Journal épisodique et fragmentaire. Mercredi 30 novembre 2011

Mercredi 30 novembre 2011

La répétition est prévue àseize heures mais le rendez-vous est pris une demie heure plus tôt, histoire de réunir l’équipe et de se mettre en train. A l’heure dite, la Maison d’Europe et d’Orient vit donc sur un tout autre rythme. Celui de la fébrilité et du plaisir de se retrouver, des essais de costume et du casse-croà»te avalé debout. Dans le bar, dans le bureau de Dominique, un amical et joyeux désordre s’installe et sur la table de Céline, les sacs et effets personnels s’accumulent. « Jupe ou jeans ?  » interroge une des comédiennes. Dans la salle de spectacle, les chaises sont déjàen place et les projecteurs installés.

La lecture de ce soir, Le colonel et ses oiselles de Hristo Boytchev requiert une distribution essentiellement féminine. Six femmes pour un seul homme : le fameux colonel. Et il y a effectivement six femmes et un seul homme dans la distribution. Mais il ne faut surtout pas se fier aux apparences !

Dans l’immédiat, il ne s’agit que d’une répétition. Il convient de la terminer aux environs de dix-huit heures pour prendre le temps de digérer avant la représentation et il n’est pas certain que toutes les scènes seront travaillées. Juste celles qui posent encore problème au terme de trois répétitions. Fabrice conduit son petit monde avec un calme remarquable et une fermeté de pédagogue sans se départir de son sourire et de son indulgence. La logique de la farce emporte parfois les comédiennes et il ramène un peu le jeu pour équilibrer les niveaux. Laisser la place au spectateur. Nous ne sommes que deux dans la salle. Difficile d’inventer le grand rire d’un public.

La pause correspond àun projet de visite de l’exposition. En attendant les spectateurs, on se détend autour du bar.

La pièce est drôle et surprenante. On y voit un petit groupe de femmes malades mentales reléguées dans un minuscule institut, perdu dans la montagne bulgare, àquelques kilomètres de la frontière d’un pays en guerre. Entre le laxisme inspiré d’une jeune doctoresse, usurpatrice et morphinomane et la discipline militaire d’un colonel schizophrène, ces malheureuses exclues du monde, ravitaillées par les corbeaux trouveront-elles le chemin de leur propre guérison sous le drapeau de soie de l’ONU ?

Chacune s’y donne àcÅ“ur joie. Les portraits sont très vigoureux, caustiques et délirants : ils offrent beaucoup de jeu. Le médecin imposteur, toujours entre deux seringues, la kleptomane qui vole jusqu’aux pneus du quatre-quatre et boit l’essence du réservoir, la jeune Tsigane qui cherche l’amour avec une passion suicidaire, la tragédienne qui ne s’en sort pas d’être la Mouette de Tchekhov, l’ancienne douanière (ou prostituée ?) qui est devenue nonne pour expier ses trois cent mille péchés… Et le colonel enfin qui se décide àparler — une deux, une deux — après des années de mutisme et de prostration devant la fenêtre lorsque les avions de l’Otan larguent des caisses d’uniformes sur la petite communauté, histoire de lui rappeler l’existence d’un monde sensé àmoins de 47 kilomètres.

Le public rit beaucoup et avec plus de vigueur qu’àla répétition. Puis le bar est ouvert. Et les visages sont satisfaits.

J’ai juste oublié un détail. Celui qui concerne les apparences. Il me semble que Mère Térésa portait la barbe de Dominique, méconnaissable sous son couvre-chef et que le colonel empruntait la voix cadencée de Majida, comédienne d’origine marocaine. Le colonel Boytchev a plus d’un tour dans sa musette d’amuseur dramatique mais cette supercherie n’est sans doute pas de son fait.

1er décembre 2011
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