Séquence 4 : Comment se comporter àl’ère écologique

Un extrait de Laissez-nous juste le temps de vous détruire, pièce d’Emmanuelle Pireyre


Voix off ( Charline) – A propos de « fenêtre  », une autre fois, en pleine nuit, dans la nuit des années 2010, Justine, une jeune femme eut un gros souci avec la fenêtre de sa maison bio. Et àpropos de « bio  », question gestes écologiques, labels bio, comportements éco-responsables, Stan et Charline éprouvaient certains jours le sentiment d’être légèrement àla ramasse.

TABLEAU 1 : Habiter est devenu un boulot àtemps plein

(Justine et Géraud face public. Confessionnal ou thérapeute conjugal. Justine a la jambe tendue en avant.)
(Stan découpe sa fiche et Charline fait de la couture.)


Géraud – Ben, c’est simple, il y a trois ans, on a passé le cap. On a fait le choix de quitter la région parisienne, et de venir s’installer ici. On a repris cette maison.
Justine – Enfin, c’était une ruine.
Géraud – On a tout fait.
Justine – Oui, il faut peut-être préciser que jusqu’alors on travaillait chez Alcatel, on était cadres, j’étais au contentieux et mon mari, enfin Géraud, était….
Géraud – Résume, Justine, je vois pas ce que ça a d’intéressant. Donc, c’était la vie àParis...
Justine – …enfin petite couronne !
Géraud – Oui, donc, beaucoup de stress, un boulot de plus en plus dur…
Justine – …dur, et puis aussi contraire ànos idées, nos principes. Et notre empreinte écologique qu’on avait du mal àassumer.
Géraud – Y avait plus moyen. Il fallait qu’on change de mode de vie. Donc, ça s’est fait très vite, on est arrivé là. Il y avait tout àfaire. L’avantage, c’est qu’on a pu bâtir exactement ànotre idée. J’ai construit en ossature bois, installé des panneaux photovoltaïques sur les deux pentes du toit...
Justine – ...Isolation des murs en bottes de paille....
Géraud – ...On a remis le potager en service, creusé un bassin de phytoépuration...
Justine – Oui ! Alors justement…
Géraud – Ah oui, oui, àun moment, j’ai eu cette idée du cuiseur solaire en carton, tout simple, autonome des réseaux.
Justine – Il y a aussi le chanvre que tu as utilisé, c’est intéressant…
Géraud – Ah oui oui, je me suis lancé dans la culture du chanvre, pour isoler mes charpentes. Ah oui, non, c’est sà»r, àtous les stades, il faut que j’invente quelque chose, une technique, une…
Justine – une excentricité !
Géraud – (À Justine) Non quand même pas, (au public) mais il y a des tas de trucs àtrouver, des méthodes, quasiment des nouveaux métiers. Ce que je fais, c’est que je consigne tout dans mes cahiers, pour que ça serve àd’autres, toutes mes remarques, mes calculs, comment reconstituer l’humus, comment booster la marmite norvégienne, comment arroser… On peut beaucoup progresser, on établit un rapport intime avec la nature ! Très très intime ! Tu comprends les choses de l’intérieur, tu aides la nature, tu accompagnes les processus ! Ça me rend dingue !
Justine – C’est vrai que tu aimes ça.
Géraud – Mais non Justine ! C’est pas que j’aime ça. J’adore ça, ça me rend fou ! Déjàquand j’étais gosse, j’adorais ça ! Je me sauvais pour des promenades de plusieurs jours, j’adoptais des animaux, je m’égarais le plus loin possible dans la forêt, c’était totalement… je sais pas… totalement lyrique. Je connaissais les types d’écorces, les traces animales, les feuillages. J’enfouissais ma tête. Je restais làdes heures, silencieux, la tête dans les feuilles. (...silence...)
Justine – Géraud, on devrait peut-être revenir àla raison pour laquelle on est là. Je crois que là, on est en train de s’éloigner du sujet.
Géraud – …
Justine – Tu peux peut-être le dire ?
Géraud – Quoi ?
Justine – Que je suis tombée par la fenêtre.
Géraud – …
Justine – C’est quand même assez inquiétant… C’est un symptôme de quelque chose non ? D’un malaise, de quelque chose qui ne va pas… ? En fait, je pense qu’il faut mettre l’accent sur le temps que ça représente, toutes ces tâches. Tu éludes largement le sujet, non ?
Géraud – Hum, c’est un choix de vie, un engagement, on y va ou on n’y va pas. En tout cas, on n’y va pas àreculons.
Justine – Géraud, le fait d’habiter ici, nous occupe autant que Alcatel.
Géraud – Oh non, quand même pas !
Justine – Je me lève le matin, je trie les graines pour les semis. Dès 8 heures, je prépare le repas de midi, qui cuit àdeux àl’heure, dans le cuiseur solaire. Je fabrique la sciure pour les toilettes sèches, je sors le compost le vendredi. Deux fois par semaine, je me retrouve àgrimper àl’éolienne pour décoincer les pales. Je récupère l’eau de la douche avec des seaux, je la fais chauffer sur le feu pour la vider dans la machine àlaver…
