Michèle Girouard | Le point de vue d’un personnage

Le temps tendu vers l’instant d’avant qui résiste qui retarde qui échappe au temps d’après

Mais qui regarde ici ? qui saisit l’instant terrible insupportable où tout bascule – àpartir de quoi plus rien ne sera – plus jamais – plus Rien ?

Qui regarde ?
Orphée ne voit pas suspendu àchaque note – déni de l’instant en fuite – même si son regard est déjànoyé des larmes àvenir ...
Orphée ? àpeine une ombre, le corps comme aspiré dans le vert des prés qui s’assombrissent lentement


Qui regarde ? Qui redoute ?
Les deux jeunes filles, en extase, qui ne respirent déjàplus qu’àpeine le souffle de la harpe ?
Inconscientes de l’instant qui les ensevelira dans l’ombre


Le prêtre, figé dans un vain geste protecteur ? Qui peut-il protéger ?
Eurydice àqui il tourne le dos au moment où elle tente un geste ultime vers lui ?
Orphée ? Il ne le voit pas, le regard ailleurs, errant, àjamais.


Qui d’autre regarde ?
Le pêcheur ? Ébloui, incapable de détacher son regard du visage d’Eurydice, il n’a rien vu de la morsure fatale ...


Que regarde Eurydice ? Que saisit-elle dans l’instant où le poison la pénètre, quand elle saisit l’éclair lumineux du serpent dans le crépuscule ....


... Arrête-toi visiteur, vois la plainte muette d’ Eurydice àl’instant mortel ...

1er février 2012
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