile-de-France, en décembre 2010, de ce projet littéraire-là, et de l’intelligence, la coalescence entre le projet et l’atelier : avec l’autre, envisager et mettre en œuvre cette reprise en main, ce retournement de l’écriture des données : des données considérées comme contrainte d’écriture (de documentaire, de fiction) et ce qu’il en résulte de réappropriation symbolique de l’univers alentour, pour les lycéens participant aux ateliers d’écriture menés.
Ce site nous ouvre la porte du laboratoire et constitue un art poétique : écriture et technologie sont mêlées, en tant que problématiques et matérialisations. (Comment interroger la technologie sans user de la technologie ? la question apparaissant soudain si évidente). Il permet une transversalité de lectures : plusieurs traversées sont proposées : par les coulisses (fabrication, techniques, mises en question) ; par les lieux, par les tags. Et dès lors la pluralité des endroits de l’écriture est relancée, également – les textes de cette rubrique de remue.net, qui racontent le processus et les actions, ont une fonction méta, d’écriture à côté (à côté de l’écriture et de l’atelier, à côté aussi des rapports et frottements entre les temps et les instances), gagnent encore en intérêt.
Un site n’est pas un livre, même s’ils ont en commun ; un site, c’est un autre objet éditorial, un objet éditorial à inventer, à chaque fois – et celui-ci en témoigne, de cette association entre ce qu’Internet change à l’écriture et ce qu’"écrire change à Internet ».


À lire également : cet article d’Owni sur le site Traque trace.

17 mars 2011
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