Géraud (au public) – Oui, parce que j’ai shunté la résistance de la machine àlaver pour réduire la conso d’électricité.
Justine – Je suis épuisée Géraud.
Géraud – C’est vrai qu’on a pas fait les choses àmoitié, on a développé tous les aspects. On a réduit àpresque rien nos consommations, et on peut encore progresser !
Justine – Mercredi, le jour où les visites ont été annulées, je me suis aperçue que j’avais autant de travail que les autres jours. Habiter, simplement habiter, est devenu un travail àplein temps.
Géraud – C’est vrai qu’il y a pas mal de visites : Au départ, les voisins sont venus voir ce qu’on faisait, puis les amis des voisins, puis tout le département s’est mis àdéfiler pour visiter nos inventions. C’est un succès ça quand même, non ?
Justine – « On  » organise des stages « d’ auto-construction  ».
Géraud – On fait de la formation.
Justine – Je prépare le déjeuner pour tout le monde pendant que les stagiaires font le tour des installations.
Géraud – …comme ça ils goà»tent un peu nos produits, fraises, potimarrons, patates bien sà»r, radis ronds…
Justine – Le problème c’est notre couple, Géraud, tu vois bien que ça ne va plus ! On n’a plus de temps pour nous. On se parle presque plus...
Géraud – Écoute Justine, c’est des conneries, ça, il faut arrêter de réfléchir les choses àl’échelle du couple !
Justine – Maintenant on pourrait ralentir un peu… mais tu es tout le temps accaparé par de nouvelles idées, de nouvelles expériences. Je supporte plus, « on ira toujours plus loin, les dépenses d’énergie peuvent encore diminuer...  »
Géraud (se lève et avance)– Oui oui oui ! Exactement ! Les dépenses d’énergies peuvent encore diminuer ! On peut vivre avec très peu, on peut réduire àrien son empreinte écologique. Tout le monde peut le faire ! C’est un calcul simple, mais àtrès longue portée. Tu fais des actes très simples, tu pousses des brouettes, tu élèves des lombrics, et tu résous les choses àl’échelle planétaire.
Justine – Mais on ne peut plus du tout quitter la maison.
Géraud (part entre les deux maisons)– Justine, mais c’est tellement petit, tes problèmes ! Tu commences àme faire chier avec tes névroses !
Justine – Une jambe cassée, c’est pas une névrose ! C’est quelque chose de réel, une jambe cassée, c’est tangible. Je suis tombée, Géraud en pleine nuit ! (Géraud s’immobilise entre les deux maisons) C’était dégoà»tant d’être comme ça dans le bassin de phytoépuration, avec en plus la douleur. J’ai jamais été somnambule avant. Est-ce que tu as pensé àce que j’ai ressenti, quand j’étais là, en pleine nuit, trempée, en train de crier pour que tu te réveilles ?
Géraud (revient vers elle) – Je sais, ma puce, ça a été un moment hyper dur, mais ça commence àaller mieux, quand même... C’est un mauvais moment àpasser.
Justine – Géraud... je veux partir d’ici. Je veux retourner àLevallois.
Géraud (commence àla masser)– Allez, Juste, il faut essayer de voir le côté positif…. Tu auras plus de temps pour ton forum, pour tes écobilans. C’est vraiment important, ce que tu fais, là. Tu imagines pas àquel point les gens ont besoin de toi. Tu le sais quand même, comme les gens adorent que tu calcules l’écobilan de leur maison ?
Justine – C’est vrai…c’est normal, ils ont fait des efforts pour améliorer leur logement, alors ils ont envie de savoir s’ils ont bien fait… comment ça se traduit en chiffres.
Géraud – Tu aimes ça, non ?
Justine – Oui, c’est intéressant.
Géraud – Et heureusement que Justine est là, parce que qu’est-ce que les gens peuvent se tromper !
Justine – Oui, parce que souvent, les gens focalisent sur un ou deux critères, mais ils oublient tous les autres. La plupart du temps ils sont trop optimistes, du coup c’est vrai que parfois ils sont déçus, mais bon… il faut bien quelqu’un pour recadrer les choses… Par exemple, ils accumulent un bon crédit de points en bâtissant une maison en palettes de récupération, mais ils reperdent tout parce que les palettes sont imbibées d’huiles de vidange qu’ils vont inhaler pendant des années. Ou bien...ils blindent leur toiture d’isolant, génial, 150 points, mais cet isolant c’est... vas-y dis-le !
Géraud – De la laine de roche !!!
Justine – Voilà ! Alors là, c’est– 800 d’entrée. Etc. (...rires partagés...) Oui, c’est vrai, j’aime bien.
Géraud – Et puis y a le forum Toilettes sèches, alors là, sans toi, ma puce, les gens seraient perdus.
Justine – Oui c’est vrai, c’est une logique tellement différente. C’est vrai qu’au départ nous sommes tous des enfants face aux toilettes sèches.

Emmanuelle Pireyre

10 octobre 2011
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