Fictions beyrouthines et autres citadines (14)

XIV


La prison de Beyrouth brûle. Une haute fumée noire s’accroche au flanc de la colline. Sur la route du Mont Liban, le taxi avance enfin. Les embouteillages monstrueux sont passés, on roule dans le soir orageux. C’est une mutinerie, dit le taximan. Nidal et Hana ont les yeux vers la montagne ; rien ne les étonne plus. Elles rêvent chacune à des nuits silencieuses et tendres dans le creux d’un lit, elles imaginent des jours entiers de douceur et d’amour. Qu’ils brûlent tout ! L’homme conduit avec adresse et bien qu’il parle de révolte, il met dans sa voix une gentillesse qui enveloppe les femmes.

Combien de fois dans une journée Nidal pense-t-elle que le monde va à sa perte, qu’on ne peut pas continuer ainsi ? Tous les jours, elle marche sur les trottoirs délabrés, dans les gaz d’échappement, au bord des chantiers de poussière et de boue, dans les tremblements de marteaux piqueurs et le circuit féroce des voitures. Pourtant, elle descend chaque fin d’après-midi vers la mer, elle traverse des jardins odorants. Elle sourit au soldat qui nourrit une flopée de chats avec une bienveillance enfantine autour des cabanes bariolées de couleurs gris vert de camouflage. Puis, plus bas, le vieil homme de l’impasse, celui qui aurait cent ans, la salue ; et le soir beyrouthin la chavire.

La montagne côtoie le nuage. Après Baabdat, la voiture s’engage dans une vallée où les pins dessinent une forêt clairsemée. L’herbe du printemps fait des taches vertes éphémères et les marguerites blanchissent les prairies. Les maisons en construction cassent le paysage outrageusement. Des débris ici et là le long de la route rappellent que chacun fait à sa guise. Qu’ils brulent tout ! Et le Liban avec. Le taximan a l’humour noir et Nidal ne peut s’empêcher d’éprouver une tendresse inadéquate pour ce pays qui l’a accueillie il y a bien des années avec maladresse.

Comment se tenir dans la tendresse, au bord d’une prison en feu ?

24 avril 2011
T T+