Le Trophée des capitaux, un roman de Guy Régis Jr

Le Trophée des capitaux de Guy Régis Jr vient de paraître aux éditions Vents d’ailleurs dans la
collection Fragments dirigée par Jean-Luc Raharimanana.

Au festival d’Avignon 2011, De toute la terre le grand effarement sera représenté du 8 au 14 juillet dans le jardin de la Vierge du lycée Saint-Joseph.

L’auteur est également présent sur remue.net dans le cadre des résidences Île-de-France.

Bio-bibliographie de Guy Régis Jr sur le site des Francophonies.

Également aux éditions Vents d’ailleurs, dans la collection Fragments : Souvenez-vous de moi, l’enfant de demain. Carnets d’un enfant de la guerre de Serge Amisi, un récit traduit du lingala par l’auteur avec le concours de Jean-Christophe Lanquetin, remanié par Raharimanana.


 

             Dans cette île, deux écoliers de vingt ans se préparent à passer le baccalauréat. Ils révisent l’histoire de leur pays pour l’épreuve qui aura lieu le lendemain : l’arrivée des missionnaires puis des soldats étrangers, la colonisation, les grands aïeux dont les statues de bronze qui ornent la Grand-Place rappellent le courage, la lutte pour l’indépendance, les débuts de la démocratie.
             Elize et Elizée sont des enfants qui vivent dans la rue.
             Autour d’eux, la pauvreté, les maisons en bois, les carcasses de voitures, les chaussées éventrées, les gamins en haillons, les plaies, la faim, la torpeur - l’humiliation et le désastre partout.
             Cette veille d’examen ils étudient encore. Ensuite ils dormiront dehors, dans un jardin, sur un banc, ayant mangé ou pas.

             Soudain les flammes, la fumée, les cris : un incendie qui a commencé dans le bidonville de Belair, le souffle du vent qui propage le feu du morne vers la ville, les habitants qui dévalent la colline.

             Elize et Elizée lèvent les yeux de leurs livres.

             Le crépitement des balles éclate peu après : c’est la révolte née de la misère et de l’incendie que le pouvoir politique veut maintenant éteindre.
             Les deux enfants fuient vers la mer.

Ce qui adviendra pour sûr ce sera un vent violent. Le vent intimera l’ordre aux eaux d’aller plus vite. Le vent les égayera, leur donnera entrain pour briser, envahir nos terres, nos rues, nos maisons… Défaire nos barrages de faibles humains. Enfreindre nos protections. Entériner nos prévoyances. Ce sera ensuite le soleil qui s’éteindra. Le temps de laisser aux eaux le plaisir de s’irriguer dans nos plus intimes artères. Le froid des eaux sans feu du soleil, sans lueur du jour s’immiscera dans nos chairs, capitulera notre sang… Pendant tout ce temps nous serons muets. Ce ne sera pas que nous ne voudrons pas parler, que nous n’aurons rien à dire. Nous aurons encore nos langues, notre bouche et nos cordes vocales mais notre gueule sera inutile. Et nos mots avec seront inutiles. On essaiera quand même. On la forcera même l’envie de parler. Mais nous ferons tellement d’effort sur notre bouche, sur nos cordes vocales, que nos paroles seront obstruées par nos voix et tout mot deviendra inaudible. Nous tenterons alors d’inventer une autre langue car personne ne se comprendra dans cette grammaire du froid, des eaux et d’absence de soleil. Plus personne ne se comprendra.

             Le Trophée des capitaux raconte une nuit au cours de laquelle la violence du présent tente de renverser l’ordre vertical établi par l’histoire officielle.
             Deux enfants y découvrent la mort à l’œuvre dans les récits du passé sans savoir en quelle langue, avec quels mots reconstruire les énumérations d’un réel en voie d’épuisement.

4 juillet 2011
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